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Gilles Deleuze

Image-mouvement / Image-temps

Bergson : Matiére et Mémoire

5 Janvier 1981

J'aborderais le premier chapitre de Matière et Mémoire. Ce premier chapitre est extraordinaire en
soi, et par rapport à l'oeuvre de Bergson. Même dans le bergsonisme, il a une situation unique. C'est
un texte très curieux.

Supposons que la psychologie, à la fin du 19ème siècle, se soit trouvé dans une crise. Cette crise
c'était qu'ils ne pouvaient plus se tenir dans la situation suivante, c'est à dire une distribution des
choses telles qu'il y eut des images dans la conscience et des mouvements dans le corps. Cet espèce
de monde fracturé en images dans la conscience et en mouvements dans le corps soulevait tellement
de difficultés. Mais pourquoi est-ce que ça soulevait des difficultés à la fin du 19ème siècle et pas
avant ? Est-ce que, par hasard, ça coïncide avec les débuts du cinéma ? Est-ce que le cinéma
n'aurait pas été une espèce de trouble rendant de plus en plus impossible une séparation de l'image
en tant qu'elle renverrait à une conscience et d'un mouvement en tant qu'il renverrait à des corps ?

Au début du vingtième siècle, les deux grandes réactions contre cette psychologie classique qui
s'était enlisée dans la dualité de l'image dans la conscience et du mouvement dans le corps, les deux
réactions de dessinent. L'une qui donnera le courant phénoménologique, l'autre qui donnera le
bergsonisme. La phénoménologie a traité si durement Bergson, ne serait-ce que pour se démarquer
de lui. Ce qu'il y a de commun entre la phénoménologie et Bergson, c'est cet espèce de dépassement
de la dualité image-mouvement. Ils veulent sortir la psychologie d'une ornière. Mais si ce but leur
est commun, ils le réalisent, ils l'effectuent de manière complètement différente. Et je disais que si
l'on accepte que le secret de la phénoménologie est contenu dans la formule stéréotypée bien connu
"toute conscience est conscience de quelque chose", par quoi ils pensaient justement surmonter la
dualité de la conscience et du corps, de la conscience et des choses. Le procédé bergsonien est
complètement différent et sa formule stéréotypée, si on l'inventait, ce serait : "toute conscience est
quelque chose". Il faut voir la différence entre ces deux formules, et là aussi j'avais une hypothèse,
comme marginale, concernant le cinéma, à savoir est-ce que d'une certaine manière ce n'est pas
Bergson qui est très en avance sur la phénoménologie.

Dans toute sa théorie de la perception, la phénoménologie, malgré tout, conserve des positions pré-
cinématographiques, tandis que Bergson qui, dans l'Evolution Créatrice, opére une condamnation si
globale et si rapide au cinéma, développe peut-être dans Matière et Mémoire un étrange univers
qu'on pourrait appeler cinématographique et qui est beaucoup plus proche d'une conception
cinématographique du mouvement que la conception phénoménologique du mouvement.

Je vous raconte ce premier chapitre avec ce qu'il a de très bizarre. C'est un texte très difficile. Ce
texte nous lance de plein fouet, immédiatement, que bien entendu, il n'y a pas de dualité entre
l'image et le mouvement, somme si l'image était dans la conscience et le mouvement dans les
choses. Qu'est-ce qu'il y a ? Il y a uniquement des Images-mouvement. C'est en elle-même que
l'image est mouvement et c'est en lui-même que le mouvement est image. La véritable unité de
l'expérience c'est l'image-mouvement. A ce niveau il n'y a que des images-mouvement. Un univers
d'images-mouvement. Les images-mouvement c'est l'univers. L'ensemble des images-mouvement,
cet ensemble illimité, c'est l'univers. Dans quelles atmosphère est-on ? Bergson se demandera de
quel point de vue parle-t-il ? C'est un chapitre très inspiré.
Un univers illimité d'images-mouvement, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que, fondamentalement,

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l'image agit et réagit. L'image c'est ce qui agit et réagit. L'image c'est ce qui agit sur d'autres images
et ce qui réagit à l'action d'autres images. L'image subit des actions d'autres images et elle réagit.
Pourquoi ce mot "image" ? C'est très simple, et otute compréhension est un peu affective. L'image
c'est ce qui apparaît. On appelle image ce qui apparaît. La philosophie a toujours dit "ce qui
apparaît c'est le phénomène". Le phénomène, l'image, c'est ce qui apparaît en tant que ça apparaît.
Bergson nous dit donc que ce qui apparaît est en mouvement et, en un sens, c'est très classique. Ce
qui ne va pas être classique, c'est ce qu'il en tire. Il va prendre au sérieux cette idée. Si ce qui
apparaît c'est en mouvement, il n'y a que des images-

mouvement. Ca veut dire, non seulement que l'image agit et réagit, elle agit sur d'autres images et
les autres images réagissent sur elle, mais elle agit et réagit dans toutes ses parties élémentaires. Ces
parties élémentaires qui sont elles-mêmes des images, ou des mouvements, à votre choix. Elle
réagit dans toutes ses parties élémentaires ou, comme dit Bergson, sous toutes ses faces : chaque
image agit et réagit dans toutes ses parties et sous toutes ses faces qui sont elles-mêmes des images.
Ca veut dire quoi ? Il essaie de nous dire : ne considérez pas que l'image est un support d'action et
de réaction, mais que l'image est en elle-même, dans toutes ses parties, et sous toutes ses faces,
action et réaction, ou si vous préférez : action et réaction c'est des images. En d'autres termes,
l'image c'est l'ébranlement, c'est la vibration.

Dès lors, c'est évident que l'image c'est le mouvement. L'expression qui n'est pas dans le texte de
Bergson mais qui est tout le temps suggérée par le texte, l'expression image-mouvement est dès lors
fondée de ce point de vue.

Bergson veut nous dire qu'il n'y a ni chose ni conscience, qu'il y a des images-

mouvement et que c'est ça l'univers. En d'autres termes, il y a un en-soi de l'image. Une image n'a
aucun besoin d'être aperçue. Il y a des images qui sont aperçues, mais il y en a d'autres qui ne sont
pas aperçues. Un mouvement peut très bien ne pas être vu par quelqu'un, c'est une image-
mouvement. C'est un ébranlement, une vibration qui répond à la définition même de l'image-
mouvement, à savor une Image-mouvement c'est ce qui est composé dans toutes ses parties et sous
toutes ses faces par des actions et des récations. Il n'y a que du mouvement, c'est à dire il n'y a que
des images.

Donc, à la lettre, il n'y a ni chose ni conscience. La phénoménologie gardera encore les catégories
de choses et de conscience, en en bouleversant le rapport ? Pour Bergson, à ce niveau, au premier
chapitre, il n'y a plus ni chose ni conscience. Il n'y a que des images-mouvement en perpétuelle
variation les unes par rapport aux autres. Pourquoi ? Parce que c'est le monde des images-
mouvement puisque toute image en tant qu'image exerce des actions et subit des actions, puisque
ses parties en tant qu'images sont elles-mêmes des actions et des réactions. La chose c'est des
images, les choses c'est des images, des ébranlements, des vibrations. La table c'est un système
d'ébranlements, de vibrations.

J'introduis tout de suite quelque chose qui peut éclairer certains textes de Bergson. Une molécule,
c'est une image dirait Bergson, et justement c'est une image parce qu'elle est strictement identique à
ses mouvements. Quand les physiciens nous parlent de trois états de la matière, état gazeux, état
solide, état liquide. Ils se définissent avant tout par des mouvements moléculaires de types
différents, les molécules n'ont pas le même mouvement dans les trois états. Mais c'est toujours de
l'image-mouvement, c'est à dire des vibrations, des ébranlements, soumis à des lois sans doute. La
loi c'est le rapport d'une action et d'une réaction. Ces lois peuvent être extraordinairement
complexes. Et, pas plus qu'il n'y a de choses, il n'y a pas de conscience. Pourquoi ? Par exemple, la
chose solide c'est une image-mouvement d'un certain type. C'est lorsque le mouvement des
molécules est confiné par l'action des autres molécules dans un espace restreint de telle manière que
la vibration oscille autour d'une position moyenne. Au contraire, dans un état gazeux, il y a un libre

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parcours des molécules les unes par rapport aux autres. Mais tout ça c'est des types d'ébranlements
différents. Et pas plus qu'il n'y a de choses, il n'y a de conscience. Ma conscience c'est quoi ? C'est
une image, c'est une image-

mouvement, une image parmi les autres. Mon corps, mon cerveau, ce sont des images-mouvement
parmi les autres. Aucun privilège. Tout est image-mouvement et se distingue par les types de
mouvements et par les lois qui réglementent le rapport des actions et des réactions dans cet univers.

Je viens juste de suggérer cette identité image=mouvement. Bergson y ajoute quelque chose de très
important

dans

ce

premier

chapitre

:

non

seulement

image=mouvement,

mais

image=mouvement=matière. D'une certaine manière, ça va de soi, mais c'est aussi très difficile.
Pour comprendre la triple identité, il faut procéder en cascade.

Il faut d'abord montrer l'identité première image=mouvement, et l'identité de la matière découle de
l'identité image=mouvement. C'est parce que l'image est égale au mouvement que la matière est
égale à l'image-mouvement. La matière c'est cet univers des images-mouvement en tant qu'elles
sont en actions et réactions les unes par rapport aux autres.

Et pourquoi est-ce que la matière et l'image se concilient si bien ? C'est parce que la matière c'est ce
qui n'a pas de virtualité, par définition. Bergson dit que dans la matière il n'y a jamais rien de caché.
Il y a mille choses que nous ne voyons pas, mais il y a une chose que je sais, comme a priori,
comme indépendamment de l'expérience, selon Bergson en tous cas, c'est que si dans la matière il
peut y avoir beaucoup plus que ce que je vois, c'est en ce sens qu'elle n'a pas de virtualité. Dans la
matière il n'y a et ne peut avoir que du mouvement. Alors, bien sûr, il y a des mouvements que je ne
vois pas. C'est une reprise du thème précédent, il y a des images que je ne perçois pas, ce n'en est
pas moins des images telles qu'il a defini l'image. L'image n'est n'est nullement en référence à la
conscience, pour une simple raison : c'est que la conscience est une image parmi les autres.

Dans une espèce d'ordre des raisons, il faudrait dire : je commence par montrer l'égalité de l'image
et du mouvement, et c'est de cette égalité de l'image et du mouvement que je suis en droit de
conclure l'égalité de la matière avec l'image-

mouvement. Nous voilà donc avec notre triple identité.

Cette triple identité, image=mouvement=matière, c'est donc comme l'univers infini d'une
universelle variation, perpétuellement des actions et réactions. Ce n'est pas l'image qui agit sur
d'autres images et ce n'est pas l'image qui réagit à d'autres images, mais c'est l'image dans toutes ses
parties et sous toutes ses faces qui est en elle-même action et réaction, c'est à dire vibration et
ébranlement.

De quel point de vue est-ce que Bergson peut découvrir cet univers de l'image-

mouvement ? Bergson se le demande et il répond que c'est le point de vue du sens commun. En
effet, le sens commun ne croit pas à une dualité de la conscience et des choses. Le sens commun
sait bien que nous saisissons plus que des représentations et moins que des choses. Le sens commun
s'installe dans un monde intermédiaire, à des choses qui nous seraient opaques et à des
représentations qui nous seraient intérieures. Bergson dit que cet univers des images-mouvement,
finalement, c'est le point de vue du sens commun. Ne serait-ce pas plutôt le point de vue de la
caméra ?

Univers infini d'universelles variations, c'est ça l'ensemble des images-

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mouvement. Est-ce que je pourrais définir cet univers comme une espèce de mécanisme ? Action et
réaction. Il est bien vrai qu'il possède avec le mécanisme un rapport étroit, à savoir qu'il n'y a pas de
finalité dans cet univers. Cet univers est comme il est, tel qu'il se produit et tel qu'il apparaît, il n'a
ni raison ni but.

Bien plus, pour Bergson cette question n'a pas de sens. Donc cet univers semble bien mécanique.
Mais en fait, pas du tout. Pourquoi est-ce que cet univers des images-mouvement ne peut pas être
un univers mécanique ? Si on prend au sérieux le concept de mécanisme, je crois qu'il répond à trois
critères dont Bergson a très bien parlé : premier critère c'est l'instauration d'un système clos, de
systèmes artificiellement fermés. Une relation mécanique implique un système clos auquel elle se
réfère et dans lequel il se déroule. Le deuxième critère c'est qu'il implique des coupes immobiles
dans le mouvement. Opérer des coupes immobiles dans le mouvement, à savoir l'état du système à
l'instant t. Le troisième critère c'est qu'il implique des actions de contact qui dirigent le processus tel
qu'il se passe dans le système clos. On a vu précédemment que chez Bergson l'univers des images-
mouvement n'est pas un système clos. C'est là une première différence avec un système mécanique.
L'univers des images-mouvement est un univers ouvert et pourtant il ne faut pas le confondre avec
ce que Bergson appelait, dans l'Evolution Créatrice, le Tout ouvert au sens de la Durée. Voilà que
maintenant nous avons trois notions à distinguer :

le système artificiellement clos ou ensembles

le Tout, ou chaque tout, qui est fondamentalement de l'ordre de la durée

l'univers qui désignerait l'ensemble des images-mouvement en tant qu'elles agissent les unes sur les
autres et qu'elles réagissent les unes aux autres.

Donc cet univers des images-mouvement n'est pas de type mécanique puisqu'il ne s'inscrit pas dans
des systèmes clos. Cet univers ne procède pas par coupes immobiles du mouvement puisque, en
effet, il procède par mouvement. Et si, comme nous l'avons vu précédemment aussi, le mouvement
est la coupe de quelque chose, on ne doit pas confondre la coupe immobile du mouvement avec le
mouvement lui-

même comme coupe de la durée. Or dans l'univers des images-mouvement, les seules coupes sont
les mouvements eux-mêmes, à savoir les faces de l'image. C'est donc une deuxièmes différence
avec un système mécaniste. Troisième différence : l'univers des images-mouvement exclut de loin
les actions de contact, en quoi ? Les actions subies après une image s'étendent aussi loin et à
distance qu'on voudra, d'après quoi ? D'après les vibrations correspondantes.

Bergson qui a tellement critiqué les coupes qu'on opère sur le mouvement, on s'attendrait à ce que,
très souvent, il prenne comme exemple de ces coupes immobiles opérées sur le mouvement, qu'il
prenne comme exemple l'atome. L'atome c'est typiquement une coupe immobile opérée sur le
mouvement. Or jamais il n'invoque l'atome quand il parle des coupes immobiles. Il se fait une idée
très riche de l'atome; l'atome est toujours inséparable d'un flux, d'une onde d'action qu'il reçoit et
d'une onde de réaction qu'il émet. Jamais Bergson n'a conçu l'atome comme une coupe immobile. Il
conçoit l'atome comme il faut le concevoir, à savoir comme corpuscule en relation fondamentale
avec des ondes, en relation inséparable avec des ondes, ou comme un centre inséparable des lignes
de forces. En ce sens l'atome, pour lui, n’est fondamentalement pas du tout une coupe opérée sur le
mouvement, mais bien une image-mouvement.
Pour ces trois raisons je dis que l'univers des images-mouvement mérite le nom d'univers parce qu'il

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ne se réduit pas à un système mécanique, et pourtant il exclut toute finalité, tout but, bien plus il
exclut toute raison. D'où la nécessité de trouver un terme qui distinguerait bien la spécificité de cet
univers des images-mouvement. Le mot machinique me paraît nécessaire. Ce n'est pas un univers
mécaniste ni mécanique, c'est un univers machinique. C'est l'univers machinique des images-
mouvement. Quel est ici l'intérêt de machinique ? C'est que c'est par lui que nous pouvons englober
la triple identité image=mouvement=matière. C'est l'agencement machinique des images-
mouvement. Est-ce que ce n'est pas cela le cinéma, tout au moins dans une définition partielle ?

Ce qui me paraît très étonnant dans ce premier thème c'est que jamais, à ma connaissance, on
n'avait montré que l'image était à la fois matérielle et dynamique. Lorsqu'il s'occupera de
l'imagination, Bachelard, par d'autres moyens, le retrouvera à sa manière, à savoir l'idée que
l'imagination est dans son essence matérielle et dynamique. C'est affirmé avec une force
extraordinaire dans le premier chapitre : l'image c'est la réalité matérielle et dynamique.

Dans tous les textes de Bergson avant Matière et Mémoire, et dans tous ceux après Matière et
Mémoire, vous vous retrouvez dans un terrain bien connu qui est le bergsonisme, et si j'essaie de le
définir, d'un côté vous avez l'espace, de l'autre côté, vous avez le vrai mouvement et la durée. Le
premier chapitre de Matière et Mémoire fait une avancée fantastique parce qu'il semble bien nous
dire tout à fait autre chose, il nous dit que le vrai mouvement c'est la matière, et la matière-
mouvement c'est l'image. Il n'est plus question de durée. Il nous introduit dans cet univers très
spécial que j'appelle par commodité l'univers machinique des images-mouvement. La question est
coment est-ce qu'une pointe aussi avancée va pouvoir se concilier avec les livres précédents et avec
les livres qui vont suivre ? A partir du premier chapitre de Matière et Mémoire on assiste à la
découverte d'un univers matériel des images-mouvement, au point que le problème de l'étendue ne
se pose même plus. Pourquoi ? Parce que c'est l'étendue qui est dans la matière et non pas la matière
dans l'étendue. Ce qui compte c'est la triple identité image=mouvement=matière. Cette triple
identité définit ce qu'on appellera désormais l'univers matériel ou l'agencement machinique des
images-mouvement. Le cinéma c'est l'agencement des images-
mouvement.

C'est le premier point et c'est beau comme un roman, c'est plus beau que des romans car dans cet
univers machinique des images-mouvement, qui agissent et réagissent les unes sur les autres, en
perpétuelle vibration, c'est ça l'image. Voilà que quelque chose va se passer.

