Florent Garnier La famille à Rome (résumé )

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Journée d’étude

La famille dans l’Antiquité grecque et romaine

22 avril 2014


LA FAMILLE A ROME

F. Garnier


De plus ou moins récents débats ont rappelé la place mais aussi diverses conceptions

de la famille. Des approches plurielles (anthropologique, ethnologique, sociologique…) ont
nourri notre connaissance de la famille, de son organisation et de ses évolutions. Si l’on
résume à très grands traits et forcément de manière simplificatrice l’évolution de la famille sur
la très longue durée, différentes formes ont existé ou existent encore. Au début du XX

e

siècle,

l’école durkheimienne dégage un premier temps avec le clan totémique (notamment en lien
avec les peuples premiers en Australie) puis la formation par un long processus des familles à
l’intérieur du clan. La parenté n’existe alors que par les femmes (parenté matriarcale). Une
autre étape est marquée par la place et le rôle du père en tant que chef de la famille pour en
arriver à ce qu’on qualifie aujourd’hui de famille nucléaire.

Différentes traditions familiales sont observables parmi lesquelles celle qui s’est

développée en Occident depuis l’Antiquité en particulier à Rome. En rien figée, la famille
romaine a elle-même évolué sous l’effet de son environnement socio-économique mais aussi
sous l’influence des idées et du christianisme. Parmi les éléments permettant de saisir la
famille à Rome, le choix a été fait de retenir principalement une approche juridique. Peuple du
droit, les Romains ont ainsi contribué à façonner de manière pragmatique des règles et des
institutions juridiques qui ont été aussi des sources d’inspiration pour l’Occident médiéval et
moderne. Cette présentation propose ainsi de dégager quelques-unes des principales
caractéristiques de la famille romaine mais aussi d’évoquer son évolution passant d’un
modèle originaire (famille patriarcale) à un modèle de parenté double. Elle est une famille
organisée autour du paterfamilias (I) et dirigée par lui exerçant alors sa puissance sur les
membres qui la composent (II). La famille romaine est alors dominée, selon l’expression de
Yan Thomas par les « pères citoyens », Rome est ainsi une « cité des pères ».

I.

La famille romaine apparaît comme une famille organisée tout d’abord en relation

avec l’influence patriarcale et un système de parenté reposant sur l’agnation. Elle se
développe à l’origine de Rome dans le cadre d’une société agricole. La figure du
paterfamilias et de la soumission des membres de la famille à sa puissance s’expriment
pleinement. Il est un référent exclusif au sein des trois groupes ou cercles familiaux plus ou
moins élargis que sont la gens, la parenté agnatique et la maison (domus) ou famille (familia).


La gens est un groupe étendu correspondant au clan familial qui a un même ancêtre.

Le paterfamilias commun remonte alors à plusieurs dizaines voire centaines d’années. Un
deuxième groupe est formé par les agnats qui se distinguent de la parenté par le sang ou
cognation. Il s’agit de ceux qui sont « nés après » ou « nés de » renvoyant à l’idée d’une
communauté d’origine. Il s’agit ainsi des personnes issues d’une même maison disparue. On
trouve alors les collatéraux, frères, sœurs, neveux, nièces, cousins. Enfin, la domus, qui a
diverses fonctions, est placée sous l’autorité d’un chef de famille qui jouit d’une pleine

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autonomie juridique (sui iuris). Il exerce son pouvoir sur toutes les personnes placées sous son
autorité (alieni iuris).


Dans un contexte économique nouveau lié aux conquêtes, au développement des

relations marchandes mais aussi à la formation d’une conception plus individualiste, la famille
patriarcale romaine a évolué avec la prise en compte de la parenté cognatique favorisant
l’instauration d’une parenté double. Les liens du sang deviennent prédominants et la
composition de la famille est plus resserrée avec le couple et leurs enfants puis on trouve dans
un second cercle les ascendants et collatéraux. La prise en compte plus grande de la cognation
résulte de l’influence du préteur (magistrat public) puis de la législation impériale. Le préteur
pendant la période du droit romain classique a contribué à cette évolution par une
modification des règles de dévolution successorale permettant de prendre davantage en
considération les enfants par les liens du sang. Puis, pendant la période du droit romain post
classique, l’empereur Justinien privilégie la parenté cognatique en 543 ap. J.-C.

II.

