que je ne puis pas toujours faire tout ce que je veux; le plus presse l’em-porte”, ecrit-il dans un instant de lassitude I32). Mais il tient bon. 11 combat ses adversaires l’un apres 1’autre et les vainc pour la plupart. II lance ses Averłissenients contrę Jurieu. II fait condamner YHisłoire critique du Vieux Testament, dont 1’auteur se retire dans sa cure de Bolleville apres avoir ete exclu de 1’Oratoire. II saisit entre ses griffes d’aigle du Pin, qui se montre assez docile133). II se distancie de Descartes et s’apprete au grand combat qu’il voit „se preparer contrę 1’Eglise sous le nom de la philosophie cartesienne” 134). II somme Caffaro de se retracter, et deux jours plus tard celui-ci desavoue humblement sa dissertation 135). Mais il a beau vaincre tous ses adversaires, le mai parait inderacinable. II ne lutte pas contrę des personnes, mais contrę un etat d’esprit qui chaque fois revet dautres formes et se manifeste dans d’autres adversaires. Cest 1’esprit critique qu’il a a combattre. Irrite par tant de detours et de subtilites, ce travailleur assidu et scrupuleux se raidit et devient un peu trop absolu, ce qui revient a dire simpliste. II ne se montre pas assez nuance pour com-prendre 1’actualite dans tous ses details: il devient partiel, et donc partial. Son esprit est trop ferme et trop systematique. Sa logique, qui est son fort, devient son faible. Abstrait, constructif a l’extreme, il est parfois desesperement exclusif.
A plusieurs reprises il avait vu emerger derriere ses adversaires Grotius, un des fils de cette Hollande „raisonneuse et disputeuse”, ou confluaient tous les fleuves de l’heterodoxie. Ainsi l’evolution que nous avons pu con-stater dans 1’opinion de Bossuet vis a vis de Grotius, est parallele a ce processus de retrecissement, et en formę une illustration. Elle est le plus douce dans \’Bxplication de l’Apocalypse, composee au moment ou, sur de son succes, il dirige les attaques contrę 1’ennemi de l’exterieur. 11 vient de faire donner 1’artillerie lourde, et la premiere canonnade a ete meurtriere. Son Histoire des Yariations a ete comme le coup de clairon sonnant la charge victorieuse. Les chefs ennemis essaient de rassembler leurs troupes en deroute pour entreprendre des contre-attaques. Mais dans ses Aver-tissements il les pousse a l’extreme. II ne leur laisse plus d’issue: ils se sont rapproches sur plusieurs points du catholicisme; ils considerent dans les autres sectes comme peu important ce qui chez les catholiques leur a toujours semble blasphematoire; ils n’ont donc qu’a rester logiques et a retourner au catholicisme, puisque leurs variations infinies prouvent claire-ment qu’ils sont dans 1’erreur. Bossuet est au comble de sa puissance et de sa gloire. Mais alors Jurieu, son principal adversaire, non seulement menace
1S2) Lettre a Mme d’Albert du 11 sept. 1693, Correspondance, t. V, p. 457.
133) Lettre de dom Gerbais a Bossuet du 18 mars 1691, Ib., t. IV, p. 206 sq.
1S4) Lettre a un disciple du P. Malebranche du 21 mai 1687, Ib., t. III, p. 372.
135) Lettres du 9 et du 11 mai 1694, Ib., t. VI, p. 256 sq. et 291 sq.