Dans ce monde va surgir quelque chose d'extraordinaire. Qu'est-ce qui peut se passer dans cet
univers sinon des images qui, perpétuellement, clapotent. Quelque chose arrive dans cet univers.
Cet univers d'images-mouvement n'a rien à voir pour le moment avec une perception quelconque.
Comment va naître une perception ? Pour le moment je n'ai pas introduit la catégorie de perception.
Il faut penser l'immobilité en termes de mouvement ... (...)...

Comprenez les règles du concept que Bergson s'est imposé : il nous a dit que la matière ne contient
rien de plus que ce qu'elle nous donne. Il n'y a rien de caché dans la matière : qu'est-ce qui peut se
passer dans cet univers ? Il est complètement exclu de faire appel à quelque chose qui ne serait pas
du mouvement. C'est le suspens quoi.

Il va se passer ceci : certaines images présentent un phénomène de retard. Bergson n'introduit rien
de plus que le retard. Retard ça veut dire que, au niveau de certaines images, l'action subie ne se
prolonge pas immédiatement en réaction exécutée. Entre l'action subie et l'action exécutée, il y a un
intervalle. C'est prodigieux ça : la seule chose qu'il se donne c'est un intervalle de mouvement. A la
lettre, c'est des riens. Il y a des images constituées de telle sorte qu'entre l'action qu'elles subissent et
la réaction qu'elles exécutent, il y a un laps de temps; un intervalle. Bergson nous dit que la
supériorité de certaines images ce n'est pas d'avoir une âme, ce n'est pas d'avoir une conscience -

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elles restent complètement dans le domaine des images-

mouvement -, simplement c'est comme si l'action subie et la réaction exécutée étaient distendues.
Qu'est-ce qu'il y a entre les deux ? Pour le moment rien. Un intervalle. Est-ce qu'il y aura des
images qui se définiront uniquement au niveau du mouvement : retard du mouvement ?

On ne demande rien d'autre qu'un petit écart. Un petit intervalle entre deux mouvements. Il y aurait
donc deux sortes d'images :

I/ Des images qui subissent des actions et qui réagissent dans toutes leurs parties et sous toutes leurs
faces, immédiatement.

2/ Un autre type d'images qui simplement présentent un écart entre l'action et la réaction.

On réservera le mot action à proprement parler à des réactions qui ne surviennent qu'après l'écart.
De telles images sont dites agir à proprement parler. En d'autres termes, il y a action lorsque la
réaction ne s'enchaîne pas immédiatement avec l'action subie. C'est une définition temporelle. Et les
définitions de Bergson c'est toujours des définitions temporelles : c'est toujours dans le temps qu'il
définit les choses ou les êtres.

Prenons un exemple : mon cerveau. Mon cerveau c'est une image-mouvement, mais c'est une drôle
d'image. Différence entre l'image-cerveau et la moëlle épinière : dans l'arc réflexe un ébranlement
reçu, une action subie, se prolonge immédiatement. Il y a donc un enchaînement immédiat, sans
intervalle, entre les cellules sensitives qui reçoivent l'excitation (en très gros), et les cellules
motrices de la moëlle qui déclenchent la réaction. Mon cerveau reçoit une excitation et bizarrement
un détour se fait : l'excitation remonte, elle remonte aux cellules de l'encéphale, aux cellules
corticales. De là elle redescend aux cellules motrices de la moëlle. Donc différence entre une action
réflexe et une action cérébrale. Tout ça c'est du pur mouvement. C'est ça le retard. L'intervalle entre
les deux mouvements a été pris par le détour ud mouvement. Le philosophe n'a besoin que d'une
définition temporelle du cerveau, et la première définition temporelle ce sera un écart. Le cerveau
est lui-même un écart, un écart entre un mouvement perçu et un mouvement rendu, écart à la faveur
duquel se produit un détour du mouvement.

Qu'est-ce qu'implique cet écart ? Bergson va nous donner trois choses :

L'image spéciale (l'écart) qui est ainsi douée de cett propriété de détour; on ne peut plus dire qu'elle
subit des actions, on ne peut plus dire qu'elle reçoit des excitations dans toutes ses parties et sur
toutes ses faces. C'était le cas de l'image-mouvement ordinaire. Quand il y a écart entre le
mouvement reçu et le mouvement exécuté, la condition même pour qu'il y ait écart c'est que le
mouvement reçu soit localisé, que l'excitation reçue soit localisée. l'image spéciale sera une image
qui ne reçoit les excitations qui s'exercent sur elle que dans certaines de ses parties et sur certaines
de ses faces. Ca veut dire que lorsque une autre image agit sur elle, elle ne retient qu'une partie de
l'action de l'autre image. Il y a des choses qui traversent l'image spéciale et à quoi elle reste
indifférente. En d'autres termes, elle ne retient que ce qui l'intéresse. En effet, elle ne retient que ce
qu'elle est capable de saisir dans certaines de ses parties et sur certaines de ses faces. Elle retient ce
qui l'intéresse. Exemple :

Dans la lumière, le vivant ne retient que certaines longueurs d'ondes et que certaines fréquences. Le

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reste le traverse et il est indifférent au reste. L'opposition devient très rigoureuse : l'image spéciale
qui présente le phénomène d'écart, de ce fait même, elle ne reçoit l'action qu'elle subit que sur
certaines faces ou dans certaines parties, et dès lors, elle laisse échapper de l'image - ou de la chose,
ça revient au même -, qui agit sur elle, elle laisse échapper beaucoup.

Le premier caractère de l'écart ou de l'image spéciale ça va être : sélectionner. Sélectionner dans
l'excitation reçue. Ou éliminer, soustraire. Il y aura des choses que l'image spéciale laissera passer,
au contraire une image ordinaire ne laisse rien passer puisque, encore une fois, elle reçoit sur toutes
ses parties et sur toutes ses faces. L'image spéciale ne reçoit que sur certaines faces et des parties
privilégiées. Donc elle laisse passer énormément de choses. Je ne verrai pas au-delà et en-deça de
certaines longueurs d'ondes, de telles ou telles fréquences. Un animal verra ou entendra des choses
que moi je ne sens pas.

C'est ce premier aspect de la sélection ou de l'élimination qui va définir le phénomène de l'écart, ou
ce type d'image spéciale.

Deuxièmement : considérons l'action subie, dans ce qui en reste, puisque en tant qu'image spéciale,
j'ai sélectionné les actions que je subissais. Considérons maintenant ce que je subis comme action :
je subis un ébranlement, je reçois des vibrations. Je ne parle plus de celles que j'élimine, je parle de
ce que je laisse passer. Je parle de celles que je reçois sur une de mes faces privilégiées et sur
certaines de mes parties. Qu'est-ce qui se passe pour cette action subie, et ce sera le deuxième
caractère. Dans le circuit réflexe pas de problème, elle se prolongeait en réaction exécutée par
l'intermédiaire des centres moteurs. Mais on a vu que là, il y a un détour par l'encéphale. Que veut
dire ce détour ?

Tout se passe comme si l'action subie quand elle arrive dans l'encéphale -

appareil prodigieusement compliqué -, se divise en une infinité de chemins naissants. Tout se passe
comme si l'excitation reçue se divisait à l'infini comme en une sorte de multiplicité de chemins
esquissés. L'excitation se retrouve devant une espèce de division de soi en mille chemins corticaux,
et toujours remaniés. C'est une multidivision. Multidivision de l'excitation reçue. Voila dans la
description bergsonienne ce que fait le cerveau.

Bergson est en train de nous dire que, évidemment, le cerveau n'introduit pas des images, les
images étaient là avant. Non. Le cerveau divise un mouvement d'excitations reçues en une infinité
de chemins, ça c'est le deuxième aspect : ce n'est plus une sélection-soustraction, c'est une division.
Deuxième aspect de l'écart : la division de l'ébranlement ou de l'excitation reçue. L'action subie ne
se prolonge plus dans une réaction immédiate, il se divise en une infinité de réactions naissantes.
Cette division est comme une espèce d'hésitation. Bergson n'emploie pas ce mot là, mais j'en aurai
besoin. C'est une hésitation, comme si l'excitation reçue hésitait, engageait un pied dans tel chemin
cortical, un tel autre pied dans tel autre chemin, etc. C'est comme un delta en géographie.

Troisièmement grâce à cette division et ces subdivisions de l'excitation reçue par le cortex, qu'est-ce
qui va se passer ? Quand il y aura une redescente au centre moteur de la moëlle, il faudra que ce ne
soit plus le prolongement de l'excitation reçue, mais que ce soit comme une espèce d'intégration de
toutes les petites réactions cérébrales naissantes. Apparaîtra quelque chose de radicalement nouveau
par rapport à l'excitation reçue. C'est ce qu'on appellera une action à proprement parler.
Ce troisième niveau, on dira qu'il consiste en ceci que ce sont des images spéciales parce que, au
lieu d'enchaîner leurs réactions avec l'excitation, elles choisissent la réaction qu'elles vont avoir en
fonction de l'excitation.

Voilà donc trois termes entièrement cinétiques, c'est à dire en termes de mouvement. On a rien

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introduit qui ressemble à un esprit. Ces trois termes cinétiques permettent de définir l'image
spéciale, c'est :

I/ soustraire-sélectionner,
2/ diviser,
3/ choisir.

Et choisir n'implique pas du tout à ce niveau la conscience.

La définition temporelle à partir des textes de Bergson :

Choisir c'est intégrer la multiplicité des réactions naissantes telle qu'elle s'opérait ou se traçait dans
le cortex. Une telle image qui est capable de sélectionner quelque chose dans les actions qu'elle
subie, de diviser l'excitation qu'elle reçoit, et de choisir l'action qu'elle va exécuter en fonction de
l'excitation reçue, une telle image appelons-la image subjective. Remarquez qu'elle fait absolument
partie des images-mouvement. Elle est tout entière définie en mouvement.

“ Sujet ” n'est ici qu'un mot pour désigner l'écart entre l'excitation et l'action. Je dirais que l'image
subjective c'est un écart et cet écart définit uniquement un centre qu'il faudra bien appeler un centre
d'indétermination.

Quand il y a écart entre l'excitation subie et la réaction exécutée, il y a centre d'indétermination. Ca
veut dire que, en fonction de l'excitation subie, je ne peux pas prévoir quelle sera la réaction
exécutée. Le sujet c'est un centre d'indétermination.

Voilà que la définition spatiale correspond à la réalité temporelle du sujet : par sujet, on entend
quelque chose qui se produit dans le monde, c'est à dire dans l'univers des images-mouvement, c'est
un centre d'indétermination qui est défini temporellement par l'écart entre le mouvement reçu et le
mouvement exécuté. Cet écart ayant les trois aspects (voir supra).

Voilà la seconde idée du premier chapitre qui nous introduit tout droit à une troisième idée : quel
est le lien entre ces caractères ? Le centre d'indétermination est donc défini par soustraction,
division et choix. Quel est le lien de ces trois caractères ? C'est mon troisième problème concernant
le premier chapitre de Matière et Mémoire.

Ces images spéciales ne reçoivent pas le tout de l'action. Elle éliminent un très grand nombre de
parties de l'image qui agit sur elle, c'est à dire de l'objet qui agit sur elle. On perçoit très très peu de
choses. Bergson dit que c'est notre grandeur de ne pas percevoir assez. Percevoir c'est par définition
percevoir pas assez. Si je percevais tout, je ne percevrais pas. Percevoir c'est saisir la chose. Mon
problème devient celui-ci : pourquoi est-ce que les images spéciales sont douées de perception ?
C'est forcé puisqu'elles opèrent la soustraction-sélection, elles perçoivent la chose dans certaines
parties d'elle-

même, privilégiées, sur certaines de leurs faces. Elles perçoivent la chose, oui, mais moins
beaucoup de choses.

La perception d'une chose c'est la chose moins quelque chose qui ne m'intéresse pas. Vous vous
rappelez que toutes les images-mouvement, sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties, sont
en communication les unes avec les autres, c'est à dire qu'elles échangent du mouvement. Ce n'est
pas de bonnes conditions pour percevoir. La table ne perçoit pas. Il n'y a pas d'écart entre les actions
et les réactions, il n'y a pas de sélection. Pour percevoir il faut que je coupe la chose sur ses bords ;
il faut que je l'empêche de communiquer avec les autres choses dans lesquelles elle dissoudrait ses
mouvements. Comme dit Bergson, il faut bien que je l'isole. Et ce n'est pas seulement sur les bords

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que je dois soustraire ; pour avoir une perception, c'est dans la chose même : je compose mon
système de couleurs avec les longueurs d'ondes et les fréquences qui me concernent. La perception
naît uniquement que d'une limitation de la chose.

Quelle différence y a-t-il entre la chose et la perception de la chose ? Là on est en plein coeur de ce
qui faisait les difficultés de la psychologie classique. D'une certaine manière, il n'y a pas de
différence : la perception est la chose même. Encore une fois, dire que les choses sont des
perceptions, oui, beaucoup de philosophes l'avaient dit dans le passé, par exemple Berkeley. Mais
ce que veut dire Bergson n'a absolument rien de commun avec ça, car quand les autres philosophes
disaient ça, ça voulait dire : les choses finalement se confondent avec les perceptions que j'en ai.
Bergson ne veut pas du tout dire ça. Il veut dire que les choses sont des perceptions en soi ...

L'image-mouvement

1982-indéterminé.

… Les caractères que nous gardons ou par lesquels nous définissons le plan d'immanence ou plan
de matière. C'est la même chose. On a vu les raisons pour lesquelles moi ça m'arrangeait de parler
de plan d'immanence. C'est la même chose, Bergson lui parle d'un plan de la matière. Alors toujours
cette année dans mon besoin d'avoir des schémas [Gilles Deleuze se lève et fait un schéma au
tableau]; alors mon plan d'immanence: le voilà. On peut, ou on doit, au point où nous en sommes, le
définir de trois façons strictement équivalentes, puisque finalement ce autour de quoi nous
tournons, dans ce plan d'immanence, c'est une série d'égalités: image = mouvement = matière =
lumière.

Nous retenons trois caractères fondamentaux de ce plan d'immanence ou plan de matière. Premier
caractère: c'est l'ensemble infini des images-mouvement, en tant qu'elles réagissent les unes sur les
autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties. Ce point, je le considère comme épuisé par
nos deux séances précédentes. Deuxième caractère: ce plan c'est aussi bien la collection des lignes
ou des figures de lumières, lignes et figures de lumière s'opposant à lignes rigides ou figures
géométriques qui n'existent pas encore. Et, en effet, on a vu que sur ce plan des images-mouvement
(tout ça est très cohérent), rien de solide ne peut être assigné, pas plus que ne peut être assigné une
droite et une gauche, un haut et un bas.

Collection des lignes de lumière et des figures de lumière, entendons que c'est absolument autre
chose que ce qui plus tard apparaîtra comme lignes rigides, figures géométriques, ou corps solides,
et qui revient à ce statut – que nous avons vu – que Bergson donne dans des phrases qui ont l'air
d'être des métaphores et qui n'en sont pas du tout puisque c'est autant de clin d'œil à la théorie de la
relativité, à savoir l'idée que sur le plan de la matière qui est finalement exclusivement et
uniquement lumière: la matière, c'est la lumière. Sur ce plan, la lumière ne cesse de diffuser. Pas
plus que le plan ne connaît de haut ou de bas, de droite ou de gauche, de corps solide, la lumière sur
ce plan qui ne cesse de diffuser c'est-à-dire se propager en tous sens et toutes directions: la lumière
ne connaît ni réflexion ni réfraction, c'est-à-dire aucun arrêt d'aucune sorte. Elle ne cesse de se
propager, elle diffuse.

Ce qui nous permettait, au niveau de ce second caractère, de répondre à une question importante:
comment Bergson ose-t-il appeler quelque chose qui ne se présente à personne, c'est-à-dire qui ne
renvoie à aucun œil, à aucune conscience, puisque aucun œil n'est là, aucune conscience n'est là. Ou
je peux dire aussi bien: il y a autant d'yeux que vous voudrez, mais l'œil au sens que vous pouvez
lui donner n'est qu’une image-mouvement parmi les autres, donc ne jouit strictement d'aucun
privilège.Alors pourquoi parler d'image?

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C'est parce que l'œil est dans les choses, les images sont lumière. Les images sont lumière et cette
lumière ne cesse de se propager exactement comme l'image est mouvement, et le mouvement ne
cesse de se propager, c'est-à-dire de mouvement reçu il se transforme immédiatement en
mouvement de réaction, de mouvement d'action en mouvement de réaction, système d'action et de
réaction. Je peux dire aussi bien, à ce moment-là, si l'œil est dans les choses – là aussi il y a un texte
extrêmement beau de Bergson, qui est: photographie il y a, la photo est déjà prise et tirée dans les
choses, en d'autres termes, c'est bien un univers d'images, images pour personne, lumière pour
personne. Cette lumière n'a pas besoin de se révéler, elle ne se révèle pas, dit Bergson – très
bizarrement – puisqu'elle ne se cesse de diffuser et de se propager. Ce qui implique que, sans doute,
la lumière ne se révélera que dans la mesure où elle sera arrêtée par une opacité quelconque. Mais
sur ce plan d'immanence on a aucune place encore pour une opacité quelconque. Les choses sont
lumineuses, les choses par là même sont mouvement, elles sont lignes de lumière, figures de
lumière. En d'autres termes je peux très bien déjà dire et parler de – mais en quel sens? Je dirais que
les choses sont des perceptions, ou que les images sont des perceptions.

Qui perçoit? Personne. Les images elles-mêmes. Qu'est-ce qu'elles perçoivent? Elles perçoivent
exactement jusque là où elles reçoivent de mouvement, et jusque là où elles exécutent, où elles
réagissent par du mouvement. Un atome, en ce sens, n'est rien qu'un mouvement qui, en tant que tel,
est perception de tous les mouvements dont il subit l'influence, et de tous les mouvements qu'il
exerce comme sa propre influence sur les autres atomes.