L’organisation de la famille romaine repose sur la « puissance d’un seul ». Elle est

dirigée par le mari et père de famille. Les personnes ainsi soumises au paterfamilias ne
disposent pas d’une capacité juridique. Cette direction de la famille trouve à s’exprimer en
particulier à l’égard de la femme mariée et des enfants. Le jurisconsulte Modestin (III

e

s. ap.

J.-C.) définit le mariage comme « l’union de l’homme et de la femme, une communauté de
toute la vie, la mise en commun du droit divin et humain » (Digeste 23, 2, 1). Il est alors
davantage perçu comme une relation sociale qu’un véritable acte juridique. Seules les
personnes disposant de la qualité de citoyen peuvent contracter de « justes noces ».


Deux formes de mariage sont connues à Rome mais d’autres types de vies communes

ont également existé (par exemple le concubinat). Avec le mariage cum manu, ce sont les
pères de famille qui expriment leur consentement à cette union, du moins à l’époque de
l’ancien droit, puis une évolution intervient au profit de l’expression de volonté des futurs
époux. La femme passe d’une domus à une autre. Par un acte solennel distinct de celui du
mariage et postérieur au mariage, on établit une conventio in manum. Par cet acte, elle quitte
la puissance d’un paterfamilias pour se placer sous celle d’un autre. Les biens qu’elle apporte
sont intégrés dans le patrimoine de sa nouvelle domus. Cette convention est tombée
progressivement en désuétude et ce type de mariage a disparu au début de l’Empire au profit
d’un autre type de mariage. Il se caractérise par l’absence de formalisme spécifique pour la
formation de cette union. Le mariage qualifié de sine manu ne modifie pas la situation
juridique de la femme. Elle demeure alors dans la maison de son paterfamilias. Cette seconde
forme de mariage va se développer avec la disparition progressive du mariage cum manu au
cours de la République.


Dans le cadre du mariage cum manu les biens sont intégrés à ceux de la domus du

paterfamilias du mari sur lesquels le chef de famille exerce alors toute sa puissance. Avec le
mariage sine manu, chacun des époux, sui juris, dispose d’une autonomie matrimoniale. La
femme a des biens propres que l’on nomme les paraphernaux. Elle peut en disposer librement
mais pour protéger son patrimoine de ses actes, le sénatus-consulte Velléien en 46 ap. J.-C. lui
interdit d’intercéder, de s’engager ou d’hypothéquer ses biens au profit de son mari ou
d’autrui sauf si elle manifeste une intention libérale. Par ailleurs, le père de famille de
l’épouse fait au mari une donation (la dot) d’éléments patrimoniaux pour contribuer aux
charges du mariage et à l’éducation des enfants. La femme a aussi bénéficié, sous l’influence

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d’une pratique orientale et du christianisme, d’un gain de survie en cas de veuvage avec la
donatio propter nuptias.


Le mariage dure en principe jusqu’à la mort mais divers éléments ou événements

peuvent être source d’une rupture. Un temps limité sous l’ancien droit romain et encadré pour
la répudiation par le mari de sa femme, le divorce, à la fin de la République et au début de
l’Empire, est possible. Une réaction se manifeste avec la législation d’Auguste et à partir du
début du IV

e

siècle avec l’influence du christianisme.


La puissance du paterfamilias s’exprime sur les enfants à l’occasion du mariage cum

manu, elle se manifeste aussi de manière plus générale à travers la notion de patria potestas
ainsi que par l’établissement du lien de filiation. La puissance paternelle va quelque peu
évolué à l’égard du fils de famille à la fin de la République. Le fils va pouvoir disposer d’une
plus grande liberté dans le cadre du pécule (ensemble de biens remis par le paterfamilias à un
alieni iuris qui en a l’usage et la jouissance avec la seule libre administration).

