Comment prédire les prix du pétrole à six semaines avec
74% d'exactitude
Marc Mayor, rédacteur de la Lettre Suisse des Initiés
BDI
Est-il possible de prédire l'évolution du prix du baril de pétrole à travers un indice agrégé ?
Cela semble peu probable au vu de la complexité des mécanismes pouvant faire osciller l'offre
et la demande du brut.
Pourtant, un indice relativement peu suivi (à tort !) par les investisseurs privés joue ce rôle
d'indicateur avancé : le Baltic Dry Index.
Rien à voir avec un groupe lituanien, champion à l'Eurovision, ni avec la dernière nouvelle
boisson à la mode (sans alcool bien sûr). Non, le BDI mesure le coût du transport
maritime en vrac des matières sèches. Il peut s'agir de sable, de granulats, de céréales,
mais aussi de matériaux denses comme les minéraux de fer.
Un indicateur avancé performant
Son calcul est relativement simple. Le très respectable Baltic Exchange de Londres, déjà
présent en 1744, demande à des courtiers dans le monde entier de lui donner, chaque jour
ouvrable, un prix pour une cargaison XY allant d'un port A à un port B. Par exemple, "quel est
le prix négocié pour 100 000 tonnes de minerai de fer entre San Francisco et Shanghai."
Cette mesure permet donc de quantifier aujourd'hui une demande réelle pour une
production à venir. En effet, à la différence des indices avancés classiques de production
(constructions immobilières, ventes de voitures neuves, et j'en passe), le BDI est un véritable
précurseur de la machine de production mondiale.
Cet indicateur fait d'ailleurs le bonheur de nombreux économistes qui veulent évaluer
l'activité économique des prochains trois à six mois -- bien avant même le pétrole, qui n'est
souvent utile, pour les industriels, que pour huiler et faire tourner la machine (déjà en route).
Une hausse du Baltic Dry permet donc de prédire, plusieurs mois en avance, une augmentation
du prix du baril de brut.
Une offre peu spéculative et franchement inélastique
J'entends déjà les puristes dire que le BDI dépend tant de la demande que de l'offre. Ce qui
est vrai. Un bateau de moins sur l'océan fera forcément rehausser le sex-appeal des cargos
restants (si, bien sûr, la demande reste identique). C'est d'ailleurs le cas également pour le
pétrole, dont le prix n'hésite pas à flamber dès qu'un émir décide de couper le robinet pour
s'offrir une nouvelle Rolls.
Mais, à la grande différence de ce dernier, l'offre sur le BDI ne peut être spéculative (car il
s'agit de commandes réelles) et se trouve être extrêmement inélastique (la construction
d'un cargo de marchandise prend grosso modo deux ans et son coût est tellement élevé qu'il
serait risible de le mettre en inactivité).
C'est donc bel et bien la demande qui fait monter l'indice
Notamment, et surtout, celle provenant de l'empire du Milieu. Selon les dernières statistiques
officielles, la Chine a en effet importé 515,1 millions de tonnes métriques de minerai de fer au
cours des 10 premiers mois de l'année, soit déjà 16% de plus que sur l'ensemble de l'année
2008 (dont les premiers mois, rappelez-vous, avaient déjà atteint un record historique).
A cela s'ajoutent les chiffres hallucinants des importations de charbon pour juin, juillet, août et
septembre, qui ont été les quatre mois les plus actifs de l'histoire tandis que la demande n'est
pas prête à s'estomper au vu des multiples programmes de relance.
La demande affole les compteurs
Demande qui fait immanquablement monter les prix, y compris celui du pétrole. Prenons un
exemple concret : Port Hedland, une petite ville abritant quelque 12 000 valeureuses âmes
dans la chaleur moite du nord-ouest de l'Australie. Au vu de sa situation géographique et de sa
proximité avec d'énormes gisements (c'est notamment le lieu de transit pour les fameux
minerais de fer extraits par BHP dans la région du Pilbara, un peu plus à l'Est), elle est
devenue le point d'amarrage numéro un pour satisfaire la soif de l'Asie entière.
Voilà qui est de bon augure pour la production à venir
La demande est aujourd'hui telle que les cargaisons de minerai de fer depuis Port Hedland
représentent près de 1,5% du PIB de l'Australie. Et sa croissance continue d'affoler les
compteurs. Selon les statistiques des autorités portuaires de Port Hedland, sur les 14,9 millions
de tonnes de matériaux expédiés en octobre dernier, plus de deux tiers (67,5% pour être
précis) concernaient du minerai de fer à destination de la Chine. Soit une augmentation de
42% depuis 2008.
Répondant à une explosion de demande, cette nouvelle frénésie des transporteurs poussera
immanquablement la production mondiale à terme, et, avant cela, le prix du baril de pétrole.
Pour s'en convaincre, regardons le graphique ci-dessous. Il s'agit de l'évolution depuis début
2007 du Baltic Dry Index et du West Texas Intermediate (WTI, le brut de référence américain),
exprimé en euros.
Une corrélation forte, avec un léger décalage dans le temps
Visuellement, l'évolution des deux indices sous-entend une corrélation importante, mais avec
un léger retard. En effet, le coefficient de détermination (que les spécialistes appellent le R2,
soit la somme au carré du coefficient de corrélation) atteint 0,61 en temps réel et 0,74 en
introduisant un délai de six semaines entre le BDI et le WTI.
Un chiffre vraiment impressionnant...
Et le coefficient de corrélation atteint 0,76 entre deux indices fortement corrélés par nature : le
WTI en euros et l'OSX (le fameux indice de Philadelphie qui regroupent les titres de 15 des
plus grandes sociétés de service pétroliers).
+45% depuis le début de l'année
Au vu de la reprise de l'activité économique, notamment à travers le moteur chinois et les
divers plans de relance, le Baltic Dry Index a bondi de plus de 45% depuis le début de l'année.
[NDLR : N'oubliez pas l'effet moteur des plans de relance mondiaux sur certains secteurs bien
particuliers ! Vous pourriez en profiter pour saisir des opportunités boursières ultra-profitables
et peu connues des autres investisseurs... Notre expert des matières premières peut vous
Actuellement, il se trouve en phase haussière. Ce qui laisse sous-entendre que le pétrole a de
beaux jours devant lui (même si le rebond du dollar actuellement le met à mal) avec, peut-être
déjà, une année 2010 probablement marquée par un nouveau passage au-dessus des 100
dollars le baril.