Je dirai donc que chaque image est perception, même pas perception de soi-même, puisqu'il n'y a
pas de chose, mais chaque image-mouvement est perception de tous les mouvements qui agissent
sur elle et de tous les mouvements par lesquels elle agit sur les autres images. En d'autres termes, je
dirai de chaque chose qu'elle est une perception totale, je dirai de chaque chose qu'elle est – je
prends un mot un peu plus technique qui fait mieux comprendre – chaque chose est une préhension.
Chaque chose est une image-mouvement qui, en tant que tel, préhende tous les mouvements qu'elle
reçoit et tous les mouvements qu'elle exécute.

Ca revient à dire que, sur le plan d'immanence, il n'y a que des lignes et des figures de lumière.
Voilà le second caractère. Le premier, c'était: le plan d'immanence est l'ensemble infini des images-
mouvement en tant qu'elles varient les unes par rapport aux autres. Second caractère c'est la
collection infinie, ou le tracé infini, des lignes ou figures de lumière.

Troisième caractère, et c'est Anne Querrien qui disait: il n'y a rien à faire, tu n'y échapperas pas, il
faudra bien introduire du temps. Il ne faudra pas simplement introduire du mouvement et de la
lumière, il faudra introduire du temps. Et moi je disais, oui et non. Et puis là-dessus, parce que c'est
comme ça qu'on travaille, tantôt c'est une intervention, tantôt j'ai eu une lettre d'Anne Querrien, plus
détaillée sur la manière dont elle comprenait le truc. Elle aurait pu faire l'intervention oralement. Et
puis je me suis dit que, évidemment, elle a raison. Puis ça posait un problème quant à la lettre du
texte de Bergson. Dans quelle mesure est-ce qu'on est infidèle ou bien on reste très fidèle à
Bergson? Moi je crois qu'on est très profondément fidèle à Bergson. C'est une question qui peut
intéresser certains d'entre vous, ou au contraire ne pas du tout intéresser certains autres qui s'en
foutent de savoir si on est fidèle à Bergson ou pas: moi, ça m'intéresse, ça m'intéresse modérément.
Mais voilà qu’Anne Querrien me fait la remarque. On va voir, mais ça se dégage. Je crois qu'elle a
raison quand elle dit que sur ce plan d'immanence (qui est déjà très bizarre, parce que ce qui compte
ce n'est pas le mot plan – on va voir pourquoi le mot –). Evidemment, il faut du temps.

Pourquoi? A moins de concevoir, selon la vieille tradition, la lumière comme instantanée, par

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exemple selon une tradition encore de type cartésien. On a vu que ce n'était pas le cas, que Bergson
a dans la tête son règlement de compte avec la relativité d’Einstein. Par règlement de compte je
n'entends pas un combat, j'entends une mise au point entre philosophie et physique.

Lumière et temps s'impliquent. Bien plus d'après le premier caractère, le plan d'immanence est lui-
même un ensemble infini de mouvements, en ce sens il implique le temps comme variable. Je dirai
que le plan d'immanence – on a pas le choix – comporte nécessairement du temps. Il comporte
nécessairement du temps comme variable des mouvements qui s'opèrent sur lui. , il faut le mettre
entre guillemets, parce que, en fait, il ne distingue pas les mouvements qui s'opèrent sur lui.

En d'autres termes, c'est le troisième caractère de mon plan d'immanence, il est bloc d'espace-temps.
Ca pose toutes sortes de problèmes.

Dans le chapitre II de Matière et Mémoire, on croyait avoir tout compris et on reçoit un grand coup
car Bergson, dans la première page du chapitre II de Matière et Mémoire, nous dit que le plan de la
matière est une coupe instantanée dans le devenir en général. Quelle coupe? On ne peut pas
empêcher qu'il l'ait dit: c'est une coupe instantanée. Donc il semble y refuser la dimension du temps,
c'est une coupe instantanée du devenir. Du coup on est gênés. Bon.

Il faut consentir à l'idée, on va voir de plus prêt. Alors on cherche, on cherche. On se dit: comment
est-ce qu'il a pu dire ça, là ça ne va pas… Comprenez le problème: comment est-ce qu'il peut dire
que c'est une coupe instantanée, alors qu'il vient de nous expliquer que le plan de matière était
l'ensemble de toutes les images-mouvement qui varient les unes par rapport aux autres? Cette
variation et cette mobilité impliquent du temps. Alors ce n'est pas une coupe instantanée? Une
coupe instantanée, par définition, c'est immobile, et de tout temps, Bergson, dans tous ses autres
textes, Bergson relie très précisément instantané et immobile. Quand il parle d'une vue instantanée
sur le mouvement, ça veut dire une position immobile. Donc il ne peut pas vouloir dire, c'est une
coupe instantanée – pourtant il le dit. En effet, c'est une coupe mobile. Une coupe mobile, c'est une
coupe temporelle, c'est une coupe qui comprend du temps. C'est ce qu'on appelait l'année dernière
une perspective non pas spatiale, mais une perspective temporelle. Donc le plan d'immanence est
une coupe mobile. Dès lors il implique le temps comme variable du mouvement, donc il ne peut pas
être instantané. Il ne peut pas être instantané – on n'a pas le choix. Heureusement, dans le chapitre
III un autre passage nous montre que Bergson est plus prudent. Dans le chapitre III, il nous dit que
le plan de matière est une coupe transversale de l'universel devenir. Il nous dit qu'à ce titre, c'est le
lieu de passage des mouvements reçus et renvoyés; mais , ça ne peut avoir qu'un sens: c'est que ça
implique le Temps. Tout comme la lumière, comme les lignes de lumière et les figures de lumière
impliquent le temps. Donc ce n'est pas une coupe instantanée.

Pourquoi est-ce que Bergson le dit quand même, là? Comprenez, j'insiste beaucoup là-dessus parce
que c'est une manière de lire les philosophes. Quand on écrit, quand les gens écrivent, ils ont quand
même un thème principal qui varie: supposons qu’à chaque page corresponde un thème principal et
des thèmes secondaires; quand je fais de quelque chose mon thème principal, je pourrais aller assez
vite sur mes thèmes secondaires. Je ne peux pas dire tout à la fois; je serais amené à employer des
commodités d'expression. Je serais forcé d'aller vite sur tel point qui n'est pas mon point principal.
Si après on me dit: , je dirais, .

C'est le cas. Quand il dit: le plan de matière est une coupe instantanée du devenir, c'est justement
dans une page où il ne se soucie plus de ce qu'est le plan de matière, où il se soucie de tout à fait
autre chose. Donc on peut consentir à l'idée qu'il va vite. C'est toutefois pas une réponse suffisante:
il va vite d'accord, mais il dit . Cherchons un peu plus loin.

En quel sens le plan de matière implique et comporte-t-il nécessairement du temps? Je viens de le

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dire: comme il se confond avec les mouvements qui se font sur lui, comme il se confond avec les
mouvements qui ne cessent de s'échanger et de se propager sur lui, c'est-à-dire avec cette collection
des images-mouvement, on peut considérer une espèce de mouvement d'ensemble de tout le plan
puisqu'il est l'ensemble infini de toutes les images-mouvement. Un ensemble infini. Ensemble infini
et mouvements. Ce sont des mouvements de translation, translation impliquant déplacement sur le
plan, déplacement dans l'espace.

Or Bergson a une grande idée que, là, je ne veux plus commenter parce que je l'avais commenter
beaucoup l'année dernière, et qui va être fondamentale pour nous. Donc je la rappelle, je la résume
pour ceux qui ne sont pas au courant, c'est une idée très claire. Oubliez tout ce qui précède, cette
idée consiste à nous dire ceci: vous comprenez, un mouvement de translation c'est un changement
de position entre, disons pour le moment puisqu'on ne peut pas employer d'autres mots, entre . Par
exemple vient au point . Un mouvement de translation, c'est un déplacement dans l'espace. On a vu
qu’au niveau où nous en sommes du plan d'immanence, les mouvements de translation sont des
diffusions. Des diffusions, des propagations en tous sens et en toutes directions. C'est des
mouvements de translation. Bergson a une idée très simple qui est chez lui comme une espèce
d'héritage d'Aristote: c'est que le mouvement de translation dans l'espace n'a pas sa raison en soi (je
ne vais pas reprendre toutes les raisons de Bergson, peu importe, il faut juste que vous compreniez
ce point). Un mouvement de translation dans l'espace exprime toujours quelque chose de plus
profond et d'une autre nature: un mouvement de translation dans l'espace exprime toujours un
changement qualitatif, ou une altération. Une altération, c'est un changement qualitatif. Qu'est-ce
qui change qualitativement? La réponse de Bergson est très précise: la seule qui puisse changer
qualitativement, c'est-à-dire qui ne cesse pas de changer en fonction de sa nature, c'est ce qu'il
faudra appeler . Seul un Tout ou le Tout, peu importe, change et ne cesse de changer, c'est sa nature
de changer. Traduisons: un mouvement de translation dans l'espace exprime un changement dans le
Tout.

C'est presque de la terminologie qu'il faut que vous saisissiez bien: qu'est ce que c'est ce Tout? C'est
quelque chose qu'on a pas du tout encore rencontré. Heureusement, on l'a rencontré l'année
dernière. Là on ne l’a pas du tout encore rencontré. Changements qualitatifs, tout ça, mon plan
d'immanence, mon plan de matière, il ne comprend que des mouvements de translation dans
l'espace. Il ne comprend rien d'autre. Changement qualitatif, qu'est-ce que c'est? Ce qui ne cesse pas
de changer, c'est le devenir. D'accord: le devenir ne cesse pas de changer: même pas ce qui devient,
il n'y a pas de ce qui devient, il y a le devenir. Le devenir ne cesse pas de changer, c'est sa
définition; le devenir, c'est le changement qualitatif; le devenir, c'est l'altération. Très bien.Mais on
ne sait pas ce que c'est, le devenir; voilà que c'est le Tout aussi. Ha bon, le devenir c'est le Tout!
Mais on ne sait pas plus ce que c'est que le Tout.

C'est intéressant pour nous parce que on ne comprend rien encore, mais on voit, on comprend tant
de choses avant d'avoir compris, on comprend au moins que il ne faut pas confondre et . Le plan
d'immanence, c'est l'ensemble infini des images-

mouvement, ou si vous préférez des figures et des lignes de lumière. Bon. Ça d'accord. Mais que ce
soit les mouvements de translation ou ceux de cet ensemble infini, que ce soit les mouvements de
translation ou que ce soit les lignes et figures de lumière, elles expriment quelque chose qui est
d'une autre nature: des altérations qualitatives et des changements qualitatifs dans un Tout supposé,
c'est-à-dire dans un devenir.

[Si le Tout…] Là j'ai une autre série d'égalités qui n'a rien à voir avec mes égalités de tout à
l'heure.Ces égalités que je mets de côté et dont actuellement je ne sais pas que faire, c'est: Tout =
devenir = changement qualitatif ou altération. Tout ce que nous dit Bergson en plus, pour nous
guider, sentimentalement on se dit que sûrement c'est quelque chose de très important qu'il est en
train de nous dire, à savoir: il nous dit que selon lui les philosophes se sont gravement trompés sur

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la nature du Tout, et c'est pour ça qu'ils ont pas compris ce qu'était le devenir, selon lui, à savoir que
le Tout, c'est le contraire d'une totalité fermée, qu’une totalité fermée c'est toujours un ensemble
mais que ce n'est pas un Tout. Le Tout, c'est le contraire de ce qui est fermé, et que le Tout, c'est
l'Ouvert. Et je disais l'année dernière quand j'essayais de commenter ces thèses de Bergson, et bien
c'est là, il me semble, qu'il y ait le seul point ou il y a une coïncidence – seulement c'est un point
fondamental – entre Bergson et Heidegger.

Le seul point de ressemblance entre Bergson et Heidegger, mais c'est un point qui est de taille, c'est
d'avoir fait une philosophie de l'Ouvert, avec un grand O. Et la ressemblance va très loin à ce
moment-là, parce que, Heidegger: dire que l'Etre, c'est l'Ouvert, et se réclamer à cet égard de deux
grands poètes Hölderlin et Rilke: grande [xxxx] chez eux de l'Ouvert. Dire que l'Etre c'est l'Ouvert
implique aussi que l'Etre ce soit le Temps. Et chez Bergson le Tout c'est l'Ouvert, et l'Ouvert ou le
Tout, c'est le devenir. C'est l'universel devenir.

Revenons à ce dont nous avons le droit de parler. Tout ça nous n'avions pas vraiment le droit d'en
parler, pas le droit encore d'en parler vraiment puisque nous ne savons même pas d'où ça peut venir,
le devenir, le Tout – d'où ça vient? On n’a que notre plan. C'est pas difficile, on peut dire: s'il est
vrai que le mouvement de translation exprime toujours un changement dans un Tout, un
changement qualitatif dans un Tout, dans un Tout qui lui est Ouvert, il va de soi que le plan
d'immanence, le plan de la matière, sera une coupe mobile de ce Tout, ou une coupe mobile de
l'universel devenir. Bien plus, si je prends, si je considère un ensemble de mouvements sur le plan
d'immanence, qui exprime un changement dans un Tout, je dirais donc que c'est une présentation.
C'est un bloc. Et si je considère un autre ensemble de mouvements qui expriment un autre
changement, je dirais: c'est un autre bloc. En d'autres termes mon plan d'immanence n'est pas
séparable d'une multiplicité de présentations.On fait des progrès tellement considérables que déjà je
peux changer mon schéma – on en a assez presque, pour aujourd'hui. Je peux dire que chaque p’ (p’
est un bloc d'espace-temps), chacun de ces blocs étant une coupe mobile, une coup temporelle.
Coupe temporelle prise sur quoi? Et de quoi? Coupe temporelle prise sur ce qu'il appelle un
universel devenir. Evidemment, ça sera d'une autre nature que mes plans d'immanence. On verra. Je
dis donc – et c'était le dernier point quant aux caractères généraux du plan d'immanence –, non
seulement c'est un ensemble infini d'images-mouvement, non seulement c'est une collection infinie
de figures de lumière, c'est aussi une série infinie de blocs d'espace-

temps. On a alors une série assez cohérente: ensemble infini d'images-mouvement qui réagissent les
unes sur les autres, collection infinie de lignes et figures de lumière qui ne cessent de diffuser les
unes dans les autres, séries infinies de blocs d'espace-temps. Chacun de ces blocs d'espace-temps
étant considéré comme une coupe mobile ou une coupe temporelle du devenir universel. Bon. A ce
moment là, même la question, est-ce qu'on est fidèles à Bergson?, ne se pose plus. Evidemment on
y est fidèles. Voilà ce premier point.

Question: J'ai une question…

GillesDeleuze: Mon Dieu!

Suite de la question: … par rapport à Durée et simultanéité.

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GillesDeleuze: je réponds très vite parce que, à mon avis, ce n'est pas une vraie difficulté. Dans
Durée et Simultanéité, encore une fois, c'est une confrontation avec la théorie de la relativité. Il ne
se met pas du tout sur, ou au niveau, d’un plan de la matière tel qu'on vient de le définir, un plan
d'images et de mouvement. Il se met sur un plan où coexistent des lignes dites rigides ou
géométriques et des lignes de lumière. Il constate que la relativité fait un renversement, que la
théorie de la relativité opère un renversement quand aux rapports entre les deux types de lignes.

Et c'est déjà là-dessus que j'insisterais beaucoup, à savoir que la physique pré-einsteinienne
considérait que c'était les lignes rigides, ou les figures géométriques – là je prends un mot vague –
qui commandaient aux lignes de lumière, ou qui déterminait le mouvement des lignes de lumière; la
théorie de la relativité fait un renversement absolu et fondamental, à savoir que ce sont les lignes de
lumière et les équations établissables entre ces lignes et figures de lumière qui vont déterminer et
commander à la permanence et à la solidité des lignes qu'on appellera rigides et géométriques. Donc
c'est uniquement sous cet aspect que je peux tirer à moi ou invoquer Durée et simultanéité. Là-
dessus, quand je me transporte à Matière et Mémoire, si j'ajoute: quel est le problème de Durée et
Simultanéité, à mon avis Bergson accepte complètement l'idée d'un primat des lignes de lumière et
des figures de lumière. En ce sens il est ensteinien. C'est un drame, Durée et simultanéité, c'est le
drame d'un philosophe. Les écrivains connaissent aussi ces drames: le drame c'est un livre qui… Je
vais vous raconter le drame de Durée et simultanéité. Il accepte complètement ce premier grand
principe qu'il tire de la relative; il accepte aussi un second grand principe de la relativité, à savoir:
l'idée, le mot n'est pas de lui, mais ce qui correspond à des blocs d'espace-temps. Il l'accepte aussi.
Et pourquoi il l'accepte? Il n'est pas idiot, il sait assez de mathématiques pour très bien comprendre
la théorie de la relativité, mais il ne prétend pas être un génie en physique ni en mathématiques. Il
ne prétend pas apporter quelque chose de nouveau en physique ou en mathématiques, sinon il aurait
fait des mathématiques ou de la physique au lieu de faire de la philosophie. Donc il ne prétend pas
du tout discuter la théorie de la relativité, il ne prétend pas du tout dire: Einstein s'est trompé, moi je
vais vous expliquer pourquoi. Il ne faut pas exagérer, il n'a pas perdu la tête. Seulement voilà que
les lecteurs, quand ils ont lu Durée et simultanéité, ils ont cru que Bergson discutait de la relativité
et trouvait que, à la lettre, Einstein s'était trompé. Vous me direz que ce n'était pas difficile
d'expliquer aux gens que ce n'était pas ça. Non. Quand vous avez fait un livre qui subit un tel
contresens ou qui est accueilli d'une telle manière, c'est foutu. Pour redresser, il faudrait refaire le
livre. Il faudrait le refaire, et comme en fait, quand on se mêle de ces choses, on a déjà quelque
chose d'autre à faire, pas question de refaire un livre. C'était foutu pour Bergson, d'où son attitude
très rigide: non seulement jusqu'à sa mort il interdit toute réédition de Durée et simultanéité, ce qui
confirme les gens, ce qui confirme tous les connards dans l'idée qu’il s'est lui-même rendu compte
qu'il se trompait, mais en fait ce n'est pas ça: il n'était pas en état de corriger une erreur généralisée
des lecteurs. Ce n'est pas possible de corriger une mauvaise compréhension. A ce moment là, il faut
faire autre chose. Il ne faut pas passer son temps à corriger quelque chose, on ne peut pas. Alors là
il était fichu, d'une certaine manière, car il s'agissait de quoi en fait. Donc jusqu'à sa mort, et au-delà
de sa mort puisque son testament est explicite, il interdit tant qu'il en aura le pouvoir, c'est-à-dire
tant qu'il aura des héritiers capables de maintenir son interdiction, il interdit toute réédition de
Durée et simultanéité. Et c'est donc tout récemment que Durée et simultanéité à pu être republié.
Mais je crois que ce n'est pas une question réglée, parce qu’il me semble qu'on n'a pas expliqué ce
que je suppose qu'il s'est passé. Enfin, c'est une hypothèse que je présente, car le problème pour lui
était très différent.

