Paul VERLAINE (1844-1896)
Soleils couchants
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mlancolie
Des soleils couchants.
La mlancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'tranges ręves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grŁves,
Fantmes vermeils,
Dfilent sans tręves,
Dfilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grŁves.
Mon ręve familier
Je fais souvent ce ręve trange et pntrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout ą fait la męme
Ni tout ą fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hlas ! cesse d'ętre un problŁme
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blęme,
Elle seule les sait rafrachir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aims que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chŁres qui se sont tues.
Chanson d'automne
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blęme, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deą, delą,
Pareil ą la
Feuille morte.
Clair de lune
Votre me est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs dguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire ą leur bonheur
Et leur chanson se męle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait ręver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.
Colloque sentimental
Dans le vieux parc solitaire et glac
Deux formes ont tout ą l'heure pass.
Leurs yeux sont morts et leurs lŁvres sont molles,
Et l'on entend ą peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glac
Deux spectres ont voqu le pass.
- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?
- Ton coeur bat-il toujours ą mon seul nom?
Toujours vois-tu mon me en ręve? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Oł nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il tait bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Green
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.
Ne le dchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'ą vos yeux si beaux l'humble prsent soit doux.
J'arrive tout couvert encore de rose
Que le vent du matin vient glacer ą mon front.
Souffrez que ma fatigue ą vos pieds repose
Ręve des chers instants qui la dlasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tęte
Toute sonore encore de vos derniers baisers ;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempęte,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Il pleure dans mon coeur
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pnŁtre mon coeur ?
bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie,
le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'coeure.
Quoi ! nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine !
Le ciel est par-dessus le toit
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est lą
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-lą
Vient de la ville.
Qu'as-tu fait, toi que voilą
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilą,
De ta jeunesse ?
Ecoutez la chanson bien douce
Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrŁte, elle est lgŁre :
Un frisson d'eau sur de la mousse !
La voix vous fut connue (et chŁre ?)
Mais ą prsent elle est voile
Comme une veuve dsole,
Pourtant comme elle encore fiŁre,
Et dans les longs plis de son voile,
Qui palpite aux brises d'automne.
Cache et montre au coeur qui s'tonne
La vrit comme une toile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bont c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D'ętre simple sans plus attendre,
Et de noces d'or et du tendre
Bonheur d'une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naf pithalame.
Allez, rien n'est meilleur ą l'me
Que de faire une me moins triste !
Elle est en peine et de passage,
L'me qui souffre sans colŁre,
Et comme sa morale est claire !...
Ecoutez la chanson bien sage.
La bise se rue ą travers
La bise se rue ą travers
Les buissons tout noirs et tout verts,
Glaant la neige parpille
Dans la campagne ensoleille.
L'odeur est aigre prŁs des bois,
L'horizon chante avec des voix,
Les coqs des clochers des villages
Luisent crment sur les nuages.
C'est dlicieux de marcher
A travers ce brouillard lger
Qu'un vent taquin parfois retrousse.
Ah ! fi de mon vieux feu qui tousse !
J'ai des fourmis plein les talons.
Debout, mon me, vite, allons !
C'est le printemps svŁre encore,
Mais qui par instants s'dulcore
D'un souffle tiŁde juste assez
Pour mieux sentir les froids passs
Et penser au Dieu de clmence...
Va, mon me, ą l'espoir immense !
Art potique
De la musique avant toute chose,
Et pour cela prfŁre l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pŁse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque mprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Oł l'Indcis au Prcis se joint.
C'est des beaux yeux derriŁre des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attidi,
Le bleu fouillis des claires toiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le ręve au ręve et la flte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l'loquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'nergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'oł ?
O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nŁgre fou
Nous a forg ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envole
Qu'on sent qui fuit d'une me en alle
Vers d'autres cieux ą d'autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crisp du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littrature.
Crimen amoris
(A Villiers de l'Isle-Adam)
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux dmons, des satans adolescents,
Au son d'une musique mahomtane,
Font litiŁre aux Sept Pchs de leurs cinq sens.
C'est la fęte aux Sept Pchs : qu'elle est belle !
Tous les dsirs rayonnaient en feux brutaux ;
Les Apptits, pages prompts que l'on harcŁle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.
Des danses sur des rhythmes d'pithalames
Bien doucement se pmaient en longs sanglots
Et de beaux choeurs de voix d'hommes et de femmes
Se droulaient, palpitaient comme des flots.
Et la bont qui s'en allait de ces choses
tait puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamant.
Or, le plus beau d'entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croiss sur les colliers et les franges,
Il ręve, l'oeil plein de flammes et de pleurs.
En vain la fęte autour se faisait plus folle,
En vain les Satans, ses frŁres et ses soeurs,
Pour l'arracher au souci qui le dsole,
L'encourageaient d'appels de bras caresseurs :
Il rsistait ą toutes clineries,
Et le chagrin mettait un papillon noir
A son cher front tout brlant d'orfŁvreries.
l'immortel et terrible dsespoir !
Il leur disait : " vous, laissez-moi tranquille ! "
Puis, les ayant baiss tous bien tendrement,
Il s'vada d'avec eux d'un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vętement.
