Gare aux �motions!
Sur les march�s financiers l �homo oeconomicus
se r�vŁle un individu irrationnel, gouvern� par des
�motions et en proie ą des besoins.
Comme le disait Shakespeare, le monde entier est un gains se traduisant en revanche par une aversion extrę-
th��tre. Une maxime qui s applique �galement aux me au risque. En d autres termes, ils r�alisent les gains
march�s financiers. A cette diff�rence prŁs que pour trop t�t et trop vite, et laissent courir les pertes ind�fi-
les acteurs, l enjeu va bien au-delą du simple fait de niment, avant de c�der enfin leurs positions.
gagner ou de perdre. Ce qui compte ici, c est le presti- Sans compter que l interpr�tation des informa-
ge, qui se mesure ą l aune de la hausse ou de la baisse tions peut fortement varier dans l optique d un gain
des cours. Selon le choix op�r�, une bonne d�cision en- ou d une perte imminente. N�ophytes et sp�cialistes
gendrera respect et succŁs, une erreur de jugement, el- tendront ą accorder une attention accrue aux informa-
le, d�clenchera une joie maligne et fera perdre la face. tions �conomiques qui �tayent leurs d�cisions. En re-
A ce jeu-lą, personne ne veut perdre, chacun souhaite vanche, les mauvaises nouvelles seront le plus souvent
s imposer et triompher. Or le comportement des inves- ignor�es, voire complŁtement refoul�es. Un acheteur
tisseurs est �galement dict� par des tendances ou un vendeur les interpr�teront de maniŁre r�solu-
et des faiblesses par trop humaines. Contrairement ą ment diff�rente et aboutiront parfois męme ą des
l �conomie traditionnelle, qui se fonde sur ce que l on conclusions oppos�es. Prenons une entreprise qui pu-
nomme un investisseur rationnel, s effor�ant seul blie de bons r�sultats: le vendeur sera d abord furieux
d optimiser ses gains, la Behavioral Finance aborde la ą l id�e d une probable hausse des cours. Il se conso-
psychologie et les attitudes parfois peu rationnelles lera en invoquant une correction prochaine, suivie
des investisseurs sur les march�s financiers. Dans la d une baisse du cours. L acheteur, lui, se r�jouira de la
r�alit�, un �homo oeconomicus qui agit froidement hausse actuelle du titre.
et de maniŁre rationnelle reste une vision th�orique.
Dans la pratique, il en va tout autrement. Ses d�cisions
reposent le plus souvent sur des motivations bien dif-
f�rentes, telles que la recherche d �motions fortes, de
Petit lexique de finance comportementale
reconnaissance, voire un besoin de communication.
La Behavioral Finance �tudie le comportement des investisseurs
en se basant sur la psychologie et sur les sciences �conomiques
La peur de perdre
traditionnelles.
En d�pit de leur volont� de se comporter de maniŁ-
re rationnelle, nombreux sont les acteurs du march�
Aversion aux pertes: r�pugnance ą se d�faire des positions
qui n obtiennent pas les meilleurs r�sultats possibles susceptibles de g�n�rer des pertes. A proportions �gales, les
pertes sont jug�es plus dures que les gains. Cons�quence: les
dans l optique d une optimisation des gains. Cela est
pertes comptables seront privil�gi�es aux pertes r�alis�es.
li� au fait que l individu est en quęte de bien-ętre et
Ce comportement conduit ą ś'
donc constamment partag� entre la n�cessit� de ga-
L effet de disposition: l investisseur laisse courir les pertes trop
longtemps ou r�alise ses gains trop t�t.
gner de l argent et la volont� d atteindre ce bien-ętre.
Overconfidence ou excŁs de confiance: confiance due ą des
Car ce dernier a un prix. La Behavioral Finance repo-
exp�riences sp�cifiques, ą la suite notamment d une s�rie de
se sur les travaux des psychologues am�ricains Amos
succŁs. Cet optimisme exag�r� peut se traduire dans des cas ex-
Tversky (d�c�d� en 1996) et Daniel Kahneman  ce tręmes par ś'
L illusion de ma�trise: croyance erron�e selon laquelle on a
dernier ayant �t� laur�at du prix Nobel d �conomie
l impression de contr�ler le march�. R�action typique: l euphorie.