C'était: j'accepte la théorie de la relativité; bien plus, c'est une des figures fondamentales de la
science moderne. Encore une fois il n'est pas fou, il ne va pas se mettre à discuter Einstein…
(Changement de la bande.)

… est-ce que Einstein est en droit de conclure: il n'y a pas de temps universel. Est-ce que la théorie

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de la relativité permet de conclure à une théorie du temps réel? Une théorie du temps réel d'après
laquelle il n'y aurait pas de temps universel? Voilà la question.

La thèse de Bergson est très simple. Elle consiste à dire: attention!, la théorie du temps réel n'est
plus une affaire de physique, c'est une affaire de philosophie. Qu'est-ce que ça veut dire ça? Et le
but de Durée et simultanéité, et c'est le seul but de Durée et simultanéité, où Bergson a besoin de
bien montrer qu'il intègre complètement Einstein.Le seul but, c'est [de] dire: autant moi je fais un
pas vers Einstein, c'est à dire que je ne vais pas discuter ce qu'il dit en physique, pourquoi diable
Einstein, lui grand physicien, croit-il possible de faire une philosophie qui, quand même, n'est pas
fameuse? Non seulement elle n'est pas fameuse, mais elle présente une thèse philosophique d'après
laquelle il y aurait une multiplicité irréductible de Temps. Ce que Bergson va essayer de montrer
dans Durée et simultanéité, c'est que l'idée des blocs d'espace-temps, et même d'une série infinie de
bloc d'espace-temps, n'empêche pas l'unicité d'un temps réel conçu comme devenir.

A ce moment-là, le livre devient extrêmement clair. Et encore une fois on n'est pas encore en
mesure de comprendre cette histoire de devenir. Mais ce qui m'intéresse, c'est d'avoir fondé l'idée
que le plan d'immanence, ou que les plans d'immanence, en fait le plan d'immanence avec sa série
infinie de présentations. Tous ces plans d'immanence sont des coupes mobiles d'un universel
devenir.

Alors ton objection, elle est très juste si on s'en tient à Durée et Simultanéité, mais dans Durée et
Simultanéité, il ne s'agit pas du tout du plan de la matière tel qu'il l'entend lui, Bergson; il s'agit d'un
plan où bien sur il y a la matière, il y a la lumière, mais il y a aussi ce que nous n'avons pas encore:
des figures rigides, des solides, dont on va voir pour nous, au niveau de Matière et Mémoire,
quoiqu'il ne le pose pas ce problème, ça va être à nous de le poser, il a tellement de choses à faire.
Etre fidèle à lui, ça va être remplir des trous qu'il a laissé, ou je ne sais pas quoi. Au point où nous
en sommes, il va falloir rendre compte de la formation de lignes géométriques; je ne peux pas me
les donner, j'en ai pas. A ce niveau-là, je n'ai que des lignes de lumière.Au contraire, dans Durée et
Simultanéité – où le chapitre auquel tu fais allusion n'est pas un chapitre de philosophie, c'est un
chapitre de physique –, il se donne les deux à la fois. Il ne se demande pas d'où viennent les lignes
de lumière et d'où viennent les lignes géométriques: il y en a, quoi! Il y a d'une part des lignes
géométriques, il y a d'autres part des lignes de lumière qui sont dans un rapport énonçable.

Anne Querrien: Je serais d'accord d'une certaine façon. Bergson a tout à fait raison de dire que c'est
une coupe instantanée dans le devenir… [????] … à condition de changer de géométrie et de
revenir à ce que je t'avais raconté sur la géométrie des cathédrales, c'est-à-dire que pour les ouvriers
qui ne connaissent pas la géométrie analytique ou descriptive à deux coupes, précisent il y avait une
coupe au sol à partir de laquelle on élevait la cathédrale, et les dimensions, suivant le mouvement
qu'on faisait faire aux pierres à la plus grande élévation, les dimensions de la coupe au sol étaient
variables. Il y avait donc une seule coupe plane d'un univers à trois dimensions. Tu me suis? C'est
un autre type de géométrie, justement des rapports entre les lignes de mouvements, et les lignes
géométriques où il n'y a pas de conservation des distances. Donc effectivement il y a un seul plan,
qui est une coupe instantanée. Du moment qu'on pose le devenir comme existant, il suffit d'une
seule coupe instantanée, il n'y a pas besoin d'avoir trente six coupes! Et ça a complètement à voir
avec ce qu'on vous racontait sur le plan de consistance.

GillesDeleuze: mais non, mais non. D'une part il y a une question de faits. Bergson, lui, en a besoin.
Il n'y a pas de discussion, il y a p', p’’, p’’’, etc., à l'infini. Lui, il a ça. Il a cette pluralité de
présentations puisque le plan de la matière ne cesse de se déplacer en même temps – on va le voir –
parce que sur le plan de la matière, il y a quelque chose aussi qui ne cesse de se déplacer, et dont on
n'a pas encore vu la matière. Donc lui, il en a besoin. D'autre part, puisque tu dis que le plan de
matière est nécessairement un bloc d'espace-temps…
Anne Querrien: Je dis que c'est une représentation. On peut choisir de représenter ça dans les

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dimensions de l'espace et du temps parce que ce sont celles qu'on a le plus travaillé en
mathématiques appliquées. Mais on pourrait très bien imaginer que ce soit dans des dimensions,
que je ne connais pas. Mais étant donné qu'on prend ces dimensions-là, on peut avoir une
succession de plans comme tu dis, mais il y a aussi concevable une coupe instantanée qui serait une
sorte de cristallisation, enfin les deux choses ne seraient pas contradictoires. On peut à la fois dire
que le plan est une coupe instantanée du devenir, et dire d'autre part aussi qu'il y a des séries de bloc
spatiaux-temporels…

GillesDeleuze: si tu fais cristalliser toutes les présentations du plan de matière, il y aura un ennui, il
me semble; c'est que, à ce moment-là, qu'est ce qui va t'empêcher de le confondre avec le Tout?

AnneQuerrien: C'est effectivement le risque. Le Tout, dans sa forme habituelle, ce serait ça. Oui. Ça
peut se faire.

GillesDeleuze: (rires) ça peut se faire… Mais là tu es infidèles à Bergson! C'est pas grave, mais ce
serait un autre système… Réponse à Richard: le devenir universel et le Temps impersonnel, c'est
pareil.

Donc tout va bien, vous voyez… Là-dessus, progressons vite.Je disais, je maintiens, et tout le
monde est d'accord que, au moins, c'est possible: séries de ces blocs espace-temps. Je dis: n'en
retenons qu'un, revenons à p – je me mets dans un cas simple, c'est déjà assez compliqué comme ça
–, qu'est-ce qui peut se passer? Qu'est-ce qui peut arriver? Parce qu’on est coincés, là! On est
tellement coincés qu'on est bien incapables de comprendre ce que c'est que ces histoires de Tout, de
devenir, qui nous renvoient à un autre élément que le plan de matière. On demande qu'est-ce qui se
passe sur le plan de matière ainsi défini, c'est-à-dire défini par les trois définitions, les trois
caractéristiques précédentes?

LA réponse de Bergson, c'est cette réponse qui laisse tellement étonné – parce que, encore une fois,
ce ne sont des choses qu'on ne voit que dans Matière et Mémoire, il dit: pas difficile, imaginez
qu’en certains points de ce plan de matière, de notre plan d'immanence, surgisse… quoi? Encore
une fois je n'ai pas le droit de faire appel à quoi que ce soit qui excède le mouvement, ou la lumière.
Est-ce qu'il tient sa promesse? C'est si beau, essayons de le suivre aussi loin que possible; il dit: la
seule chose qui puisse arriver dans tous ces parcours de mouvements, d'actions, de réactions, c'est
des intervalles, des intervalles de mouvement. Il ne se donne rien d'autre que le mouvement. Il dit
seulement: en certains points de mon plan d'immanence, il va y avoir un intervalle entre le
mouvement reçu et le mouvement exécuté. De bizarres atomes – on va voir comment ça a pu se
former ces choses là. Bizarres atomes? Un intervalle entre, c'est des images-mouvements, ce sont
des images-mouvement spéciales. Imaginez des images-mouvements spéciales traversées d'un
intervalle. Intervalle entre le mouvement que cette image reçoit et le mouvement qu'elle transmet,
dans tous les sens. Mais on va voir, est-ce que c'est encore dans tous les sens? Rien que des
intervalles, ou comme il dit: des écarts. Il est très fort pour dire: je ne donne rien d'autre que du
mouvement. Qu'est-ce qu'il me faut? Ce qu'il me faut, je vous parlais du mouvement, maintenant je
vous parle et je vous dis: il y a certaines images-mouvement, pourquoi? Je n'en sais rien encore. Il y
a certaines images-mouvement qui présentent un écart entre le mouvement reçu et le mouvement
exécuté. Un intervalle de mouvement. Je ne demande pour définir le plan de la matière que des
mouvements et des intervalles de mouvement. C'est pour ça que l'année dernière, quand je
m'occupais plus de cinéma, je disais: il y a quand même quelqu'un, un grand homme de cinéma, qui
a dit et qui a fait des manifestes sur: je ne demande pour faire le cinéma de l'avenir, je ne demande
que du mouvement et des intervalles de mouvement, et qui ajoutait: les intervalles de mouvement,
c'est encore plus important que le mouvement; mais donnez moi des mouvements et des intervalles

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de mouvements, et je vous ferais, quoi? Le monde comme ciné-œil. Ciné-œil: c'est à dire toutes les
théories de Ziga Vertov consistent et reposent exclusivement sur: les deux notions de mouvement et
d'intervalles de mouvement. Et qu'est-ce que Vertov estimait faire, à tort ou à raison? Il estimait
faire le cinéma matérialiste, digne de la société communiste de l'avenir. Et ce cinéma matérialiste ne
demandait que des mouvements et des intervalles de mouvements. A cet égard, ça ne m'étonne pas
puisque le premier chapitre de Matière et Mémoire, le premier chapitre me parait le texte le plus
matérialiste du monde. Alors Bergson a tant de choses à dire qu'il va tout de suite loin, il dit: qu'est-
ce que c'est cet intervalle de mouvement? Je ne me donne rien que de la matière, des images qui, au
lieu de transmettre immédiatement le mouvement reçu, sont telles qu'il y un intervalle entre le
mouvement qu'elles reçoivent et le mouvement qu'elles rendent – ce sera quoi? Donnons leur un
nom puisque ce sont des images très spéciales: ce sont des images vivantes. N'oublions pas notre
identité qui est complètement fondée et qui continue: image = matière = mouvement, etc. Ce seront
des matières vivantes. Et en effet comment est-ce qu'on défini un vivant par opposition à un non
vivant? On définit un vivant par l'existence d'un intervalle ou d'un écart entre le mouvement qu'il
reçoit et le mouvement qu'il rend, c'est-

à-dire le mouvement qu'il exécute. C'est ça un vivant.

Mais qu'est-ce qu'il y a de plus vivant que le vivant? Bergson y va tout droit, puisque il se réserve
pour plus tard l'étude du vivant, pour un autre livre. Ce qui l'intéresse là, dans Matière et Mémoire,
c'est d'arriver le plus vite à une matière vivante qui est l'expression la plus poussée, la plus
complexe, de l'écart ou de l'intervalle, à savoir: le cerveau! Il s'adresse tout de suite à un degré très
complexe d'élaboration de la matière vivante. Il dit: qu'est-ce que c'est qu'un cerveau? Un cerveau,
c'est de la matière – d'accord. N'allez pas croire qu'il y a des images dans le cerveau, le cerveau,
c'est une image parmi les autres: c'est une image-mouvement. C'est comme tout, c'est une image-

mouvement; simplement c'est une image-mouvement très spéciale, c'est une image-

mouvement qui présente un maximum d'écart entre le mouvement reçu et le mouvement exécuté.

Qu'est-ce que ça permet, un cerveau? En d'autres termes le cerveau, c'est rien; c'est rien, c'est un
écart, c'est un intervalle. Seulement c'est un intervalle qui compte, parce que qu'est-ce qui se passe
quand il y a un intervalle entre un mouvement reçu et le mouvement exécuté? Il se passe deux
choses: à ce moment là, l'image est, à la lettre, écartelée. Les images vivantes, c'est des images
écartelées. J'appelle image écartelée une image qui présente un intervalle entre le mouvement reçu
et le mouvement exécuté. Qu'est-ce que ça implique? Ca implique deux choses qui vont être
fantastiques, qui vont être l'éclosion du nouveau, même si on ne comprend pas pourquoi ni
comment. C'est bizarre toute cette histoire: il suffisait d'un intervalle entre les deux, pour que quoi?
Pour que l'action subie soit fixée et isolée. Isolée et fixée, oui, isolée du reste des images-
mouvement. Vous me direz: toujours plusieurs agissent sur une image-

mouvement, oui. Plusieurs agissent. Mais lorsque je me trouve devant l'image privilégiée à
intervalle, elle va être en mesure d'isoler une action principale. On va voir pourquoi. En d'autres
termes, elle arrive à isoler l'action qu'elle subit, ce qui était impossible pour les autres images sur le
plan d'immanence et même à devancer l'action qu'elle subit. Et de l'autre coté, puisqu'il y a écart, la
réaction qu'elle produit, la réaction qu'elle exécute, l'action qu'elle retransmet, elle va être capable
de quoi? Grâce à l'écart, grâce cette fois-ci au retard, vous voyez, il y a anticipation sur une face:
j'isole l'action que je subis et j'anticipe sur elle; sur l'autre face, il y a retard. L'écart, c'est une action
retardée. L'intervalle me donne un peu de temps. Pourquoi? Au lieu que ma réaction soit la
retransmission de l'action subie ou la propagation de l'action subie, tout se passe comme si les
images vivantes étaient capables de produire des actions retardées, c'est-à-dire des actions nouvelles
par rapport aux influences et aux actions subies. Des actions qui ne découlent pas immédiatement
de l'action subie.

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D'un coté action subie et anticipée, d'un autre coté action retardée et donc nouvelle par rapport à
l'action subie. A cela vous reconnaissez des vivants, et de préférences des vivants cérébraux, doués
de cerveaux.

Il nous suffisait juste l'intervalle. Vertov et Bergson même combat. Mais nous on a besoin d'un tout
petit peu plus. Et là ça devient tellement facile! Prolongeons un peu. On dit: quand même il exagère
de sauter tout de suite au cerveau. Nous, on va essayer de dire ce qui se passe avant: on va imaginer
une histoire qui est l'Histoire de la Terre; à ce moment là on prend un livre sur les origines de la vie.
On se dit: sur le plan d'immanence… Ça vous a pas échappé: mon apparition d'intervalles avec ses
deux aspects: dès que des images-

mouvement apparaissent, qui écartèlent le mouvement reçu et le mouvement exécuté, c'est-à-dire
isolent l'action subie et anticipent sur elle, d'autre part retardent l'action exécuté et dès lors
produisent du nouveau, ça dés que ça apparaît je peux dire que j'ai rendu compte de ces images
spéciales du point de vue sur le plan d'immanence, de quel point de vue? Du point de vue du
premier caractère du plan d'immanence, à savoir: ensemble infini d'images-mouvement. J'ai dit: le
plan d'immanence étant défini comme ensemble infini d'images-

mouvement réagissant les unes sur les autres, apparaît sur ce plan certaines images très spéciales
qu'on appellera des images vivantes ou des matière vivantes et qui présentent un intervalle de
mouvement. D'accord? Bon. La rigueur exige que je dise ce qui se passe, bien que tout ces points de
vue soient liés, du point de vue du second caractère du plan d'immanence, qui était: diffusion de la
lumière et propagation de lignes et figures de lumière pure. Qu'est-ce qui se passe, là? Il faut que je
trouve quelque chose de correspondant, vous comprenez? Que je puisse dire, et bien voilà aussi
l'équivalent de l'intervalle. L'intervalle, c'était en terme de mouvement, intervalles de mouvement.
Mais l'histoire du mouvement, c'était le premier caractère du plan; le second caractère du plan, c'est
la lumière et sa propagation, sa diffusion. Qu'est de qui se passe de ce point de vue-là? Qu'est ce
que c'est les images vivantes? Mes images lumineuses de tout à l'heure, avant que j'ai fait intervenir
des images spéciales, écartelées, à petit ou grand écart. Qu'est ce qui se passait pour mes lignes et
figures de lumières, diffusion, propagation en tous sens et toutes directions? Chaque image était
lumineuse en elle-même, elle ne recevait pas de la lumière d'ailleurs. Il n'y avait pas une conscience
qui venait les éclairer du dehors, elles n'en avait pas besoin: les choses étaient lumineuses en elles-

mêmes puisque c'était des images de lumière. Simplement cette lumière, elle n'était pas révélée
parce qu'elle n'avait pas à être révélée. Pourquoi est-ce qu'elle aurait été révélée? A qui? C'est bien
parce qu'il y a un plein de références…

Je parlais d'un règlement de compte avec Einstein, mais il a aussi un règlement de compte avec
l'ancien Testament. Bergson était juif, son histoire est très compliquée: il s'est converti au
catholicisme tout à fait à la fin de sa vie, mais il a voulu absolument le tenir secret parce que c'était
le moment d'Hitler, donc il voulait continuer à passer pour juif, il le restait très profondément, c'est
une très curieuse histoire.Et le rapport de Bergson avec l'ancien Testament, c'est un rapport très
fondamental, et même le bergsonisme.Je crois que toute cette histoire de lumière est très liée à
toutes sortes de thèmes religieux chez lui. Je dis: cette lumière, elle n'avait pas à se révéler. C'est
bien parce qu'on entend au catéchisme, parait-il, on entend des enfants qui disent: mais avant la
lumière, qu'est ce qu'il y avait? La réponse de Bergson, c'est: avant la lumière, mais il y avait la
lumière… Il ne faut pas parler d’avant la lumière, il faut parler de, avant que la lumière ne soit
révélée. Ce n'est pas du tout pareil. Mais la diffusion universelle de la lumière c'est le plan
d'immanence de tout temps. On a vu que, de tout temps, bien avant qu'il y ait la moindre cellule
vivante….

