Jean PRADEL
Professeur a la Faculti de droit et des Sciences sociales de Poitiers Directeur de 1’Institut de Sciences criminelles de Poitiers
On sait que, dans Pinteret de la protection des consommateurs, la loi du 22 decembre 1972 a prevu a la charge des demarcheurs un certain nombre d’obligations, a peine de sanction penale. Toutefois Particie 8 de cette loi exclut de son champ d’application divers actes, et notamment « les ventes, Iocations ou locations-ventes de marchandises ou objets ou les prestations de services lorsqu’elles sont proposees pour les besoins d’une exploitation agricole, industrielle ou commerciale ou d’une activite professionnelle » (art. 8-1-e). Deux arrets recents viennent contribuer a determiner comment on doit entendre cette exception et, par voie de consequence, a delimiter le champ de la loi.
1°) Deux epoux sont condamnes, notamment pour infraction a la legislation sur le demarchage a domicile, a une amende de 30 000 F (cour d’appel de Paris, 19 janv. 1989). Demarcheurs pour le compte d’une societe.le Groupement national dediffusion immobiliere industrielle et commerciale, ils ofFraient les services de celui-ci a des per-sonnes se proposant d’acheter ou de vendre un fonds de commerce. Ces deux per-sonnes avaient utilise des contrats non conformes a la loi et avaient en outre peręu du numeraire ou des eflfets avant Pexpiration du delai de reflexion. Ainsi se trouvaient violees les dispositions des articles 2 et 4 de la łoi de 1972 aux yeux des juges du fond, qui condamnerent.
Les prevenus firent un pourvoi en cassation en invoquant Particie 8-1-e precite. Toute la question etait evidemment de savoir comment qualifler les agissements des prevenus. Le pourvoi pretendait que la cession d’un fonds de commerce est un acte de commerce par accessoire et est donc relatif a Pexploitation du commerce. La Chambre criminelle, par arret du 4 decembre 1989, ne Pa pas suivi et, en conse-ąuence, a confirme la condamnation prononcee. Cet arret est-il bien fonde ?
L’operation en cause n’est certainement pas une vente de marchandises ou d’objets, car un fonds de commerce n’est ni Punę ni Pautre, meme si, dans un tel fonds, il y a des marchandises. Le fonds de commerce, en efTet, est une « universalite juridique et un meuble incorporel » (G. Comu, Vocabulaire juridiąue, v° Fonds). Cette operation peut-elle en revanche constituer une prestation de services proposee pour les besoins d’une exploitation commerciale ? Pas davantage, puisque les prevenus etaient des in-termediaires entre proprietaires et acquereurs eventuels d’exploitations commerciales, comme le remarque Parret. On pourrait preciser que Pexploitation prevue a Particie 8 implique que le client du demarcheur possede deja Pexploitation commerciale et que le demarcheur se borne a Paider a gerer celle-ci. Le concept de « besoins d’une ex-ploitation » implique qu’il y ait une exploitation, alors qu’en Pespece le client n’en possede pas, ou pas encore, ou peut-etre n’en possedera jamais. Car, lorsque le client du demarcheur possede deja un fonds, la prestation de ce demier est censee etre reduite et le dispositif de protection du consommateur ne parait pas utile.
L’arret du 4 decembre 1989 applique cette idee de droit penal generał que les ex-ceptions a Papplication d’un texte d’incrimination sont de droit etroit. Et ce principe
Rev. science crim. (3), juill.*scpt. 1990