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Retour de goupillon

23 avril 2013

FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG FRANCFORT


Patrick Chappatte

Le 23 avril, la France est devenue le neuvième Etat européen à étendre le mariage et l’adoption aux couples homosexuels. Mais, contrairement aux autres pays, cette mesure prise au nom de l’égalité a provoqué l’hostilité farouche, voire violente, d’une partie de l’opinion publique. Un héritage du rapport des Français à la religion.

Michaela Wiegel

Au départ, il voulait réconcilier les Français. C’est du moins ce que François Hollande avait promis pendant sa campagne. Au lieu de quoi, il a monté ses compatriotes les uns contre les autres dès sa première année au pouvoir en introduisant le "mariage pour tous" et ravivé ce que l’historien Emile Poulat avait appelé "la guerre des deux France".

Depuis que la France, "fille aînée de l’Eglise", a séparé l’Eglise de l’école (en 1882) puis de l’Etat (en 1905), la guerre couve entre ceux qui justifient cette "laïcité" au nom du "progrès" et de la "modernité" et ceux qui y voit une atteinte à un ordre social évolué et voulu par Dieu.

Bien que les "deux France" aient subi de multiples transformations, le conflit qui divise la société se réveille à intervalles réguliers – comme aujourd’hui, à l’occasion de l’adoption prévue du mariage homosexuel.

Levée de boucliers

Depuis que le gouvernement de gauche de Jean-Marc Ayrault a présenté ce projet de loi qui vise à étendre les droits du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels, le pays est en effervescence. A Paris mais aussi partout dans le pays, les défenseurs de la famille traditionnelle s’organisent. "Papa + Maman, y a pas mieux pour un enfant", peut-on lire sur leurs banderoles.

Des citoyens qui ne mettaient pas les pieds à l’église se sont également joints à la vague de protestation. Mais l’Eglise catholique et son vaste réseau composé d’écoles, de paroisses et d’associations ont activement soutenu le mouvement. Les hauts représentants de l’islam et du judaïsme ont à leur tour rejeté unanimement le mariage homosexuel. La levée de bouclier déclenchée par le projet de loi rallie également une génération de jeunes Français qui ne s’étaient jusque-là engagés ni politiquement, ni religieusement.

Les opposants partagent une même crainte : celle que la gauche laïque, en se détournant du mariage traditionnel et de la famille, n’abandonne un fondement de la société chrétienne occidentale. Les promesses de Christiane Taubira, la ministre de la Justice, pour laquelle le "mariage pour tous" est le préambule à une "nouvelle civilisation", a conforté les opposants dans leurs craintes.

RĂ©sistances au changement

Un retour en arrière sur les prémices de la laïcité permet de mieux comprendre la véhémence et la férocité de cet affrontement autour du mariage homosexuel.

Nulle part en Europe la religion n’a été chassée aussi brutalement de la vie sociale que dans la France du XIXème siècle finissant.

On a tout d’abord cru, après une période de déchristianisation qui a trouvé un cruel point d’orgue en 1793, que la révolution allait être suivie d’un retour du catholicisme. Les "pères de la laïcité", Jules Ferry et Léon Gambetta, se voyaient comme des esprits éclairés. La défaite de la France lors de la guerre de 1870 les a confortés dans leur conviction selon laquelle les générations futures devaient recevoir une éducation profane. En mars 1882, un texte de loi faisait disparaître le catéchisme, l’histoire de la Bible et toute référence aux autres religions dans les manuels scolaires. Depuis lors, l’instruction religieuse ne figure plus dans aucun programme de l’école publique française.

Les prières publiques ont été interdites. Les symboles chrétiens sont prohibés dans l’ensemble des bâtiments publics, comme les écoles, les hôpitaux et les tribunaux. Le droit au divorce a été (ré)introduit en 1884. Mais une partie du pays s’est montré réfractaire au changement. Malgré l’instauration de la scolarité obligatoire en 1882, beaucoup de Français ont refusé, notamment dans les régions rurales, d’envoyer leurs enfants à "l’école sans Dieu".

Des affrontements houleux ont eu lieu pendant la première moitié de l’année 1906, après l’accélération de la laïcisation des institutions. En 1904, les congrégations se sont vu interdire d’enseigner, ce qui se traduisit par le départ de milliers de religieux. Le gouvernement décrétait un concordat unilatéral.

La loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat a été adoptée en décembre 1905. Depuis lors, l’Etat ne soutient plus financièrement les communautés religieuses et ne prélève plus d’impôt au bénéfice des Eglises. Trois départements de l’Alsace-Lorraine qui appartenaient à l’Allemagne en 1905 et sont toujours soumis au régime concordataire font exception à la règle.

Sentiment viscéral

Dans un contexte de laïcisation croissante de la société et de recul de l’anticléricalisme, les catholiques se sont accommodés de la "laïcité". L’offensive de l’Etat contre le mariage a toutefois ravivé un vieux sentiment viscéral selon lequel toutes les institutions chrétiennes sont vulnérables.

L’ironie veut que les jeunes manifestantes opposées au "mariage pour tous" s’affublent du bonnet phrygien, une coiffe qui était naguère symbole de liberté pour les révolutionnaires et donc pour cette France qui défendait les droits de l’homme, le progrès et la séparation de l’Eglise et de l’Etat face au camp de la restauration et du cléricalisme.


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