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Qu'est-ce qui se passe? Voilà que les images lumineuse spéciales apparaissent, [et] que j'appelle –
c'est la même chose. Je veux dire: ce que l'intervalle de mouvement est au mouvement, qu'est-ce qui
va l'être à la lumière? Elles ont une propriété très spéciale, c'est des images écartelées, elles vont
arrêter la lumière. Elles ne vont avoir qu'un pouvoir: elles vont réfléchir la lumière. Les images
vivantes vont réfléchir la lumière. A plus forte raison lorsque ces images vivantes auront un
cerveau, ou lorsqu'elles auront des yeux, ce seront des phénomènes de plus en plus complexes de
réflexion de la lumière. Ce que l'intervalle de mouvement est au mouvement, la réflexion de la
lumière va l'être à la lumière. C'est-à-dire: elles vont recevoir un rayon, elles vont arriver à isoler
une ligne de lumière – ça, c'est le premier aspect de l'image mouvement vivante –; et, deuxième
aspect, elles vont réfléchir la lumière. En d'autres termes, qu'est-ce qu'elles vont fournir? Elles vont
fournir la photo, si photo il y a, et tirer dans les choses de tout temps. Seulement, la photo était
translucide, dit Bergson. Il faudrait dire , à la lettre; la photo était transparente. La photo était dans
les choses, mais elle était transparente. Qu'est-ce qui manquait? Là, le style de Bergson est un style
très très grandiose: ce qui manquait, c'était derrière la plaque dit-il, et la plaque, c'était rien d'autre
que chaque image-mouvement. Derrière la plaque, ce qui manquait, c'était l'écran noir. L'écran noir
nécessaire pour que la lumière soit révélée. Qu'est-ce que les images vivantes, du point de vue cette
fois-ci de la lumière, apportent? L'écran noir qui manquait. Uniquement l'écran noir qui manquait.
En d'autres termes, qu'est-ce que c'est que la conscience? A la limite, qu'est-ce que c'est que la
conscience?

La conscience, c'est le contraire d'une lumière. Toute philosophe a vécu sur l'idée que la conscience
c'était une lumière, et bien non.Ce qui est lumière, c'est la matière. Et puis voilà: la conscience, c'est
ce qui révèle la lumière. Pourquoi? Parce que la conscience, c'est l'écran noir. La conscience, c'est
l'opacité, qui en tant que tel va emmener la lumière à se révéler, c'est-à-dire à se réfléchir. Donc,
renversement complet: ce n'est pas la conscience qui éclaire les choses, c'est les choses qui
s'éclairent elles-mêmes, qui s'éclairent si bien elles-mêmes que la lumière n'est pas révélée; la photo
dans les choses est transparente mais elle est là: il faut l'image vivante pour fournir l'écran noir sur
lequel la lumière va buter se réfléchir. Et nous ne sommes rien d'autre que ça. Tout à l'heure nous
étions intervalles entre mouvements et rien d'autres, nous n'étions que de petits intervalles. Dans la
mesure ou nous avions un cerveau, nous étions de grands intervalles. Et maintenant, ça ne vaut pas
mieux.C’est formidable, comme règlement de comptes avec l'homme… (rires) Vous vous croyez
lumière, pauvres gens, vous n'êtes que des écrans noirs, vous n'êtes que des opacités dans le monde
de la lumière.

Qu'est-ce que ça veut dire ensuite quand on reproche à Bergson de n'avoir pas connu l'inconscient,
ou d'avoir ignorer l'inconscient? Qu'est-ce que vous voulez qu'il fasse de l'inconscient, une fois dit
que la manière dont il a défini la conscience, c'est l'opacité pure, c'est l'opacité brute. Il n'a vraiment
pas besoin d'inconscient. Je ne vois pas bien ce qu'il en ferait… Il a déjà tout mis ce qu'il fallait,
dans la conscience, alors… Bon, ça marche.

Ça, c'est le deuxième caractère de ces images vivantes cérébrales, cérébralisées. C'est un haut
niveau de complexité. C'est rudement bien fait, vous voyez que les deux se font écho. Action subie
qui était isolée, action retardée qui, dès lors, était nouvelle, et puis là: lignes de lumière isolées et
lignes de lumière réfléchie, ça se vaut. L'écran noir du point de vue de la lumière et l'intervalle du
point de vue du mouvement se correspondent tout à fait. Je poserais enfin une troisième question,
elle est toute simple: puisque mon plan d'immanence a un troisième caractère qui est d'être une
coupe mobile, une coupe mobile de l'universel devenir, de ce troisième point de vue, qu'est-ce que
vont apporter les images spéciales, images ou matières vivantes? Là comme on n'a pas encore vu
les histoires d'universel devenir, je ne peux répondre qu'une chose qu'elles peuvent apporter – c'est
quoi? Nous sommes en droit de supposer que ces images vivantes seront avec l'universel devenir,
dont le plan d'immanence, dont le plan de matière est une coupe mobile, et [ce] bien que ces images
spéciales seront avec cet universel devenir dans un rapport très particulier, dans un rapport

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privilégié. Je ne peux pas en dire plus. Elles ne seront pas comme le plan qui pourtant les contient;
ces images vivantes ne seront pas de simples coupes mobiles de l'universel devenir, elles auront un
rapport plus intime avec cet universel devenir – mais lequel? Ça, on n'en sait rien. On laisse ça de
coté, on peut pas, on a pas les moyens. Et puis on est pas pressés. On pourrait dire: il exagère, il se
donne tout de suite le cerveau!

Il se le donne merveilleusement parce qu'il l'analyse comme matière, le cerveau. Il montre très bien
dans le premier chapitre comment le cerveau n'est finalement qu'une matière capable d'arrêter
l'action subie, et de reporter l'action subie. Ça, il le montre à merveille, avec tous les rapports, en
faisant une brève analyse, mais très belle, du cerveau et de la moelle épinière. Très beau. Rien à
retoucher. Il me semble que toutes les théories du cerveau, aujourd'hui, elles insistent énormément
là-dessus. Ce n'est pas du tout un ensemble de trucs qui se touchent.C'est très curieux, les
biologistes actuels du cerveau.On a longtemps parlé de toutes sortes de choses qui se touchaient,
qui se tenaient dans le cerveau, qui se mettaient en contact, aujourd'hui les trucs de contact au
niveau des phénomènes intra-cérébraux, ce n'est plus du tout la tendance. Ils parlent tout le temps
de trucs qui sautent, d'actions qui font des sauts, d'un point à l'autre. Je crois que les textes de
Bergson tiendraient très très bien aux conceptions actuelles.

Mais dans mon souci de rajouter un petit quelque chose, je dirais: tout ça c'était pas possible quand
le plan d'immanence était très chaud, c'est-à-dire lignes de lumière; tout ça qu'est-ce que c'était
chaud! Le plan d'immanence était avant tout chaud. Très très chaud! Tout à fait chaud. Ça n'a l'air
de rien, mais si vous vous reportez à n'importe quel livre bien fait sur l'origine de la vie, vous
apprendrez que la vie ne pourrait pas apparaître sans certaines conditions de chaleur extrêmes. Bien
plus, [que] les matières qui préparaient la vie ne pouvaient pas apparaître dans de telles conditions,
si simples qu'elles soient, et pourtant elles n'étaient pas simples. Il a fallu quelque chose comme une
perte de chaleur. D'où c'est venu, ça me dépasse… Mais enfin, je ne dois pas être le seul… Il faut
supposer que sur mon plan d'immanence un refroidissement s'est produit. Evidemment, c'est
embêtant: d'où il vient ce refroidissement? Je peux rendre compte de sa chaleur: qu'il fasse chaud et
bouillant avec mes lignes de lumière, ça rend compte. Mais voilà que ça se refroidit… J'y penserai
d'ici l'année prochaine, on peut toujours trouver une raison, si quelqu'un en trouve une! Il ne faut
pas trouver une raison qui invoque un extérieur du plan d'immanence. La seule issue: il faudrait
montrer qu'il y a eu un plan d'immanence qui a coupé; une coupe mobile de l'universel devenir a
coupé de telle manière que l'effet a été un refroidissement du plan… Ce n'est pas de la tarte à
montrer, ca, et puis ça n'a aucune importance, et ça ne changerait rien!

Supposons qu'on ait montré ça: ça s'est refroidit. Alors ont commencé l'universel mouvement,
l'universelle variation des images-mouvement, l'universel clapotement des images-mouvement.
Avec le refroidissement ont commencé à se former des images-mouvements, qui étaient très loin du
vivant, mais qui étaient déjà un peu bizarres. Et leur bizarrerie, tout le monde est unanime, tous les
savants sont unanimes pour dire: elles ne pouvaient pas apparaître tant que la terre était très chaude
car, vous avez déjà compris: mon plan d'immanence, ce n'est pas seulement la Terre, c'est l'Univers.
Ça ne pouvait pas apparaître tant que la Terre était très chaude – c'est quoi? C'est ces matières très
spéciales, je parle toujours en termes d'images et de matière. Ces images ou ces matières très
spéciales, qui ne sont pas du tout encore vivantes et qui ont la propriété de tourner le plan de
polarisation de la lumière vers ce qu'on appellera une droite ou une gauche, [et] ce sont les
substances ou matières dites dextrogyres ou levogyres. Les matières dextrogyres font tourner le
plan de polarisation de la lumière vers la droite, comme leur nom l'indique, et les levogyres les fait
tourner vers la gauche. Ca ne pouvait pas apparaître quand la terre était très chaude – c'est bien.
Avec de pareilles matières, j'ai déjà constitution de droite et de gauche. Droite et gauche ne peuvent
pas se définir sans référence à… (Fin de la bande.)

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Voilà mon plan d'immanence et ce qu'on appelle la soupe pré-biotique, une vaste soupe pré-
biotique. Bien plus disons: il faut concevoir déjà des micro-

intervalles dans la soupe pré-biotique. Cette formule doit rendre tout très clair. Déjà quand je dis
micro-intervalles, c'est très curieux, ces substances. Mais quand vont apparaître les substances
vivantes les plus simples, les plus rudimentaires, ces micro-intervalles vont se confirmer.

Intervention: il y a des yeux dans le bouillon (éclat de rire général)…

Gilles Deleuze: très spirituel (il pouffe de rire). Donc il y a des micro-

intervalles, et puis toute l'évolution de la vie – et ça Bergson ne le développera pas, il a autre chose
à faire dans l'Evolution créatrice –, mais il faudrait percevoir la montée à partir des micro-
intervalles des substances dextrogyres et levogyres, à partir d'elles la montée vers des macro-
intervalles, assignables dans le temps. Et pourquoi est-ce qu'on avait besoin de mettre le Temps
dans notre plan d'immanence, vous le comprenez? Dans notre plan d'immanence, dans notre plan de
matière, la notion d'intervalle même, si vous ne vous donnez pas le temps, vous vous donnez un
pure écart spatial, et il faudra bien que cet écart spatial soit un intervalle temporel.

Anne Querrien: intervention inaudible sur la coupe et la température, les autres dimensions
possibles.
GillesDeleuze: La température, elle était prise dans la lumière, donc tu peux pas la reflanquer dans
le devenir sinon sous une toute autre forme. Il te faut deux températures comme chez
Malebranches: une température températurante et une température temperaturée! On a pas fini…

Là-dessus, j'essaie d'aller plus vite. Donc vous voyez que l'évolution pourrait être conçue comme
l'affirmation évolutive et progressive de ce que je peux aussi bien appeler les intervalles de
mouvement, les écrans noirs ou réflections de lumière, ou les rapports privilégiés d'expression avec
l'universel devenir. Qu'est-ce qui se passe? Maintenant on les tient, ces images spéciales. Nous
allons les appeler – comment? – pour bien montrer qu’on n'a rien introduit d'autre que l'image-
mouvement, que du mouvement ou de la lumière. On n’a introduit en effet que de l'intervalle de
mouvement, que de l'écran noir, c'est-

à-dire, à la lettre, du rien. On va les appeler: centres d'indétermination. C'est très important, c'est
déjà pure indétermination puisque ça consiste à empêcher que le mouvement reçu se prolonge en
mouvement exécuté; ça consiste à empêcher que la lumière diffuse en tous sens et en toutes
directions. Mais ça n'a aucune détermination par soi-même, ça arrête du mouvement, ça retarde du
mouvement, ça réfléchit de la lumière – tout ça. Les images vivantes et cérébralisées, c'est-à-dire de
coup: nous nous sommes nés à partir des trucs pré-biotiques, des substances dextrogyres, levogyres.
Nous sommes enfin nés, chacun de vous est sur ce plan, mais dans quel état, mon Dieu! A l'état
d'écran noir, c'est-à-dire le meilleur de vous-même, à l'état d'intervalle de mouvement, et chacun de
vous y est. Comment est-ce que vous vous distinguez les uns des autres? Evidemment, vous ne
recevez pas les mêmes mouvements, vous n'exécutez pas les mêmes mouvements, vous réfléchissez
pas les mêmes rayons lumineux: chacun taille son monde sur le plan d'immanence. Si bien que si je
prends un de ces [????] vous n'êtes pas plus déterminés les uns que les autres, vous n'êtes rien que
des centres d'indétermination. Et si vous pouviez le rester, sans doute ce serait… Il y en a qui
retombent, périodiquement. On peut considérer, alors ce serait comme une thérapeutie, certaines
maladie comme retours à l'état de centre d'indétermination. En fait, ces maladies, c'est des
conquêtes prodigieuses, c'est le troisième genre de connaissance de Spinoza, c'est le retour au plan
d'immanence. Si bien que le seul fait de savoir un tel bonheur doit suffire à guérir de ces états dont

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certains se plaignent.

Comment ça se passe? J'ai un centre d'indétermination, il se passe trois choses. Je précise: que ça
aille par trois, ce n'est pas ma faute, et ça n'a aucune importance, et ça ne correspond pas du tout au
trois caractères précédents. On l'a vu, mais on n’avait pas les bases suffisantes, maintenant on
devrait arriver à comprendre. Première chose qui arrive en fonction de ce centre d'indétermination,
c'est-à-dire de cette image-mouvement très spéciale. A votre choix, vous direz: une action est isolée
des autres parmi toutes les actions. Cette image-mouvement très spéciale, c'est comme si elle avait
spécialisé une de ses faces. Ce n'est pas comme si… Vous vous rappelez le statut des images-

mouvement pures dont on était parti, elles reçoivent des actions et exécute des réactions, c'est-à-
dire, elles subissent des variations sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties. C'est pour ça
que j'ai tellement insister tout le temps sur ce texte de Bergson: sur toutes leurs faces et dans toutes
leurs parties. Là, ces images spéciales, ces centres d'indétermination, tout se passe comme s’ils
avaient délégués une face à la réception. C'est pour ça que ça suppose déjà la distinction de la
droite, de la gauche. (Parenthèse que j'ai oublié: c'est déjà au niveau de la soupe pré-biotique qu’on
commence, non pas à avoir des solides, mais à tendre vers une élaboration des solides; et le chemin
du vivant, et la constitution des choses en solides, ça ne va faire qu'un, ça va être un chemin tout à
fait vers la simultanéité.)

Mais alors ce n'est plus du tout l'état des images-mouvement qui agissent et réagissent sur toutes
leurs faces et dans toutes leurs parties; ces images privilégiées, ces images vivantes ont spécialisé
une de leur face à la réception. Elles ne reçoivent d'action, pas seulement sur cette face, mais elles
ont une face capable d'isoler les actions qu'elle reçoit. Donc elles ont une face privilégiée de
réception. (Dessein: l'image, d'un coté de l'écart, a spécialisé une de ses faces à la réception).
D'accord elle est attaquée sur toutes les autres faces par des actions subies, ça n'empêche pas qu'elle
a une face réceptrice privilégiée. Avec l'évolution du vivant, cette surface, cette face de réception,
portera les organes des sens. A plus forte raison avec le développement du visage, les organes de
réceptions se feront de plus en plus spécialisés. Bon. Cette face réceptrice elle est très importante
puisque, en effet, elle permet d'isoler l'action subie, et d'anticiper sur l'action subie, c'est-à-dire
s'appréhender des actions possibles. Car, en effet, avec le développement des organes des sens va se
produire la perception à distance. En d'autres termes, grâce a cette première face spécialisée dans le
réception, je peux dire: l'image vivante perçoit.

Qu'est-ce que ce sera, dès lors, une image-perception? Une image-perception ce sera l'image d'une
action subie en tant qu'isolée et même devancée, anticipée, par une image-mouvement spéciale qui
la reçoit.

En d’autres termes je peux dire de toute nécéssité, les images vivantes, en fonction de l’état qu’elles
présentent, auront des images-perceptions.