en 2002. A la fin des ann�es 70, ces deux chercheurs
Perte de contr�le: sentiment d impuissance en raison d un
ont observ� chez les acteurs du march� un comporte-
�v�nement totalement inattendu (avertissement sur r�sultats,
p.ex.). R�actions typiques selon la gravit� de la situation:
ment r�current: la majorit� d entre eux �taient plus
angoisse ou panique.
durement affect�s par des pertes, compar� ą la joie
Herding ou instinct gr�gaire: d�cision bas�e sur le comporte-
qu ils ressentaient pour des gains �quivalents. Cette
ment de l ensemble des investisseurs bien que les informations
aversion aux pertes se traduit g�n�ralement par une
disponibles offrent ou recommandent d autres options.
propension ą prendre des risques en cas de pertes, les
28 Wealth Management / 4e trimestre 2004
connaissances / finance comportementale
A la Bourse, les comportements observ�s ne sont pas toujours rationnels, tout en r�pondant ą une certaine m�thode.
Les investisseurs ont ceci de commun qu ils se sen- ces męmes r�actions. Un peu de discipline et un plan
tent li�s par leur d�cision. Plus la mise est �lev�e, plus devraient toutefois lui permettre d am�liorer ses per-
ce que l on nomme le �commitment (engagement) se- formances. Un journal de bord, indiquant l objectif de
ra important. Cette pers�v�rance ą rester sur ses posi- cours et les pertes maximales qu il est pręt ą essuyer,
tions est cependant dangereuse et peut non seulement se r�vŁle une aide pr�cieuse dans la majorit� des cas.
empęcher de prendre des d�cisions judicieuses mais se Savoir comment r�agir en cas de perte ou de gain et
traduire �galement par des erreurs co�teuses. Il ne s en tenir aux rŁgles que l on s est fix�es permet de ne
s agit pas lą de d�rapages occasionnels, compens�s par pas se laisser influencer facilement. En limitant ses
les autres acteurs �rationnels du march�. Bien au pertes assez t�t et en choisissant de laisser courir ses
contraire. Kahneman et Tversky ont d�couvert que ces gains, on obtient ą long terme de meilleurs r�sultats
anomalies comportementales sont syst�matiques. En que lorsque l on se laisse impressionner par le dernier
s appuyant sur cette approche syst�matique, il est pos- bon pronostic. Sans compter qu en ne parlant pas avec
sible de pr�dire des comportements futurs. Un inves- ses amis et voisins de ses achats d actions, on �vite de
tisseur qui a achet� une action ą 80 euros, dont le devoir se justifier si les choses devaient mal tourner.
cours chute ą 60 euros, se r�jouira d autant plus Sur le march�, l investisseur devrait tel Ulysse, qui
lorsque le titre remontera. Selon la th�orie de la Be- se f�t attacher au m�t de son bateau pour ne pas suc-
havioral Finance, l investisseur revendra l action au comber au chant des sirŁnes, �viter de courir ą sa per-
moment oł elle atteindra ą nouveau son cours initial, te. A cet �gard, la finance comportementale, bien qu ą
soit 80 euros. Afin d �viter autant que possible d es- ses balbutiements, peut se r�v�ler trŁs utile. Pour ex-
suyer une perte, l investisseur ne vendra pas le titre ą ploiter en sa faveur la psychologie des autres acteurs
60 euros. Il attendra tout au plus que le cours remon- du march�, l investisseur serait bien avis� d adopter la
te ą 80 euros pour liquider l int�gralit� de sa position. rŁgle d or suivante: connais-toi toi-męme. /
Bien se conna�tre pour mieux contr�ler ses �motions
Joachim Goldberg est analyste financier sp�cialis� dans l �tude du
Celui qui peut pr�dire les r�actions de la majorit�
comportement des investisseurs. DŁs ses d�buts en tant que
des intervenants sur le march� dans des situations d�-
cambiste, il s int�resse aux motivations des op�rateurs du march�.
termin�es b�n�ficie d une bonne longueur d avance
En 1999, il publie l ouvrage �Behavioral Finance  Gewinnen mit
sur les autres acteurs. Toutefois, l investisseur ne doit
Kompetenz. En qualit� de psychologue des march�s financiers,
pas perdre de vue le fait qu il est �galement soumis ą Joachim Goldberg intervient r�guliŁrement dans les m�dias.
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