En matière de filiation trois situations sont envisageables : la filiation légitime dans le

cadre du mariage, la filiation naturelle des enfants nés hors mariage et les possibilités de
légitimation et enfin la filiation adoptive. Pour la filiation légitime, le principe posé à Rome
est que l’enfant né d’une femme mariée est censé avoir pour père le mari de sa mère. Une
seconde présomption a été prévue en cas d’une naissance peu de temps après le mariage ou
après la mort du mari. Elle envisage la durée de la grossesse comprise entre six et dix mois.
Pour les enfants naturels nés hors mariage, certains conditions et moyens existent pour
permettre de les assimiler à des enfants légitimes. Enfin l’adoption est un mode habituel à
Rome d’établissement d’une filiation et de rattachement au paterfamilias. Elle intéresse soit
un sui iuris (adrogation) soit un alieni iuris (adoption proprement dite). Elle emporte des
conséquences plus lourdes dans le premier cas en ce que la personne ayant une capacité
juridique la voit diminuer (capitis deminutio) et devient alors alieni iuris. Mesure importante
du fait de la disparition de la domus de l’adrogé, elle a fait l’objet d’un contrôle par la
République puis l’Empire.

Parenté, mariage, puissance paternelle et maritale ou encore filiation sont quelques

exemples qui permettent d’appréhender quelques-unes des caractéristiques de la famille à
Rome et de son évolution depuis les origines jusqu’à l’Empire. Ces diverses règles qui
participent à l’organisation et à la direction de la famille romaine ont aussi contribué à nourrir
un modèle familial à différentes époques en Europe.

Quelques indications bibliographiques

M. Ducos, Rome et le droit, Paris, 1996.

J. Gaudemet, Les naissances du droit. Le temps, le pouvoir et la science au service du droit,
Paris,

4

e

éd

., 2006.

P. Grimal, La civilisation romaine, Paris, 1984.

A. Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris,
1996.

J.-L. Thireau, Introduction historique au droit, Paris, 2009.

Y. Thomas et A. Rouselle, « La famille à Rome et dans l’Empire romain », La famille dans la
Grèce antique et à Rome
, Paris, 1986, p. 65 et s.

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Petit glossaire

Adrogatio : procédure particulière d’adoption par laquelle un paterfamilias se soumet à la
puissance paternelle d’un autre paterfamilias pour devenir juridiquement son fils.
Agnats : parents par les mâles.
Agnatio : système de parenté civile selon lequel ne sont parents que ceux qui se trouvent sous
la même puissance paternelle ou s’y trouveraient si le paterfamilias commun vivaient encore.
Alieni iuris : personne soumise à la puissance du père de famille.
Capitis deminutio : terme qui indique la perte de l’un des trois statuts complémentaires
(liberté, citoyenneté, statut familial) qui définissent la position juridique de l’individu dans la
société. Ce changement dans le statut juridique d’une personne peut être maximale (personne
libre devant esclave), moyenne (perte de la citoyenneté romaine) ou minime (perte du statut
de sui iuris comme dans le cas de l’adrogation).
Cognats : parents du côté maternel.
Cognatio : lien de parenté qui unit ceux qui par les mâles et par les femmes ont un ancêtre
commun ou qui font partie de la même famille (parenté du sang).
Conubium : capacité de se marier.
Conventio in manum : entrée de la femme pubère sous la puissance de son mari, sui iuris, lors
d’un mariage cum manu.
Domus : groupe familial composé du chef de famille et de tous ceux qui sont soumis à sa
puissance.
Dot (dos) : éléments patrimoniaux donnés au mari par le père de famille de l’épouse pour
subvenir aux charges du mariage.
Familia : groupe familial comprenant le père de famille et les personnes placées sous sa
puissance.
Gens : groupe de familles dont les chefs descendent, par les hommes, d’un ancêtre commun,
ce groupe est déterminé par la communauté de nom et de culte de cette parenté.
Ius vitae ac necis : droit de vie et de mort qu’aurait eu selon l’ancien droit romain le père de
famille sur les personnes placées sous sa puissance.
Manus : puissance du chef de famille, plus spécialement, du mari sur sa femme (mariage cum
manu
).
Manus maritalis : puissance exercé par le mari s’il est sui iuris, ou par son paterfamilias si le
mari est alieni iuris, sur son épouse lors d’un mariage cum manu.
Mater familias : mère de famille lorsqu’elle est juridiquement autonome (sui iuris).
Paterfamilias : homme juridiquement autonome qui exerce en tant que père de famille son
autorité sur une famille.
Patria potestas : pouvoir, puissance du paterfamilias exercé sur l’ensemble des membres de la
familia.
Sui iuris : sujet de droit autonome qui n’est placé sous la puissance de personne.
Tria nomina : système d’identification des citoyens romains comportant trois noms : prénom
(praenomen), nom de famille (nomen) et le surnom (cognomen).


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