Et vous voyez, à ce moment là, le statut de la perception. Quand je disais tout à l’heure: mais les
atomes c’est des perceptions totales. Ils perçoivent tout ce qu’ils subissent et tout ce qu’ils font.
Donc c’est des préhensions totales. Les perceptions que vous et moi nous avons, c’est évidemment
pas plus que ce que perçoit un atome, nous perçevons beaucoup moins, c’est une soustraction. Nous
nous n’avons que des perceptions partielles, c’est même pour ça qu’elles sont conscientes. Nous
n’avons que des perceptions partielles, nous percevons des excitations, c’est à dire des actions
subies, que nous isolons en même temps. C’est à dire: nous les soustrayons presque, d’où une page
merveilleuse de Bergson sur la comparaison de la perception avec un cadrage. Le cadrage étant
précisement l’opération qui permet d’isoler sur un ensemble infini d’actions subies ou d’excitations
subies, telle et telle, tel ensemble fini d’excitations. L’opération de la perception ce sera un cadrage
ou comme il dit aussi : la mise en tableau.

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J’ai donc des images-perception qui ne sont pas plus que les images-mouvement, qui sont moins!
Le centre d’indétermination qui s’est contenté d’isoler les actions subit, et c’est cette opération
d’isolement par rapport à l’ensemble de toutes les variations qui constitue la perception, et qui
constitue le cadrage du monde par le vivant. Donc j’ai des images-perception. Je dirais: là, le centre
d’indétermination, l’image-vivante se donne des images-perception. Premier point. Et si j’essaie de
traduire en termes de lumiére, la même chose: en tant qu’écran noir qui arréte la lumiére par une
face privilégiée, il va réfléchir la lumiére, et cette opération d’arrêter la lumiére et de la réfléchir va
constituer la perception.

Parfait. Limpide.

Donc l’image spéciale vivante a elle-même des images-perception.
Deuxiémement. Passons à un autre bout, l’autre écart, l’autre dimension de l’écart. Un intervalle
entre l’action subie et l’action éxécutée, si bien que l’action éxécutée est quelque chose de nouveau
par rapport à l’action subie. Du temps s’est passé pendant lequel le vivant a pu élaborer ce qu’on
avait appelé: non plus une simple réaction, mais une riposte, ou une réponse; et une riposte ou une
réponse, c’est à dire une réaction nouvelle par rapport à l’action subie, c’est ça qu’on appelle:
action à proprement parlé, lorsque nous disons: le vivant, contrairement à une chose inanimée, le
vivant agit.

Qu’est-ce que ça implique, ça? ça implique pas seulement...et aprés tout vous comprenez bien que
de la perception à l’action il y a un passage continu, c’est même ce qu’on veut dire quand on dit -,
le plus platement, que toute perception est sensori-motrice. La perception est déjà à cheval sur
l’action. C’est que, en effet, la perception elle ne se contentait pas d’être un cadrage, c’est à dire
d’isoler certaines actions subies pour les arrêter et les devancer. Elles se définissaient pas seulement
par un cadrage et par un isolement, elles se définissaient par un phénoméne nouveau- c’est sur le
plan d’immanence-, par une espéce d’incurvation. Autour de chaque centre d’indétermination, le
monde connait une courbe. En effet, l’ensemble des actions qui s’exprimaient sur le centre
d’indétermination, s’organisait comme une espéce de milieu dont le centre d’indétermination allait
être le centre, si bien que le monde s’incurvait et que c’était ça qui définissait l’horizon de la
perception. La perception n’était pas seulement un cadrage, elle était un cadrage prélévé sur un
horizon, et l’horizon n’était pas moins crée par la perception, mais, parceque le plan d’immanence
avant les images vivantes xxxx n’avait pas comporté d’horizon, pas plus qu’il ne comportait
d’horizontale ou de verticale, pas plus qu’il ne comportait de droite et de gauche. Il faut ajouter
l’horizon à ces choses nouvelles, droite et gauche, haut et bas etc...

quelques phrases inaudibles du fait de la détterioration de la bande....

Leibniz (Foucault-Blanchot-cinéma)

1982/83 date non déterminée

Nous en étions là, pourquoi est-ce que Kant conçoit ainsi l'homme, pourquoi est-

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ce que cette idée des facultés hétérogènes, pourquoi est-ce qu'il a fallut attendre Kant ? Ma réponse
est très simple, c'est que la métaphysique ne peut pas- ce n'est pas qu'elle ne veut pas-, elle ne peut
pas atteindre à ce terme des facultés hétérogènes. Pour l'atteindre Kant opère ce qu'il appelle lui-
même sa révolution, à savoir la substitution de la critique à la métaphysique.

Pourquoi est -ce que la métaphysique ne peut pas ? On l'a vu la dernière fois ; c'est que ce qui
définit la métaphysique depuis le christianisme, et son rapport ave la théologie, c'est la position de
l'infini comme premier par rapport au fini. Comprenez que nos facultés sont nécessairement
homogènes en droit. Comme c'est curieux. pourquoi est-ce que si l'infini est premier par rapport au
fini nos facultés sont homogènes en droit ? Parce que nous sommes finis en fait, mais la finitude
n'est qu'un fait. Ce qui est premier par rapport au fini c'est l'infini ; mais l'infini c'est quoi ?

c'est d'abord l'entendement de Dieu. L'entendement infini. Toute la métaphysique du 17° siéle est
remplie de considérations sur l'entendement infini ; mais l'entendement infini, l'entendement de
Dieu c'est quoi ? Dieu c'est l'être pour lequel il n'y a pas de donné. En effet Dieu crée, et crée ex-
nihilo. C'est à dire à partir de rien. il n'y a meme pas du matériau qui lui soit donné. Dès lors la
distinction d'un donné et d'un agi n'existe pas pour Dieu. En d'autres termes, la différence entre
donné et crée n'existe pas pour Dieu. La différence entre réceptivité et spontanéité n'existe pas pour
Dieu ; Dieu est uniquement spontanéité. Dès lors qu'est-ce que c'est que le donné ? Le donné c'est
une spontanéité déchue. Il n'y a de donné que pour la créature parceque la créature est finie. Le
donné n'est qu'une spontanéité déchue, en d'autres termes: nous, étant des êtres finis en fait, nous
disons: il y a du donné. Pour Dieu, il n'y a pas de donné. C'est uniquement notre finitude qui fait la
différence de la réceptivité et de la spontanéité. Cette différence ne vaut pas au niveau de Dieu. Or
Dieu c'est le droit, c'est à dire c'est l'état de chose tel qu'il est en droit. Vous voyez c?est très simple,
pour que le kantisme soit possible il faut qu'il y ait une promotion de la finitude. Il faut que la
finitude ne soit plus considérée comme un simple fait de la créature, il faut que la finitude soit
promue à l'état de puissance constituante. C'est pour cela que Heidegger aime tant se réclamer de
Kant. Kant c'est l'avènement d'une finitude constituante, c'est à dire que la finitude n'est plus un
simple fait qui dérive d'un infini originaire, c'est la finitude qui est originaire. C'est cela la
révolution kantienne.

Dés lors ce qui acccéde au jour c'est l'irréductible hétérogénéité des deux facultés qui me
composent, c'est à dire qui composent mon esprit, la réceptivité et la spontanéité. Réceptivité de
l'espace-temps, spontanéité du ?Je pense ?. Enfin l'homme devient difforme ; difforme au sens
étymologique du mot, c'est à dire dys-forme, il claudique sur deux formes hétérogènes et non
symétriques : réceptivité de l'intuition etspontanéité du ?je pense?. On en était là.

Si vous avez suivi vous pouvez vous attendre à quelque chose : de Descartes à Kant, de Descartes
qui maintenait encore explicitement le primat de l'infini sur le fini, et qui par là était une grand
penseur classique, c'est à dire du 17° siécle, et bien de Descartes à Kant, la formule célèbre du
Cogito,?je pense donc je suis? change tout à fait de sens. La dernière partie de ?les mots et les
choses? comporte un grand nombre de références à Kant et reprend le thème heideggerien où la
révolution kantienne consiste en ceci : avoir promu la finitude constituante, et rompu ainsi avec la
vieille métaphysique qui nous présentait un infini constituant et une finitude constituée. Avec Kant
c'est la finitude qui devient constituante. Foucault utilise admirablement ce thème, mais c'est
Heidegger qui le premier a dégagé et a défini Kant par cette opération de la finitude constituante. A
ce moment là je dis qu'il faut bien que le cogito prenne un tout autre sens. Je vous demande de faire
très attention. Chez Descartes le Cogito se présente tout autrement. Descartes nous dit d'abord ?Je
pense?. Qu'est-ce que c'est ? C'est la premiére proposition. Qu'est ce que ça veut dire, je pense ? ?Je
pense?, c'est une détermination ; bien plus c ?est une détermination indubitable. Pourquoi,
indubitable ? Parce que je peux douter de tout ce que je veux ; je peux douter que vous existiez, je

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peux meme douter que j'existe. Il n'y a qu'une chose dont je ne peux pas douter c'est que je pense.
Pourquoi est-ce que je ne peux pas douter que je pense ? Parce que douter c'est penser. Il ne s'agit
pas de discuter, il s'agit de comprendre ce qu'il veut dire.J e peux douter que deux et deux fassent
quatre, mais je ne peux pas douter que, moi qui doute,je pense. Donc ?je pense? est une
détermination indubitable.

Deuxiéme proposition : ?je suis?! Et pourquoi ?je suis? ? Pour une raison très simple, c'est que pour
penser il faut être. Si je pense,je suis. Au niveau B l'énoncé du cogito c'est : si je pense,j e suis.
Proposition A ? je pense?, proposition B : or si je pense, ?je suis?. Pourquoi est -ce que si je pense,
je suis ? Je pense est une détermination indubitable. Il faut bien qu'une détermination porte sur
quelque chose, sur quelque chose d'indéterminé. Toute détermination détermine un indéterminé. En
d'autres termes : ?je pense? suppose ?être? ; je ne sais pas en quoi consiste cet être, je n'ai pas à le
savoir. ?Je pense? est une détermination qui suppose un etre indéterminé. Le ?je pense? va
déterminer le ?je suis?. La détermination suppose un indéterminé. Que tout cela est beau. Il n' ya
pas lieu de faire des objections. C'est déjà tellement fatiguant de comprendre. Si je pense, je suis. Je
suis quoi ? A ce niveau, une existence indéterminée. Proposition C: mais qu'est-ce que je suis ? Je
suis une chose qui pense. Ce qui veut dire: la détermination ?je pense? détermine l'existence
indéterminée ?je suis?, d'où je dois conclure :je suis une chose qui pense.

L'énoncé du cogito serait donc:

A- Je pense

B-Or,pour pense il faut etre

C-donc je suis une chose qui pense. En d'autres termes je dirais que Descartes opère- et c'est très
important pour l'avenir- avec deux termes, ?je pense? et ? je suis?, et une seule forme : je pense. En
effet ?je suis? c'est une existence indéterminée qui n' a pas de forme. La pensée est une forme et elle
détermine l'existence indéterminé : je suis une chose qui pense. Il y a deux termes ?je pense? et ?je
suis? et une seule forme, ?je pense?, d'où l'on conclut ?je suis une chose qui pense?.

Maintenant écoutez Kant. Il conserve A et B. Il dira ?je pense?, A, et ?je pense? est une
détermination. Il dira d'accord pour B, à savoir que la détermination implique une existence
indéterminée : ?je pense? implique je ?suis? ; la détermination doit bien porter sur quelque chose
d'indéterminé. Et tout se passe comme si Kant décrivait à l'issu de B un blocage. Il dit à Descartes :
vous ne pouvez pas aller plus loin. Vous ne pouvez pas conclure : je suis une chose qui pense.
Pourquoi ? Descartes ne peut pas conclure parceque...C'est très simple. C'est vrai que ?je pense? est
une détermination, c'est à dire détermine,le ?je pense ?détermine une existence indéterminée, à
savoir ?je suis?...mais encore faut-il savoir sous quelle formel 'existence indéterminée est
déterminable. Une fois de plus Descartes était trop préssé (rires). Il a cru que la détermination
pouvait porter directement sur l'indéterminé, et comme ?je pense?, la détermination, impliquait ?je
suis?, l'existence indéterminée, il concluait ?je suis une chose qui pense?.

Rien du tout, car lorsque j'ai dis ?je suis?, l'existence indéterminée impliquée dans la détermination
?je pense?,j e n'ai pas dit pour cela sous quelle forme l'existence indéterminée était déterminable. Et
sous quelle forme l'existence indéterminée est-elle déterminable ? C'est une pensée prodigieuse.
Sans l'avoir lu vous pouvez presque précéder Kant, car vous êtes en train de deviner ce que Kant
essaie de nous dire : l'existence indéterminée n'est déterminable que dans l'espace et le temps, c'est
à dire sous la forme de la réceptivité. L'existence indéterminée ?je suis? n'est déterminable que dans
l'espace et le temps, c'est à dire : je m'apparais dans l'espace et dans le temps.L'existence
indéterminée n'est déterminable que sous la forme de la réceptivité.

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Quelle histoire!

Pourquoi ? ?Je pense? c'est ma spontanéité, ma détermination active.Mais voilà que ma spontanéité,
le ?je pense?, ne détermine mon existence indéterminée que dans l'espace et dans le temps, c'est à
dire sous la forme de la réceptivité.

En d'autres termes la détermination ne peut pas porter directement sur de l'indéterminé, la
détermination ?je pense? ne peut porter que sur du déterminable.Il n'y a pas deux termes,l a
détermination et l'indéterminé, il y a trois termes : la determination, l'indéterminé et le
déterminable. Descartes a sauté un terme.

Mais alors si mon existence indéterminée n'est déterminable que sous la forme de la réceptivité ;
c'est à dire comme l'existence d'un être receptif, j e ne peux pas déterminer mon existence comme
celle d'un être spontané. Je peux seulement me représenter ma spontanéité, moi être récéceptif qui
ne suis déterminable que dans l'espace et dans le temps,j e ne peux que me représenter ma propre
spontanéité, et me la représenter que comme quoi ? Comme l'exercice d'un autre -

-- ?--L'année dernière j'avais rapprocher la formule de Kant de celle de Rimaud: "Je est un autre".

Je est un autre. J'aurais raison, à la lettre, si Kant le disait à la lettre. Heureusement Kant le dit à la
lettre dans la premiére édition de la Critique de la Raison Pure. Je lis le texte lentement : ?le ?Je
pense? exprime l'acte qui détermine mon existence (ça veut dire que le ?je pense? pense est une
détermination, et par la même c'est ma spontanéité). L'existence est donc déjà donnée par là
-(existence indéterminée)-, mais pas la maniére de la déterminer.(je suis sur que la traduction n'est
pas bonne. Pas la maniére de la déterminer ça veut dire pas sous le mode sous lequel elle est
déterminale. L'existence est donc déjà donnée par là, mais pas la maniére sous laquelle elle est
déterminable). Il faut pour cela l'intuition de soi-même (c'est à dire la réceptivité), qui a pour
fondement une forme, c'est à dire le Temps qui appartient à la réceptivité-(le temps c'est la forme
sous laquelle mon existence est déterminable). Je ne peux donc pas déterminer mon existence
comme celle d'un être spontané, mais je me représente seulement la spontanéité de mon acte de
penser ou de détermination, et mon existence n'est jamais déterminable que dans l'intuition, comme
celle d'un être receptif.

Mon existence n'est déterminable que dans le temps comme l'existence d'un être receptif, lequel
-être receptif-, dés lors, se représente sa propre spontanéité comme l'opération d'un autre sur moi?.
Vous voyez comme c'est beau. Moi je disais qu'il y a une béance. Il y a une faille dans le Cogito.
Chez Kant le Cogito est complétement félé. Il était plein comme un oeuf chez Descartes, Pourquoi ?
Parcequ'il était entouré et baigné par Dieu. Mais avec la finitude constituante,je marche sur deux
jambes, Réceptivité et Spontanéite, et c'est vraiment la faille à l'intérieur du Cogito, à savoir :

le ?Je pense? - spontanéité- détermine mon existence, mais mon existence n'est déterminable que
comme celle d'un être réceptif. Dés lors, moi, être réceptif, je me représente ma spontanéité comme
l'opération d'un autre sur moi, et cet autre c'est ?Je?. Qu'est ce que fait Kant ? Là où Descartes
voyait deux termes et une forme, lui il voit trois termes et deux formes. Trois termes : la
détermination, l'indéterminé et le déterminable. Deux formes: la forme du déterminable et la forme
de la détermination,c'est à dire l'intuition,l'espacce-

temps, et le ?je pense?. La réceptivité et la spontanéité.(....)

La lumiére est quelque chose de plus qu'un milieu physique, elle est un milieu physique, mais elle
est quelque chose de plus ; elle est ce que Goethe voulait, à savoir un indivisible.

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C'est une condition de l'expérience et du milieu,c'est une condition indivisble. C'est ce que les
philosophes appelle un a-priori. Les milieux se développent ou s'étalent dans la lumiére. La lumiére
n'est pas un milieu,la lumiére est une condition a-priori, c'est signé Goethe contre Newton.......(...)
Les énoncés médicaux sont des énoncés sur ou de la déraison, mais à l'hopital général on ne soigne
pas.Surveiller et punir, à mon avis pousse plus loin et envisage la prison comme lieu de visibilité,
lieu de visibilité du crime, lieu de visibilité de l'infraction. On a vu que la prison c'était un lieu de
visibilité par définition puisque la prison c'est le panoptique. D'autre part le droit pénal est un
régime d'énoncé. Est-ce qu'il y a forme connue ?

La réponse de Foucault, dans de longues analyses historiques, c'est non, il n' y a pas de formes
communes. Au moment même où la prison apparait, ou se généralise, le droit pénal, les énoncés de
droit pénal, cherche dans une toute autre direction. Toute l'évolution du droit pénal au 18° siécle se
fait sans référence à la prison. C'est une punition parmi d'autres. De quoi s'occupe le droit pénal ?
Comme les énoncés médicaux s'occupaient non pas du fou mais de la déraison, les énoncés
juridiques s'occupent du délinquant. La délinquance est l'objet spécifique des énoncés. Pourquoi ?
Qu'est-ce que ça veut dire, à la lettre, la délinquance est l'objet spécifique dés énoncés ? ça veut dire
que les énoncés du droit pénal au 18° siécle dans son évolution, dans l'évolution du droit, classe et
définit d'une nouvelle maniére les infractions. La délinquance est l'obet nouveau des énoncés de
droit, c'est à dire que c'est une nouvelle maniére de classer les infractions. On retrouvera ce thème
plus tard. Je cherche uniquement à dégager un schéme, un schéma presque formel. Donc du côté du
visible vous avez prison, prisonnier, de l'autre côté, du côté du lisible vous avez énoncés et
délinquance. C'est dans la deuxiéme partie de ?surveiller et punir?, chapitres 1 et 2.

