école

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« Le niveau baisse. »

Dans un livre au titre provocateur, Le Niveau monte,

Christian Baudelot et Roger Establet ont remarqué

que dès 1820, des universitaires s’étaient plaints

du niveau insuffisant des bacheliers.

Les mêmes auteurs montrent que ce genre de cri-

tiques n’a pratiquement jamais cessé depuis, et ils se
demandent avec humour comment des générations
de plus en plus stupides ont pu accomplir les extra-
ordinaires progrès techniques et scientifiques de ces
deux derniers siècles. Cette question du niveau est
en fait une de celles pour lesquelles nous avons le
plus tendance à confondre évaluations objectives et
appréciations subjectives.

Tous les spécialistes qui ont essayé d’évaluer

sérieusement le niveau des élèves et des étudiants
sont unanimes : depuis le début du

XX

e

siècle, le

niveau global des connaissances exigées des élèves a
augmenté, et le nombre d’élèves obtenant de bons
résultats aussi. Deux exemples illustrent cette réalité.

Le premier concerne l’école primaire. À l’apogée

de « l’école de Jules Ferry », dans les années 1930,
on estimait qu’un élève savait lire s’il pouvait déchif-
frer à haute voix un texte simple et répondre à
quelques questions de vocabulaire. Pourtant, la
moitié des Français échouait alors au certificat
d’études. On oublie d’ailleurs qu’à l’époque, les ins-
tituteurs et les institutrices ne présentaient que leurs
meilleurs élèves à cet examen, après les y avoir spé-
cialement préparés. Aujourd’hui, le niveau d’exigen-

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ce est plus élevé : un élève n’est reconnu lecteur à la sor-
tie du primaire que s’il peut répondre par écrit à des
questions montrant qu’il a compris le sens d’un texte
après l’avoir lu silencieusement. Les évaluations natio-
nales opérées à l’entrée en sixième montrent néanmoins
que seulement 20 % des enfants ont, selon ces critères,
des difficultés de lecture. Il y avait donc plus d’illettrés
dans l’école républicaine triomphante que dans l’école
contemporaine « en crise ».

Le second exemple concerne le baccalauréat. En

1960, 32 500 élèves étaient reçus au baccalauréat des
séries scientifiques C et D. Ils sont désormais près de
130 000 reçus au baccalauréat S. Or le niveau des
connaissances requises aujourd’hui en mathématiques
et en sciences est plus élevé qu’il y a quarante ans, et le
bac S n’est certainement pas bradé : les élèves qui sont
admis en série S sont les plus sélectionnés du système
éducatif.

Le niveau général d’exigence de l’école s’est donc

incontestablement élevé depuis un demi siècle, et le
nombre de bons élèves a nettement augmenté. Mais
cette réalité est souvent masquée par d’autres, tout aussi
incontestables.

La première est que si le nombre de bons élèves a

augmenté, celui des médiocres aussi. C’est une des
conséquences de la massification de l’enseignement
secondaire. Sommés d’améliorer le niveau de qualifica-
tion des futurs travailleurs, poussés par la pression des
familles et par la montée du chômage des jeunes, les
gouvernements successifs ont depuis trente ans facilité
la poursuite d’études pour tous. Ils ont notamment
réduit arbitrairement les redoublements et les sorties
précoces du système scolaire. De ce fait, au collège
comme au lycée, à côté des bons élèves dont le

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nombre a augmenté, beaucoup d’élèves médiocres
continuent leur parcours scolaire, une minorité
d’entre eux étant proche de l’analphabétisme. Or ces
élèves focalisent l’attention de l’institution et des
familles. D’abord parce qu’ils sont souvent les
auteurs des incivilités évoquées au chapitre précé-
dent. Mais aussi parce que compte tenu de l’éléva-
tion des qualifications dans la plupart des emplois,
leur échec scolaire se transforme presque mécanique-
ment en exclusion sociale, ce qui n’était absolument
pas le cas dans les générations précédentes. Ainsi,
50 % d’échec au certificat d’études ne posait aucun
problème en 1930, alors que 20 % d’élèves en dif-
ficulté à la fin du primaire est aujourd’hui considéré
comme un danger social.

La seconde réalité qui masque l’augmentation

objective du niveau est le changement des critères
d’excellence. Au temps de l’école de Jules Ferry, alors
que 80 % de la population ne poursuivait aucune
étude après l’école primaire, on privilégiait logique-
ment la mémorisation systématique de quelques
connaissances jugées indispensables, par exemple l’or-
thographe et le calcul mental. Aujourd’hui, la grande
majorité des jeunes étant scolarisés jusqu’à dix-huit ans,
on privilégie la compréhension sur la mémorisation.
On est ainsi moins exigeant en orthographe, et les cal-
culatrices électroniques se substituent très tôt au cal-
cul mental. Or pour la plupart des adultes, il est plus
facile de repérer les fautes d’orthographe ou les fai-
blesses en calcul mental que d’évaluer objectivement
le niveau des élèves en géométrie, en biologie ou
dans la manipulation des logiciels d’ordinateur. Les
mêmes évolutions caractérisent l’enseignement du
français au collège, où l’on est plus tolérant sur l’or-

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thographe, mais plus ambitieux dans l’analyse de la
structure des textes. Les repères simples auxquels
plusieurs générations d’adultes s’étaient habituées
pour « mesurer le niveau » sont donc désormais
concurrencés par d’autres, plus complexes.

Logiquement, cette perte des repères traditionnels

crée un climat favorable aux jugements subjectifs. Or
ces jugements sont fréquents chez beaucoup d’ensei-
gnants, surtout dans le secondaire. Presque toujours
anciens bons élèves, souvent passionnés par leur disci-
pline, ils ont du mal à admettre que leurs élèves ne s’in-
téressent pas spontanément au théorème de Thalès ou
au point de vue du narrateur chez Maupassant. En
outre, au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur car-
rière, leurs propres connaissances augmentent : on
apprend en enseignant. Non seulement ils se recon-
naissent donc rarement dans leurs élèves, mais l’écart
entre leur propre niveau et celui de ces derniers ne cesse
de s’accroître. Autant de raisons d’entretenir un dis-
cours sur la « baisse du niveau » qui traduit plus une
désillusion qu’une réalité, mais qui est facilement
accueilli par une opinion publique sans repères stables.
Ce discours est naturellement plus fréquent chez les
enseignants dont les disciplines ont perdu du prestige :
on entend plus souvent se plaindre les professeurs de
lettres que ceux de mathématiques.

Enfin, on peut supposer que le discours sur la

« baisse du niveau » traduit aussi, dans une société en
perpétuelle évolution, l’angoisse de chaque généra-
tion d’être trop rapidement supplantée par la sui-
vante.

Un spectateur fidèle du marathon de New York qui

comparerait trop rapidement ses impressions d’il y a
vingt ans à celles d’aujourd’hui conclurait probable-

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ment à la baisse du niveau : au dixième kilomètre, il
voit passer des milliers d’éclopés au bord de l’asphyxie
qu’il ne voyait pas en 1980. Pourtant, il se trompe. Il y
a en réalité plus de professionnels du marathon aujour-
d’hui et il vont plus vite. Mais les amateurs aux perfor-
mances médiocres sont désormais majoritaires. On ne
voit donc qu’eux, et l'on oublie qu’il y a vingt ans, ils
n’auraient même pas couru un kilomètre. Cette méta-
phore rend assez bien compte de l’évolution du niveau
des élèves.


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