Le voyez-vous sur la tour la plus cleste
Du haut palais avec une torche au poing ?
Il la brandit comme un hros fait d'un ceste,
D'en bas on croit que c'est une aube qui point.
Qu'est-ce qu'il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d'entendre ?
"Oh ! je serai celui-lą qui crera Dieu !
" Nous avons tous trop souffert, anges et hommes,
De ce conflit entre le Pire et le Mieux.
Humilions, misrables que nous sommes,
Tous nos lans dans le plus simple des voeux.
" vous tous, nous tous, les pcheurs tristes,
les gais Saints, pourquoi ce schisme tętu ?
Que n'avons-nous fait, en habiles artistes,
De nos travaux la seule et męme vertu ?
"Assez et trop de ces luttes trop gales !
Il va falloir qu'enfin se rejoignent les
Sept Pchs aux Trois Vertus Thologales !
Assez et trop de ces combats durs et laids !
"Et pour rponse ą Jsus qui crut bien faire
En maintenant l'quilibre de ce duel,
Par moi l'enfer dont c'est ici le repaire
Se sacrifie ą l'amour universel !"
La torche tombe de sa main ploye,
Et l'incendie alors hurla s'levant,
Querelle norme d'aigles rouges noye
Au remous noir de la fume et du vent.
L'or fond et coule ą flots et le marbre clate ;
C'est un brasier tout splendeur et tout ardeur ;
La soie en courts frissons comme de l'ouate
Vole ą flocons tout ardeur et tout splendeur.
Et les Satans mourants chantaient dans les flammes,
Ayant compris, comme s'ils taient rsigns.
Et de beaux choeurs de voix d'hommes et de femmes
Montaient parmi l'ouragan des bruits igns.
Et lui, les bras croiss d'une sorte fiŁre,
Les yeux au ciel oł le feu monte en lchant,
Il dit tout bas une espŁce de priŁre,
Qui va mourir dans l'allgresse du chant.
Il dit tout bas une espŁce de priŁre,
Les yeux au ciel oł le feu monte en lchant...
Quand retentit un affreux coup de tonnerre,
Et c'est la fin de l'allgresse et du chant.
On n'avait pas agr le sacrifice :
Quelqu'un de fort et de juste assurment
Sans peine avait su dmęler la malice
Et l'artifice en un orgueil qui se ment.
Et du palais aux cent tours aucun vestige,
Rien ne resta dans ce dsastre inou,
Afin que par le plus effrayant prodige
Ceci ne ft qu'un vain ręve vanoui...
Et c'est la nuit, la nuit bleue aux mille toiles ;
Une campagne vanglique s'tend,
SvŁre et douce, et, vagues comme des voiles,
Les branches d'arbre ont l'air d'ailes s'agitant.
De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre ;
Les doux hiboux nagent vaguement dans l'air
Tout embaum de mystŁre et de priŁre :
Parfois un flot qui saute lance un clair.
La forme molle au loin monte des collines
Comme un amour encore mal dfini,
Et le brouillard qui s'essore des ravines
Semble un effort vers quelque but runi.
Et tout cela comme un coeur et comme une me,
Et comme un verbe, et d'un amour virginal
Adore, s'ouvre en une extase et rclame
Le Dieu clment qui nous gardera du mal.
Stphane MALLARME (1842-1898)
L'azur
De l'ternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le pote impuissant qui maudit son gnie
A travers un dsert strile de Douleurs.
Fuyant, les yeux ferms, je le sens qui regarde
Avec l'intensit d'un remords atterrant,
Mon me vide. Oł fuir ? Et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mpris navrant ?
Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Que noiera le marais livide des automnes,
Et btissez un grand plafond silencieux !
Et toi, sors des tangs lthens et ramasse
En t'en venant la vase et les ples roseaux,
Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font mchamment les oiseaux.
Encor ! que sans rpit les tristes chemines
Fument, et que de suie une errante prison
Eteigne dans l'horreur de ses noires tranes
Le soleil se mourant jauntre ą l'horizon !
- Le Ciel est mort. - Vers toi, j'accours ! Donne, matiŁre,
L'oubli de l'Idal cruel et du Pch
A ce martyr qui vient partager la litiŁre
Oł le btail heureux des hommes est couch,
Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vide
Comme le pot de fard gisant au pied d'un mur,
N'a plus l'art d'attifer la sanglotante ide,
Lugubrement biller vers un trpas obscur...
En vain ! l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante
Dans les cloches. Mon me, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa victoire mchante,
Et du mtal vivant sort en bleus angelus !
Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu'un glaive sr ;
Oł fuir dans la rvolte inutile et perverse ?
Je suis hant. L'Azur ! l'Azur ! l'Azur ! l'Azur !
Brise marine
La chair est triste, hlas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! lą-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'ętre parmi l'cume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflts par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
nuits ! ni la clart dserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur dfend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balanant ta mture,
LŁve l'ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, dsol par les cruels espoirs,
Croit encore ą l'adieu supręme des mouchoirs !
Et, peut-ętre, les mts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mts, sans mts, ni fertiles lots ...
Mais, mon coeur, entends le chant des matelots !
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