La prison ne renvoit pas à un modéle juridique,la prison n'est pas prise dans les énoncés de droit
pénal. D'ou vient-elle ? Elle vient d'un tout autre horizon qui est les techniques disciplinaires. Les
techniques disciplinaires sont absolument différentes des énoncés juridiques. Vous retrouverez les
techniques disciplinaires dans l'école, dans l'armée, dans l'atelier ; c'est pas l'horizon juridique. Si
bien que jamais l'énoncé juridique ne pourra dire devant une prison : ceci est une prison, l'énoncé
juridique devrait dire devant une prison : ceci n'est pas une prison. Bien sur il faut prévoir une
objection,la prison produit des énoncés et le droit pénal, comme forme d'expression renvoit à des
contenus particuliers. Dans la mesure ou les énoncés de droit pénal classent les infractions d'une
nouvelle maniére au 17°, il faut bien que, en dehors des énoncés, dans le monde visible, les
infractions aient elles-mêmes changé de nature. Et on l'a vu, au 18° siécle tend à se faire une espéce
d'évolution des infractions, les infractions devenant de plus en plus des atteintes à la propriété.
Foucault consacre quelques pages à ce changement très intéressant qui correspond a la fin des
grandes jacqueries.

A la fin du 17° siécle la criminalité était essentiellement une atteinte aux personnes. Au 18° siécle
s'opère un changement des infractions qui a été très bien étudiée par Chaunu. Chaunu à travaillé
dans les archives normandes pour montrer comment se développent statistiquement des infractions
fondées sur de petits groupements de criminels-contrairement aux grandes bandes précédentes-, du
type escroqueries, atteintes aux biens et non plus atteintes aux personnes.

Je dois dire que les énoncés renvoient à des contenus extrinsèques et que les visibiltés renvoient à
des énoncés. Par exemple la prison engendre des énoncés : les réglements de la prison sont des
énoncés. ça n'a pas grande importance que les visibilités renvoient à des énoncés, à des énoncés
secondaires, que les énoncés renvoient à des contenus extrinséques, tout cela n'empêche pas que
l'énoncé, dans sa forme, n'a jamais la forme du visible, et que le visible, dans sa forme n'a jamais la
forme de l'énoncé.
Troisiéme élément : pourtant il y a comme croisement lorsque la prison s'introduit, venant d'un tout
autre horizon que l'horizon juridique, alors la prison se charge de réaliser les objectifs du droit

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pénal. Elle vient d'ailleurs, elle a une autre origine que le droit pénal, mais une fois qu'elle sait
s'imposer, à ce moment là, oui, elle réalise les objectifs du droit pénal, et, en un sens, mieux que le
droit pénal. Foucault analyse ces objectifs du droit pénal: individualisation de la peine,modulation
de la peine ; et voilà que les modulations de la peines, les individualisations de la peine vont se faire
à l'intérieur de la prison, une fois que la prison existe et s'est imposée. Si bien que la prison ne cesse
de perpétuellement reproduire de la délinquance, tout comme le droit pénal ne cesse de reconduire
les prisonniers. Là se fait une éspéce de croisement : la prison produit et reproduit de la délinquance
. J'attire votre attention sur une espéce d'ambiguité qui est ingrate, pour ceux qui liront surveiller et
punir, il arrive en effet à Foucault de dire plusieurs fois dans le livre que la prison produit la
délinquance, ce qui irait assez contre ce que je viens de présenter comme la pensée de Foucault ;j e
disais que la délinquance c'est l'objet des énoncés de droit pénaux, ce n'est pas la prison. Vous avez
le couple prison-prisonnier, et l'autre couple énoncés de droit pénal-délinquance. Or Foucault dit
effectivement que la prison produit de la délinquance ; ce ne serait pas grave puisque, même si je
m'étais trompé à cet égard, l'irréductibilité de la forme du visible et de la forme de l'énonçable
subsiste entiérement. Mais je crois que j'ai raison dans ma présentation de la pensée de Foucault car
Foucault distingue deux types de délinquance : la délinquance-illégalisme,-c'est la délinquance
comme notion qui permet de classer d'une nouvelle maniére les infractions, et de la délinquance-
illégalisme il distingue la délinquance-objet. Quand il dit que la prison produit la délinquance, le
contexte est très clair ; il s?agit toujours de la délinquance-

objet. La prison produit la délinquance objet ; mais la délinquance-objet est seconde par rapport à la
délinquance-illégalisme, c'est à dire la délinquance -

classification des infractions.

Plus tard on verra que les analyses historiques de Foucault sont binaires, elles distinguent le plus
souvent deux temps successifs. C'est à se demander pourquoi cette binarité très curieuse, très
frappante. Là on le voit dans surveiller, punir ; Pemier temps : la prison et le droit pénal ont deux
formes différentes, irréductibles ; mais dans un second temps elles se croisent : à savoir le droit
pénal reconduit des prisonniers, c'est à dire refournit perpétuellement des prisonniers ; la prison
reproduit perpétuellement de la délinquance. Nous re-

butons toujours sur la nécéssité où nous sommes de maintenir ces trois points de vue dans lesquels
on essaie de se débrouiller, à savoir : hétérogénéité de ces deux formes, négation de toute
isomorphie, il n'y a pas isomorphisme entre le visible et l'énonçable. Deuxiéme point : c'est l'énonçé
qui a le primat, c'est lui qui est déterminant. Troiséme aspect : il y a capture mutuelle entre le
visible et l'énonçable, du visible à l'énonçable et de l'énonçable au visible. On l'a vu c'est
typiquement : la prison reproduit de la délinquance, le droit pénal reconduit à la prison, ou re-
fournit des prisonniers. Vous avez capture mutuelle. Vous voyez bien que toute la pensée de
Foucault est irréductible, et d'autant plus irréductible à l'analyse des propositions, à l'analyse
linguistique, que vous voyez que le visible et l'énonçable sont dans un tout autre rapport que la
proposition et le référent, que la proposition et l'état de chose, d'une part. D'autre part le visible et
l'énonçable sont dansun tout autre rapport que le signifié et le signifiant.J e ne peux pas dire que la
prison c'est le signifié et le droit pénal c'est le signifiant. Ni référent de la proposition, ni signifié
d'un signifiant. Foucault peut donc à plein droit estimer que sa logique des énonçés, doublée d'une
physique de la visibilité, se présente sous deux formes.

Donc on set rouvait devant quatre confrontations à faire,e n fonction de cette hétérogénéité
fondamentale du visible et de l'énoncé. La premiére confrontation c'était avec Kant. Cette
confrontation nous était nécéssaire parceque nous venait à l'esprit, comme une espéce de petite
buée, que Kant avait été le premier philosophe à construire l'homme à partir -,et sur deux facultés
hétérogènes. Une faculté de récéptivité, et une faculté de spontanéité-(l'énoncé qui avait le primat
ressemble bien à une éspéce de spontanéité).

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Nécéssité d'une confrontation avec Kant sous la question générale : peut-on dire que Foucault, d'une
certaine maniére, est néo-kantien ? Deuxiéme confrontation nécéssaire, confrontation avec
Blanchot, puisque un des thémes les plus importants de Blanchot c'est : parler ce n'est pas voir. Le
?parler ce n'est pas voir? de Blanchot, et la formule de foucault:?ce que nous voyons ne se loge pas
dans ce que nous disons?, le visible ne se loge pas dans l'énoncé, semble immédiatement imposer
cette seconde confrontation. Quel rapport entre Foucault et Blanchot. Troisiéme confrontation
nécéssaire, confrontation avec le cinéma, pourquoi ? Parce que tout un aspect du cinéma moderne,
et sans doute les plus grands auteurs contemporains se définissent de la maniére la plus sommaire,
on peut dire qu'ils ont introduit dans le cinéma une faille, une béance fondamentale entre l'audio et
le visuel. C'est sans doute par là qu'ils ont promu l'audio-visuel à un nouveau stade, en faisant
passer une faille entre voir et parler, entre le visible et la parole.

Chacun d'entre vous est capable de reconnaitre trois des plus grands noms du cinéma, à savoir
Syberberg, les Straubb et Duras. Foucault éprouvait évidement pour le cinéma un intéret très
profond, notamment pour le cinéma de Syberberg et pour le cinéma de Duras. Foucault fut mêler
presque directement à un film, celui que René Alliot a tiré sur Pierre Riviére, le monomane
criminel, ce petit paysan qui avait liquidé tous les siens. Foucault avait publié le cahier de Pierre
Riviére, c'était la premiére des vies des hommes infâmes,d es hommes infâmes tels que Foucault en
révait. quels rapports y a-t-il entre voir et parler ? Il ya le cahier de Pierre Riviere, et puis il y a son
comportement visible avant le crime, et le crime visible. Du cinéma contemporain,on peut dire que
c'est un cinéma qui a rompu avec la voix off.......

....Nous sommes forcés de distinguer deux exercices de la parole.l'un je l'appelerai exercice
empirique de la parole. Je parle, je parle,dans la journée il faut bien qu'il y ait un exercice empirique
de la parole. Je parle de ce que je vois en tant qu'un autre me voit parler. L'exercice empirique c'est :
ho, tu as vu, il pleut ; je suppose qu'il n' a rien vu ; je parle à quelqu'un en lui disant quelque chose
qu'il ne voit pas, relativement. A ce niveau, au niveau de l'exercice empirique de la parole, je parle
de quelque chose qui d'une maniére ou d'une autre pourrait aussi bien etre vue.

Ce que j'appelle exercice supérieur c'est lorsque je parle de ce qui n'est pas visible, ou, si vous
préférez, je parle de ce qui ne peut etre que parlé. L'exercice supérieur de la parole nait lorsque la
parole s'adresse à ce qui ne peut etre que parlé. Est-ce qu'il y a quelque choe qui ne peut etre que
parlé ? On peut dire non,mais pour blanchot il y a quelque chose qui ne peut etre que parlé : la mort,
c'est un exemple. Et pourquoi est-ce quelque chose qui ne peut être que parlé qui définirait
l'exercice supérieur de la parole. C'est aussi bien quelque chose qui ne peut pas etre parlé,sous
entendu : ce qui ne peut etre que parlé c'est quelque chose qui ne peut pas etre parlé du point de vue
de l'usage empirique. Mais l'usage empirique de la parole c'est parler de ce qui peut etre également
vu ; ce qui ne peut etre que parlé c'est ce qui se dérobe à tout usage empirque de la parole, donc ce
qui ne peut etre que parlé c'est ce qui ne peut pas etre parlé du point de vue de l'usage empirique .
Ce qui ne peut etre que parlé du point de vue de l'exercice supérieur c'est ce qui ne peut pas etre
parlé. En d'autres termes qu'est-ce qui ne peut etre que parlé du point de vue de l'exercice supérieur
?La réponse de Blanchot c'est le silence. En d'autres termes ce qui ne peut etre que parlé c'est la
limite propre de la parole. L'exercice supérieur d'une faculté sedéfinit lorsque cette faculté prend
pour objet sa propre limite. Dès lors on s'attend à ce que Blanchot nous dise exactement la meme
chose pour la vue, car si parler ce n'est pas voir, dans la mesure ou parler c'est parler de la limite de
la limite de la parole, parler de ce qui ne peut etre que parlé,-il faudrait dire: et inversement. Si
parler ce n'est pas voir, voir ce n'est pas parler. C'est à dire que pour la vue aussi il y aurait un
exercice empirique. Ce serait voir ce qui peut être aussi bien autre schose, c'est à dire ce qui peut
etre aussi bien imaginer, ou rappeler,ou parler. ça ce serait un exercice empirique ; et l'exercice
supérieur de la vue ce serait voir ce qui ne peut etre que vu. Et voir ce qui ne peut etre que vu, c'est
voir ce qui ne peut pas etre vu du point de vue de l'exercice empirique de la vision.Q u'est-ce qui ne
peut pas être vu du point de vue empirique de l'exercice de la vision ?

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La lumiére. La lumiére je ne la vois que lorsqu'elle ricoche sur quelque chose ; mais la lumiére
indivisle, la pure lumiére, je ne la vois pas,et c'est par là qu'elle est ce qui ne peut etre que vu. En
d'autres termes, de même que la parole trouve son objet supérieur que dans ce qui ne peut être que
parlé, la vue trouverait son objet supérieur dans ce qui ne peut etre que vu. Pourquoi Blanchot ne dit
pas et ne dira jamais: parler ce n'est pas voir et inversement.Dans le texte des ?mots et les choses?,
Foucault dit : et inversement ; ce qu'on voit ne se loge pas dans ce qu'on dit,et inversement ce qu'on
dit ne se loge pas dans ce qu'on voit. Il maintient les deux facultés voir et parler comme-------
Pourtant Blanchot parle de la vue en deux endroits, dans ?parler ce n'est pas voir? et dans les
appendices de ?l'espace littéraire?, sous un titre qui nous convient d'avance : ?Deux versions de
l'imaginaire?- nous pouvons nous attendre, si tout va bien, à ce que l'une corresponde à l'exercice
empirique de la vue, et l'autre à l'exercice supérieur de la vue. Je prends les deux textes ; le texte de
l'espace littéraire nous dit : ?il faut distinguer deux images. La premiére image c'est l'image qui
ressemble à l'objet, et qui vient aprés. Pour former l'image il faut avoir perçu l'objet, c'est l'image à
la ressemblance. L'autre, je simplifie, c'est l'image sens- cette idée qui parait prodigieuse pour une
théorie de l'imagination chrétienne, à savoir : avec le péché, l'homme est----- à l'image de Dieu dont
il a perdu la ressemlance. L'image perdue de la ressemblance. L'image sans ressemblance. Et cette
image sans ressemblance est plus vraie que l'objet. Blanchot dit que c'est le cadavre, c'est le cadavre
qui est le plus prés de moi. En mourrant je me suis lavé de la ressemblance,j e suis une pure image.
C'est les deux versions de l'imaginaire. Dans le texte ?parler ce n'est pas voir?, c'est deux versions
de la vue et du visile.Premiére version : je vois à distance,j e perçois à distance,j e saisis les choses,
les objets à distance ; c'est bien connu je ne commence pas par les saisir en moi pour les projeter. Je
saisis la chose là où elle est. La psychologie moderne nous l'a appris : je saisis la chose à distance.et
puis, nous dit Blanchot, il y a une autre visibilité. C'est lorsque c'est la distance qui nous saisit. Je
suis saisi par la distance, ce qui est le contraire de saisir à distance. C'est la fascination. L'art ou le
rêve. Qu'est-ce qui empêche Blanchot de dire : et inversement ? Il ne peut pas le dire parceque ça
ruinerait le silence. L'aventure du visible ne fait que préparer la véritable aventure qui doit être celle
de la parole. Si bien que l'idée qu'il y a aussi un exercice supérieur de la vue n'est la que comme un
degré préparatoire au seul exercice supérieur qui est la parole en tant qu'elle parle de ce qui ne peut
être que parlé, c'est à dire de ce qui ne peut pas faire partie du silence. La vue ne donnera qu'une
confirmation pour la parole, au lieu de se développer librement son exercice supérieur. Blanchot
est, d'une certaine maniére, cartésien. Lui aussi ne pense qu'avec une seule forme. Lui aussi, comme
Descartes, c'est son seul rapport avec Descartes,t oute sa pensée consiste à confronter la
détermination et l'indéterminé. Il n'est pas cartésien parceque chez lui le rapport de
l'indétermination et de l'indéterminé est tout à fait différent de ce qui se passe chez Descartes. La
détermination et l'indéterminé, chez Blanchot-et c'est ce qui l'obséde-, se tiennent face à face, dans
une espéce d'affrontement sans fin. La phrase clef de Blanchot. On trouve ce thème dans la préface
de Blanchot au livre tellement beau de Jaspers sur Holderlin :. Le texte de blanchot est?Comment le
déterminé peut-il soutenir un rapport vrai avec l'indéterminé?-sous-entendu une fois dit que le
déterminé ne réduit jamais l'indéterminé, alors que chez Descartes le déterminé ne laisse pas
subsisté l'indéterminé. Chez Blanchot, c'est pas ça, le déterminé se tient dans l'indéterminé de telle
maniére que l'indéterminé subsiste. Il y a une espéce de court-circuit de la détermination et de
l'indéterminé, au point que la détermination la plus radicale sort de l'indéterminé le plus pur. A quoi
pense-

t-il ? Qu'est-ce qui définit une eau-forte de Goya ? Les monstres de Goya c'est quoi ? C'est la
détermination en tant qu'elle sort immédiatement d'un indéterminé qui subsiste à travers elle. C'est
ce que Blanchot appelle un rapport vrai du déterminé avec l'indéterminé. Un rapport vrai de telle
maniére que l'indéterminé subsiste à travers la détermination, et que la détermination sorte
immédiatement de l'indéterminé. La détermination qui sort immédiatement d'un indéterminé qui
subsiste

sous

la

détermination,

c'est

ce

qu'on

appelera

un

monstre......Bon

on

a

la

réponse....Blanchot ne peut pas dire,et inversement, il peut dire : parler ce n'est pas voir,il ne peut
pas dire : voir ce n'est pas parler, car il n'a jamais conçu que une forme : la détermination, forme de

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la détermination....,forme de la spontanéité de la parole, et la parole est en rapportavec la
détermination. donc Voir oubien glissera dansl'indéterminé, ou bien ne sera qu'une espéce d'état
préparatoire à l'exercice de la parole.On a pas besoin de voir la différence avec Foucault, on a fait
que ça.

