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20 LE MAROC CATHOLIQUE

fleur de peau. Tous ces « ignorants » des tentes ont eton-namment le rythme k fleur de peau : tout est rythme chez eux... chez le maęon qui damę le pisć « en mesure chez la femme qui moud son grain « en mesure », chez la mere qui pleure son enfant « en mesure ».

Et donc le brave Berbóre... 1’ignorant, pas 1’autre... nous arróte. « Ifleg waoual nous dit-il, le « mot » est tordu (le mot, il veut dire par 1& l’un des divers ćlćments dont se compose le chant, parfols un mot, mais aussi par-fois plusieurs mots). J’insiste. Les oreilles ne sont pas contentes, dit-il. Pour que 1'izli soit droit, il faut que cha-que « awal » soit ćgal & l’autre « awal »... « Les « Mra-lioun » (pluriel d’a\val) ne sont pas egaux » : ceci signi-fie non pas qu’ils ne comprennent pas un nombre ćgal de mots mais qu'ils ne s’ćquilibrent pas. — Nous lui posons d’autres questions : « Comment reconnais-tu que c’est tordu ou que c’est droit ? Je ne sais pas — Nous lui « souf-flons » : Avec les oreilles ? — Oui — Avec la bouche ? — Oui — Et il ajoute : La bouche me dit qu’il manque quelque chose. (1) Une autre de ses paroles : Lorsque 1'awal n’est pas droit, le tambourin ne s’accorde pas avec lui. C'est la pensee (la te te) qui commande. Elle comman-de aux mains et k la bouche... Quel document prćcieux pour les psychologues que ces paroles : nous les leur li-vrons toutes fraiches, qu’ils y reflćchissent longuement.

Autre question : les combinaisons des clichćs ryth-miques sont-elles voulues et conscientes... ou instincti-ves, etc., etc.

Voil& pour le mecanisme physiologique de l’improvi-sation et aussi la transmission orale.

Maintenant le mecanisme mental.

La Sainte Vierge qui improvise son Magnificat ! In-vraisemblable, Monsieur 1’Erudit, decide doctoralement votre haute science que personne ne conteste mais qui devient si pćdante k force de se perdre dans le thćorique. Vous savez la Bibie k fond et de ci de 1&, parsemes de cótć et d’autre les « morceaux ■» du Magnificat y ćtatont dćj&, dites-vous. Conclusion scientifique : le Magnificat est un « centon » composć aprćs coup.

Yenez ici, Monsieur le Professeur ćrudit, entrez chez nous, asseyez-vous sur la natte ou prennent place nos braves Berbćres quand ils viennent nous voir.

A votre intention, nous avons convoquć un de ces rć-citateurs qui parcourent le bied en hiver, ou un de ces poćtes que l’on retrouve k toutes les rćunions joyeuses. Vous allez entendre improviser le Magnificat. Cet homme est le premier venu, sans aucune culture livresque (l’Oc-cidental que vous etes ne lui refusera pas pour ce fait toute valeur humaine), un brave homme qui laboure, qui seme, qui recolte, et tout cela lui-móme de ses propres mains.

Tendez 1’oreille : il a prćludć et tout de suitę le rythme instinctif 1’emporte, la parole infatigablement at-tire la pensće, il « recite », il « rćcite » sans fin : ce qui veut dire improviser.

Saluons au passage des «figures» bien connues, (les clichćs habituels) mais leur danse d’cnsemble pour laquel-

(1) Cette remarąue du fruste Jler)xre est parfaitement d‘accord avec les donn'es les plus rigoureuses de la phonćt*-que expćrimentale sur le role prćdominant des niusclos .*&-rlngo-bucaux dans la crćation et le rappel du rytbmc. le elles se sont miscs au pas nous semble toute nouvelle

et nous intćresse tant ! Vous ne comprenez pas le Berbć-re : il a chantć son Magnificat.

Oui, il a chantć son Magnificat. De cette rćcitation, de cette improvisation 1’ensemble est de lui, le tout vivant et organique est de lui. Les « morceaux » 11 les a pris partout, comme probablement Homćre les « morceaux t> de son Iliadę, et aussi le trouvćre gćnial de la Chanson de Roland. II les a trouvćs tout amenuisćs dćja : ce sont les cliches dont nous parlerons plus loin en dćtail. Nous chercherons aussi les variations qu’ils subissent d’un chant k 1’autre, d'une tribu k 1’autre ; nous ćtudierons le mecanisme suivant lequel on les utilise.

Le travail de ce troubadour berbere a ćtć de ramas-ser ces ćlćments ; ils sont, encore une fois, sur toutes les lćvres et dans toutes les oreilles berbdres ; mais les ayant ramassćs, comme un ch&toyant tres riche qui sait livrer a tour de róle chacune de ses millc nuances aux appels varićs des ćclairements divers, ils ont pris une tonalitć spściale pour s'accorder dans le dessin nouveau ou ils ont ćte insćrćs.

Vous avez cherche dans la Bibie et sur les lćvres des Hebreux les « cliches » du Magnificat : vous les avez trouves et vous etes fiers. Votre fierte, voulez-vous le sa-voir : c’est la cruautć k froid d’un « tueur de vie », vivi-secteur maladroit dont le bistouri a du premier coup as-sassinć, pour que 1’assassin puisse dire que c’ćtait dćjA mort.

Vous ne savez pas... ou plutót... vous ne savez que les livres, ce qui est la meme chose. Entendez le grand sa-vant. II est montć dans sa chaire. Trćs solennellement et tres sćrieusement, il dćbute : Le rossignol, Messieurs, est un oiseau.. Comme les autres oiseaux. il a une tćte, un corps, des pattes, des ailes et sur ęa, des plumes. Sa gor-ge est mu»iie de muscles ou cordes vocales qui laissent entre elles une fente que les mouvements d’un cartilage forcent k s’ćlargir ou k se retrecir. (Au fond personnelle-ment je ne sais plus si ęa sc passe comme ęa chez lui et si le cartilage « arytenoide » (je viens de chercher ce nom sur le dictionnaire Larousse), si ce cartilage joue son róle dans sa pauvre gorge de bete comme il le joue dans notre digne gorge humaine).

Tćte, corps, pattes, plumes, cartilage : Monsieur le Professeur a dit... II a dit... ęa y est ; maintenant vous savez... Vous savez pourquoi, sous les ćtoiles recueillies, les belles nuits d'ćte se taisent subitement amoureuses du chantre eperdu.

Vivisecteur, Monsieur le Professeur, c'est fossoyeur qu il faut dire : vous avez la sadique manie du cadavre. La vie splendide, ęa se contemple, on s’en approche, on tend la main vers elle, on veut la faire sienne ! Vous, vous la dćcoupez en tranches mortes et ces tranches mortes vous les ćtalez et vous criez victorieusement que c'est mort, que c’est mort comme autre chose que vous avez aussi commence par tuer. Vous detestez la vie, Monsieur le Professeur.

Une demarche contraire nous a mene aux etudes de littćrature orale berbere et nous a passionne pour elle : rechercher comment operent les compositeurs oraux, comment avec des ćlćments a eux donnćs, ils font un tout per-sonnel et vivant.

Oui, une dćmarche contraire : il est vrai que nous ne sommes pas un grand savant. Et ęa nous est bien ćgal pourvu que nous soyons un homme.

Paul HECTOR.



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