Remarques et orientations pour la rédaction du commentaire composé de l’extrait du Haut Livre du Graal
S’assurer d’avoir bien compris le texte, au niveau simplement littéral. Des problemes avec la compréhension se sont manifestés de temps à autre, et ont nui à la qualité de l’analyse. Donc, il s'agit de lire ATTENTIVEMENT, plutôt que de passer à l’analyse sans avoir bien saisi la signification des mots et des phrases.
L’écuyer (qui n’est donc pas un chevalier) est le premier à faire l’expérience du macabre.
S’il sent « des têtes et des pieds des hommes qui sont morts », cela ne veut pas dire que ce sont des parties mutilés du corps ; ce sont ici, pour ainsi dire, les extrémités des cadavres, que l’écuyer tâte dans l’obscurité.
Une « créature de Dieu » ne veut pas dire « ange » ou « être divin ». Cela veut dire simplement que la demoiselle est un être humain, mortel, et pas un démon ou un fantôme.
Il n’est nulle part dit que c’est la demoiselle qui massacre les chevaliers dont elle apporte les dépouilles. Le texte parle des « chevaliers qui se faisaient tuer au sein de cette forêt et dans ce manoir ». On ne sait donc pas qui est-ce qui tue les chevaliers.
Ce sont là les erreurs apparues assez systématiquement.
Procéder à un questionnement systématique du texte.
Son thème : une quête ou une expédition chevaleresque, une découverte macabre et une rencontre insolite, au sein de la forêt, la nuit ; la peur. Motifs qui sont récurrents dans la littérature de l’époque, mais ici avec une exacerbation de l’horreur.
Son genre littéraire : fragment d’un roman, de type narratif, domaine arthurien.
Sa tonalité/registre littéraire : récit d’épouvante, coloration fantastique (ou merveilleuse ?).
Son intérêt : présenter une histoire d’épouvante, construire l’atmosphère du mystère et du malaise, mais proposer aussi une certaine moralité : la cruauté est cruellement punie.
Résonances chez le lecteur : le texte fait appel surtout aux émotions : d’abord l’intérêt et une vague inquiétude (qu’a vu l’écuyer ? nous l’ignorons d’abord, nous ne voyons que les manifestations de ses émotions), puis, le choc et le dégoût (tas de cadavres), perplexité ensuite à la vue de la demoiselle, dégoût et/ou peur provoqué par la description du cadavre mutilé, de la pitié peut-être ? L’appel aussi aux peurs ataviques de l’homme, ce qui alimente le fantastique.
2e lecture : niveau lexical
Champs lexicaux/sémantiques : celui de la peur (surtout dans le 1er paragraphe : comble de l’effroi, implorer la mère du Sauveur, jamais eu si peur, glacé d’effroi, manqua défaillir) ; celui de l’isolement (dans tout le fragment : forêt ténébreuse, maison ruinée d’aspect épouvantable, demoiselle à pied et toute seule, plaintes pathétiques, dans cette forêt et dans cette demeure, les guetter toute seule, sans personne), celui de la mort et de la décomposition (têtes et pieds d’hommes qui étaient morts, le cadavre (à 2 reprises), chevaliers qui se faisaient tuer, le cadavre resté longtemps dans la forêt), celui de la mutilation et des blessures (pieds en sang, épines et ronces, moitié du cadavre, couper le nez, crever les yeux, couper les pieds et les mains, bêtes sauvages ont dévoré la moitié du corps), celui de l’incertitude/du fantastique (lui demandèrent ce qu’il avait, chevaliers stupéfaits, considéra avec stupeur, êtes-vous une créature de Dieu ?, coutume (2 reprises, une sorte de tabou/malédiction, origine mystérieuse)) ; vocabulaire moral (Mon Dieu, pénitence (2 reprises), traitement cruel/ignominieux, grande perfidie, payer cher)
Étudier le cadre spatio-temporel, formes, mouvements, valeurs symboliques : la forêt, la nuit, l’espace sauvage, les créatures maléfiques. Une sorte de l’ « Ailleurs et Autrefois », avec aussi le personnage de l’Autre (la demoiselle maléfique/malheureuse, peut-être aussi une puissance cachée qui lui avait imposé sa coutume/sa pénitence)
Le registre de la langue : une sorte de crescendo de l’horreur, avec une pointe moralisante, mais sans dissiper le malaise ; domination du vocabulaire de la violence et du macabre (registre dominant), le registre moralisant n’est que secondaire. Il est important de relever le contraste entre le mot « pénitence » appartenant au registre religieux/théologique (mais difficilement compatible avec la pratique de la demoiselle, consistant à jeter les cadavres sur le sol d’une chambre), et le mot « coutume », appartenant au registre du merveilleux païen.
