7 UN DEBAT : LES MENTALTTES COLLECTIYES 623
AJort publiąue par excellence — c’est ce qu’exprkne le deuil collectif et spectaculaire qu’annoncent les chevauchćes des hippeis 34 et les courses effrćnćes et bruyantes des femmes, les lamentations des milliers de sujets dont parle Hćrodote — la mort des rois de Sparte ćvoque, par son rituel, le « spectre continu * de statuts familier aux historiens de la socićtć spartiate. Chaque oikos y est reprśsentć, les Spartiates sont sćparćs des autres habitants de la Laconie, les pśrieques et les hilotes y partici-pent 35, mais en se melant aux femmes et & leur cort^ge 36. Faut-il rappeler qu’& Athenes les cćrćmonies funebres sćparent nettement hommes et femmes 37, tandis qu’& Sparte, aux couples — homme et femme — repró-sentant chaque maisonnće rćpond la confusion entre femmes, pćrieques et hilotes, associćs dans un meme rituel funćraire 38 ?
II y a aussi, d’autre part, 1’insistanee tout & fait partieuliere sur la conservation du corps, ou au moins de la figurę du roi dćfunt: Hśrodote encore nous informe que, pour les rois morts & la guerre, on exposait au moins im simulaere, eidólon, sur le lit funćraire 39, et la tradition attribue meme aux rois Agesilaos et Agćsipolis une sorte de momification mythique, leur corps ayant śte coulćs I’un dans du miel, 1’autre dans de la cire, tel 1 ’enfant Glaukos immortalise dans un pot de miel40.
Les suggestions de ces anecdotes sont nombreuses, & la fois du cótć d’une mythologie du miel, nourriture dont les affinitćs avec le monde in-fernal sont multiples41, en ce qui concerne le theme de la conservation des dśpouilles, qui rejoint le complexe homćrique de la prothósis et de la « belle mort » du hćros, du cóle, enfin, de 1 'image simulaere, eidólon, et de ses connotations42.
U ne 8’agit pas ici de decoder tout ce complese, mais seulement de noter qu’il se situe & la confluence de plusieurs « champs » mythiques
34 Sur le statut particulier des hippeis k Sparte v. le dossier ćtabli par M. Detienne, La phalange: problimes et controoerses, in J.-P. Vernant, 6d., Problimes de la guerre, cit., p. 134 sqq.
u Hdt., VI, 58 ; cf. Tyrt., fr. 5 (D), qui marque fortement 1’idće de sujśtion qu,implique ce devoir.
34 Hdt., loc. cit-, summiga teisi gunaizl; la mention des Spartiates y est sans aucun doute interpolće. Sur la « contigultś * entre les femmes et les hilotes k Sparte v. P. Vldal-Naquet, Esclaoage et gynicocratie dans la tradition, le mgthe, Lutopie, in Recherches sur les structures sociales dans V Antiąuiti classique, Paris 1970, 63 — 80 ; sur 1’opposition « normale i hommes-femmes dans les pratiques religieuses v. L. Gemet — A. Boulanger, Le ginie grec dans la religion, Paris, rćśd. 1970, 51 — 53. Cf. aussi Plut. Sol., 6, Finterdiction athćnienne du threnos prescrit k Sparte.
37 V. Nicole Loraux, Mourir deoant Troie, cit.
88 Hdt., loc. cit.: anógki ex oikiis hekóstes eleuthirous dńo katamialnesthai, óndra te kat gunaika,
39 Id., ibid. Remarquons, avec Nicole Loraux, ioc. cit., le contraste entre la mort «spec-tacle • k Sparte et la mort «idśe * k Athenes, en rappelant qu,ici, mfime pour les funśrałlles privśes, l’exposition publique du dćfunt śtait sśv£rement limitśe (cf. Dem., C. Macart., loc. cit.) L’opposition entre eidólon comme masque et objet sacrć et Yimage, essentiellement artis-tique, objet d'art, est elle aussi suggestive pour Farchalsme spartiate; Thistoire comparće du «portrait» en Grćce et k Romę s*y rattache, d’ailleurs, d'une certaine manierę au moins.
40 D. Kurtz — J. Boardman, op. cit., p.189 et sqq.; cf. pour la fonction funćraire du miel e. g. Aristoph, Lysistr., 599 sq et schol.; un tśmoignage archćologique des plus imprćssio-nanta est le hiróon — cśnotaphe de Paestum avec ses hult vases en bronze plelns de miel.
41 V. M. Detienne, Orphie au miel, in J. Le Goff. Pierre Nora, Faire de Uhistoire, II, cit.
41 Cf. K. Kćrenyi, AIAAMA, EIKflN, EIAflAON, in Demitizzaiione e imagine. Archiuio
di Fihsofia, Padoue 1962, p. 169 sqq.; J.-P. Vernant, Mgthe et pensie en Grice ancienne a, Paris 1967, p. 128.