Structures grammaticales et leurs effets de sens – pronoms, détreminants, épithètes, superlatifs (p. ex. une chambre – la chambre la plus perfide du monde, au plus vite qu’il put, il n’avait senti que, jamais eu si peur, comme elle est longue, quand donc, toute seule, tout décoiffés, complètement déchirée, si longtemps que etc. ; on peut relever les articles indéterminés dans la description de la demoiselle, qui renforcent l’incertitude quant à son origine), constructions nominales (description de la scène), exclamatives (Mon Dieu), interrogatives (ce qu’il avait, quand donc, êtes-vous), choix d’épithètes soulignant la violence, le danger et le macabre (ténébreuse, épouvantable, perfide, pathétique, déchirée, cruels etc) ; narration paratactique, etc. Il faut également noter les tournures impersonnelles (pénitence me fut imposée, il me fallait, comme l’exigeait la coutume) qui augmentent l’incertitude quant à l’origine de la « pénitence » de la demoiselle.
3e lecture – étude des images (métaphores, métonymies, hiperboles etc. – les figures de la rhétorique.)
On peut noter l’usage de l’hiperbole : la chambre la plus perfide, que des têtes et des pieds, plus de 200, glacé d’effroi (c’est aussi une métaphore), tout en sang, très grande beauté, robe complètement déchirée etc.
Des exclamations/questions rhétoriques : Mon Dieu, comme elle est longue, quand donc)
4e lecture : sons et rhytmes. Cette lecture est plutôt accessoire dans le cas du roman médiéval en prose, ignorant le jeu de sonorités et les profits que l’on peut en tirer, tout au plus, on peut relever l’alternance rhytmique des phrases descriptives du début et de la fin du texte, et des exclamations qui marquent l’apparition de la demoiselle.
5e lecture : construction d’une signification d’ensemble :
rassembler les résultats de ce pts de vue partiels, les confronter au contexte
examiner le fragment à la lumière des catégories esthétiques (esthétique médiévale : images topiques – forêt, demeure, chevaliers, demoiselle, esthétique de l’horreur et du macabre, éléments du merveilleux et du fantastique) et idéologiques (religion, crainte du diable, châtiment, pénitence, mystère)
Organiser les remarques en un plan détaillé. Vous pouvez choisir :
de suivre les structures du texte/étapes du récit : 1. Nœud (la préparation de la scène, ses circonstances, l’expérience de l’écuyer en tant que prélude au texte), 2. Péripéties (l’apparition de la demoiselle sur le fond ainsi préparé, son aspect extérieur, ses paroles mystérieuses, son occupation effrayante), 3. Dénouement (découverte de l’identité de la demoiselle, l’explication de sa situation, ses causes et ses effets, mais – ce qui paraît laisser planer un aura fantastique – certains éléments manquent toujours et ne sont nullement expliqués : qu’est-ce que c’est que cette demeure déserte, à qui appartient-elle, pourquoi les corps des morts sont déposés dans une chambre au lieu de tombeau, qui a imposé la pénitence à la demoiselle, qu’est-ce cette « coutume » mystérieuse qui précise les modalités de sa « pénitence » etc.)
suivre le fil conducteur de la peur ou des peurs ataviques qui alimentent le fantastique : 1. La peur de la nuit et de l’isolement (nuit, forêt ténébreuse, maison déserte, ensuite la solitude de la demoiselle), 2. La peur de l’inconnu (l’effroi de l’écuyer vu par les chevaliers, l’incompréhension de la « coutume » de la demoiselle, manque d’explications finales satisfaisantes), 3. La peur de la mort/des morts et de la putréfaction (200 cadavres probablement déjà pourrissants dans la chambre, cadavre resté longtemps dans la forêt), 4. La peur de la femme maléfique/démoniaque (la demoiselle très belle, mais ayant l’allure d’une sorcière en même temps, sa cruauté « castratrice » - elle mutile les hommes – doutes quant à sa nature), 5. La peur de la mutilation et de la violence animale (la moitié du cadavre, l’autre moitié dévorée par les bêtes sauvages, les nez, pieds et mains coupés, yeux crevés
choisir encore une autre voie... pourvu que l’ordre soit visible.