Pour Foucault il y a deux formes : la forme du visible et la forme de l'énonçable. Contrairement à
Blanchot, Foucault a donné une forme au visible. La différence est minuscule,mais elle est très
importante. Pour Blanchot tout passait par un rapport de la détermination et de l'indéterminé pur.
Pour Foucault -et par là il est kantien et non pas cartésien-tout passe par un rapport de la
détermination et du déterminable, les deux ayant une forme propre. Il y a une forme du
déterminable non moins qu'il y a une forme de la détermination. La lumiére est la forme du
déterminable, tout comme le langage est la forme de la détermination. L'énonçable est une forme,
mais le visible est une forme aussi. Dès lors Foucault sera obligé de rajouter le ?et inversement? et
le ?et inversement? n'est pas une petite addition, c'est un remaniement.

Du coup ça nous entraine vers notre troisiéme confrontation. Si Foucault fait passer la béance, ou la
faille entre deux formes, forme de l'énonçable et forme du visible, forme de la détermination et
forme du déterminable, ce qu'il avait fait avant, bizarrement, non pas bizarrement, ceux qui
portaient le cinéma jusqu'aux puissance de l' audio-visuel, d'un audio-visuel créateur, non pas un
ensemble audio-visuel, mais au contraire une distribution de l'audio et du visuel de part et d'autre
d'une béance . Je dis que c'est ça qui définit le cinéma. On l'a vu l'année dernière.dans le cinéma, ce
serait non pas un ensemble audio-visuel, mais au contraire une distribution de l'audio et du visuel de
part et d'autre d'une béance.

Qu'est-ce qui se passe dans ces oeuvres qui n'entrainent pas beaucoup de spectateurs et
qui,pourtant,sont le vrai cinéma aujourd'hui ? Le cinema de Syberberg, des Straub, de Marguerite
Duras. C'est le nouvel usage de la parole, le nouvel usage du parlant. Ce nouvel usage du parlant, il
s'insére complétement dans notre problème, pourquoi ? Parce que pendant très longtemps, au moins
en apparence, c'est peut-être très compliqué,mais au moins en apparence parler c'était faire voir. Et
le cinéma est devenu parlant sous cette forme : le parlant était vraiment une dimension de l'image
visuelle. Parler faisait voir. D'autre part parler pouvait ne pas être vu, et à ce moment là c'était la
parole hors champ. Or le hors -champ, parole non vue, l'entendu mais non vu, le hors champ est une
dimension de l'espace visuel. Le hors champ est une dimension de l'espace visuel puisque c'est le
prolongement de l'espace visuel hors du cadre. Ce n'est pas pour ça qu'il n'est pas visuel. On ne le
voit pas en fait, mais lehors-champ ne peut se définir que comme ce qui dépasse le cadre visuel.
Sous ces deux aspects, on peut dire que le premier parlant,dans le cinéma, était du type : parler c'est
voir. Soit la parole de gens qu'on voit à l'écran, et cette parole fait voir quelque chose, soit la parole
hors champ, et le hors champ,la voix off, cette parole vient meubler le hors champ, le hors champ
étant une dimension du visuel. Or ça ne se passe plus comme ça. Cette fois-ci il y a une béance
entre voir et parler. Comment se présente cette béance, cinématographiquement ?

La parole raconte une histoire qu'on ne voit pas, l'image visuelle fait voir des lieux qui n'ont pas ou
qui n'ont plus d'histoire, c'est à dire des lieux vides d'histoire. C'est un véritable court-circuit entre
cette histoire qu'on ne voit pas et ce vu qui n'a pas d'histoire, ce vu vide. Quel serait le premier. On
peut toujours chercher chez les cinéastes d'avant guerre, c'est possible. Le fait est que ça ne pouvait
pas être résolu à ce moment là. Ce que je dis on ne pouvait pas le voir. Pourquoi ? ça n'atteignait
pas notre seuil de perception. Même si des gens le faisait, ça n'atteignait pas notre seuil de
perception. Encore maintenant quand on se trouve devant un film des Straub ou de Syberberg, nos
habitudes perceptives sont étrangement bouleversées. Les conditions n'étaient pas là.Le premier
c'est Ozu. Et pourtant Ozu arrive au parlant très tard. C'est avec Ozu qu'apparaît la disjonction,la
disjonction entre un événement parlé et une image vide événement. Le type parle, raconte un
événement généralement insignifiant, il est dans un espace ou il y a un personnage hors champ,

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auquel il parle, et lui parle tout seul dans un espace vide. Disjonction entre l'événement parlé et
l'image-événement. C'est la même chose qu'une disjonction entre une histoire qu'on ne voit pas et
un lieu vide d'histoire.(Fin de la bande)......

Les aspects du temps, la lumiére; Bergson, Le mouvement; Kant, Le sublime dynamique

22/03 et 12/04 1983

... On était parti avec le premier aspect du temps : le temps intervalle. Le démesuré, c'est l'ensemble
du temps, c'est l'immensité du passé et du futur. Ce n'est plus l'intervalle, présent variable, c'est
l'immensité du passé et du futur, c'est l'ensemble du temps constitué come simultanéisme. Et sous la
plume de Gance va surgir la formule du simultanéisme, formule qui fait écho à quoi ? A la même
époque, des peintres lancent le mot d'ordre du simultanéisme. En quoi est-ce que ces peintres se
distinguent du cubisme ? Ne serait-ce que pratiquement, au niveau des formes qu'ils empruntent ?
Ils ne se lassent pas d'explorer les circonférences, les demi-cercles, contrairement aux cubistes qui
ont besoin de décomposition par surfaces angulaires, par arrêtés. Ces simultanéistes, ce sont les
Delaunay, Léger qui va lancer dans la peinture les arcs de cercles les plus extraordinaires qui soient.
Léger va se passionner pour le cinéma en fonction de ses possibilités de simultanéisme.

Le simultanéisme ça n'est pas du tout le présent, la saisie du présent, ça n'est pas du tout
l'impressionisme (l'art de l'intervalle). Le simultanéisme, c'est l'éternité du temps, ça n'est pas du
tout l'éternité tout court, c'est l'éternité en tant qu'éternité du temps, le temps saisi comme ensemble
du temps. L'immensité, la simultanéité du passé et du futur dans l'ensemble. Et quand est-

ce que et où est-ce que le passé et le futur sont-ils simultanés ? Seulement et uniquement dans
l'ensemble du temps. dès que vous les sortez de l'ensemble du temps, ils ne sont plus simultanés. La
roue de Delaunay et la roue de Léger c'est l'ensemble du temps. Pour ajouter un troisième grand
nom, Messiaen. Il élabore une conception célèbre qu'il nommera les rythmes non rétrogradables.
C'est par exemple lorsque vous avez deux rythmes, l'un à gauche et l'autre à droite, qui sont
l'inverse l'un de l'autre, c'est à dire qui sont la rétrogradation l'un de l'autre, et au centre il y a un
rythme constant. L'ensemble des trois définit, selon Messiaen, un rythme non rétrogradable. Inutile
de dire que les couleurs de Delaunay sont typisuement non rétrogradables; la modulation des
couleurs. Il y a un peintre qui a employé l'expression "rythme non rétrogradable" à propos de la
peinture et de la modulation des couleurs, c'est Klee, dans son journal. Messiaen donne lui-même
comme exemple les couleurs d'un papillon. Il donne un exemple pictural. Le triple écran de Gance
c'est pour faire du rythme non rétrogradable visuel, la preuve c'est qu'il dit lui-même que vous aurez
à droite et à gauche deux figures symétriques inverses, et au centre une image principale. Vous avez
deux rythmes qui sont la rétrogradation l'un de l'autre, à droite et à geuche, les deux mouvements
sont la rétrogradation l'un de l'autre, et au centre vous avez l'image principale, c'est à dire
principalement un rythme non rétrogradable.

Qu'est-ce que ça veut dire, tout ça ? C'est précisément la recherche et la capture d'un démesuré ou
d'un sublime visuel. Ce sublime visuel c'est l'ensemble du temps. C'est le simultanéisme, c'est à dire
l'immensité du futur et du passé en tant qu'ils sont simultanés, et qu'ils ne sont simultanés que dans
l'ensemble du temps. Qu'est-ce que ça veut dire l'ensemble du temps ? Je vous parle de gens qui ont
donné à cette notion une consistance, même si cette notion n'en a pas indépendamment d'eux. Un
cercle de Delaunay est une réponse à "qu'est-ce que l'ensemble du temps ?".

Si je me résume, de l'image-mouvement conçue en extension, c'est à dire en quantité de

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mouvement, se dégagent deux figures du temps. Ces figures seront dites figures indirectes du temps
puisqu'on les induit du mouvement. Ces deux figures du temps, je les appelle, la première nombre
du mouvement, mouvement absolu, l'ensemble du temps, l'immensité du futur et du passé, le
simultanéisme, la grandeur du mouvement, la roue, le sublime mathématique. L'autre figure
indirecte du temps, je l'appelle l'unité de mesure du mouvement, l'intervalle du mouvement, le
temps comme partie, le présent vivant. Voilà les deux figures du temps.

Le mouvement ce n'est pas simplement le mouvement extensif, c'est à dire le déplacement d'un
mobile. Il y a autre chose, il y a le mouvement intensif. L'intensité, c'est un mouvement et ce n'est
évidemment pas un déplacement dans l'espace. Mais pourquoi est-ce que l'intensité c'est un
mouvement ? Ca nous arrangerait bien si c'était une lumière, mais pour l'instant on tâtonne. Pour
que l'intensité soit lumière, ça peut aller. Mais la lumière, ça ne se déplace pas dans l'espace ? Peut-
être! Peut-être que même si ça se déplace dans l'espace, ça ne se déplace pas de la même manière
qu'un corps qui change de position. Qu'est-ce que serait un mouvement intensif ? En quoi serait-il
différent d'un déplacement de l'espace ?

Je pense au problème de la causalité. Au niveau le plus général les philosophes, dès le christianisme
(c'est très lié aux problèmes de l'hérésie et à la théologie) distinguaient trois grands types de causes
: la cause transitive, la cause émanative, la cause immanente. Et ils se déchiraient pour savoir
laquelle de ces causes était Dieu.

La cause transitive c'est une cause qui doit se définir ainsi : elle sort de soi pour produire, et ce
qu'elle produit, c'est à dire son effet, est en dehors d'elle. Donc deux caractères : son effet lui est
extérieur et elle sort de soi pour produire son effet. Dans le déplacement d'un mouvement dans
l'espace, la position antérieure est la cause transitive de la position suivante. Il y a extériorité.
Inutile de vous dire que si le christianisme a besoin d'une cause transitive c'est de toute urgence
puisqu'il tient à l'idée qu'il y a une distinction réelle entre le monde et Dieu, c'est à dire que Dieu a
créé le monde. Si le monde est créature de Dieu et Dieu créateur, il faut de toute urgence que Dieu
sorte de soi pour produire le monde, et que le monde soit extérieur à Dieu. Il faut donc que Dieu
soit cause transitive.

La cause émanative c'est plus sournois; c'est une cause telle que l'effet est extérieur à la cause,
seulement la cause reste en soi pour produire bien que ce qu'elle produise sorte d'elle. La cause ne
sort pas de soi pour produire, mais ce qu'elle produit sort d'elle. Si vous pensez à la lumière ce n'est
pas compliqué. La lumière c'est le type d'une cause émanative : le soleil reste en soi pour produire,
mais ce qu'il produit sort de lui. C'est le rayon lumineux, la lumière diffusante. Et à la fin de la
philosophie grecque, d'une manière presque contemporaine au christianisme, se fait toutes sortes de
mouvements autour d'une conception émanative de la cause. Ce sera ce qu'on appellera le néo-
platonisme, et le néo-platonisme dont Plotin ne cesse de développer les plus splendides métaphores
lumineuses. C'est le plus grand luministe en philosophie.

Et ceux qui vont le plus loin invoquent la cause immanente. C'est une cause qui non seulement reste
en soi pour produire, mais est telle que l'effet produit reste en elle. Un exemple pur de cause
immanente est développé par la philosophie maudite de Spinoza. Tout le monde lui tombera dessus.
Parlons de théologie.

Dieu, le concept de Dieu, est-ce une cause transitive, une cause immanente ou bien une cause
émanative ? Les théologiens seront bien forcés d'y mettre un peu des trois. Ils vont dire au Pape :
cause transitive. Il n'y a plus de christianisme s'il n'y a plus de distinction réelle entre les hommes et
Dieu. Mais comment Dieu a-t-il pu faire le monde ? Ca commence à devenir embêtant. Il n'a pu le
faire que d'une manière. Il a bien fallu qu'il ait un modèle dans son entendement. C'est les Idées
telles qu'elles sont contenues dans l'entendement de Dieu, et c'est par un acte de volonté que Dieu

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produit un monde conforme aux idées qu'il a dans son entendement. Alors d'accord il y a causalité
transitive entre Dieu et le monde si vous considérez Dieu d'une part, et d'autre part le monde créé
par la volonté de Dieu. MAis si vous considérez Dieu et le monde modèle qu'il a dans son
entendement, là vous avez de la cause immanente. Ce monde modèle, c'es idées de l'entendement de
Dieu, elles ne peuvent pas sortir de l'entendement de Dieu. Elles restent dans l'entendement de Dieu
et Dieu reste en soi pour les contempler. Nous sommes en pleine causalité immanente. Bien plus,
pour arranger le tout et pour concilier les deux mouvements précédents, il faudra bien qu'ils
invoquent une espèce d'émanation qui vient du monde tel que Dieu le produit au monde modèle
dans l'entendement de Dieu. Cette fois-ci il y aura causalité émanative entre le monde des idées
dans l'entendement de Dieu et le monde réel produit conformément à ses Idées.

Si bien, qu'à ma connaissance, il n'y a aucun philosophe, aucun théologien qui ne doive faire appel
aux trois causes à la fois. Si bien qu'ils se retrouvent une fois orthodoxes et deux fois hérétiques,
sauf Spinoza qui se retrouve hérétique pour tout le monde et pour toutes les religions. Et ils
discutent très ferme. Ils se dénoncent les uns les autres auprès du Pape. On assiste tout le temps à
des mises au point qui ne sont pas du tout sur le sexe des anges, mais qui sont de très grandes
discussions sur la théorie de la cause et ça engage toute une pratique. Quelqu'un qui insiste sur la
cause émanative n'est pas loin de faire de la lumière de Dieu lui-même. C'est pas mal mais ce n'est
pas orthodoxe.

Cette cause émanative qui convient si bien avec la lumière, est-ce qu'on ne l'approche pas d'une
compréhension de XXXX. En quoi c'est du mouvement ? L'intensité ou la lumière produit quelque
chose. Elle reste en soi pour produire ce qu'elle produit, et ce qu'elle produit ne reste pas en elle.

"La lumière tombe". Qu'est-ce que c'est que le mouvement de l'intensité ? Le mouvement de
l'intensité c'est la lumière tombe, c'est à dire que c'est la distance qui sépare l'intensité comme degré
du zéro. La distance qui sépare de zéro une intensité comme degré. Du point de vue du mouvement
en extension, on était parti de deux notions, grandeur et unité. Là on se trouve devant deux notions
différentes : distance, zéro. Une grandeur c'est une quantité extensive et divisible. Une distance c'est
une grandeur mais une grandeur indivisible qui sépare un degré quelconque de zéro. C'est la
définition même d'une intensité. Est-ce qu'il y aura un temps de l'intensité ? Est-ce qu'il y aura des
figures indirectes de l'extension ? Est-ce que nous aurons là de nouvelles figures du temps ?

Peut-être peut-on prévoir ? On avait un ensemble du temps et on avait des parties du temps, et
c'était tout du point de vue des deux figures correspondant à l'extension. Là, on aura un ordre du
temps. C'est tout à fait différent. C'est cet ordre du temps qui correspondra au mouvement intensif.
Pratiquement il nous reste à découvrir toutes sortes de figures du temps.

On a réglé l'ensemble du temps, c'est à dire l'immensité du passé et du futur, la partie du temps, c'est
à dire le présent vivant. Et maintenant voilà qu'on bute sur un ordre du temps, et quoi ? Un zéro du
temps ? Est-ce que ce serait un instant ? Un ordre du temps et une instantanéité du temps. Un ordre
du temps renvoie aux distances alors qu'un ensemble du temps renvoyait aux grandeurs divisibles.

Là, comment va se définir le temps ? Suivant la cause émanative, si ça sort de la cause pour tomber
hors de la cause, mais la cause reste en soi, qu'est-ce que vous voulez faire ? Ou bien vous tomberez
et vous tomberez jusqu'au degré zéro, ou bien vous remonterez et vous vous convertirez, c'est à dire
que vous vous retournerez vers la cause. Les deux mouvements c'est y'a chute et la conversion, ou
le retournement. C'est des figures du temps; c'est des abîmes du temps.

Or, chez les Grecs, il y a toujours eut deux tendances. Ceux qui rapportent le temps eu mouvement
et ceux qui rapportent le mouvement à l'âme. Il va de soi que nous sommes dans une pensée qui
rapporte le temps et qui comprend le temps en fonction de l'âme, dans le double mouvement de la

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chute et de la reconversion.

Jacob Boehm ce sera le maître des grands romantiques allemands. Au début de sa vie il y aura
Aurora, et à la fin de sa vie Mysterium Magnum. Ca fait partie des grands penseurs allemands qui
n'a été connu en France que très tardivement, grâce à Alexandre Koyré qui a écrit un gros livre sur
lui. Voilà donc que Boehm nous propose une histoire qui est comme celle de cet ordre du temps, de
cette chute et de cette montée. Il y aura la fureur de Dieu, le désir de Dieu, il y aura l'amour de
Dieu, et tout cela entrera dans une série de concepts proprement insensés. Ce qu'il appelle la fureur
de Dieu est une des plus belles choses du monde. Goethe sera dans un système de résonance
(laïque) à Boehm. Ca va ensuite influencer Schelling ...

12/04/1983

Je voudrais qu'on ait une séance très douce, une séance de rêverie. On parlera du Sublime chez Kant
parce que c'est vraiment beau.

Il faut que vous ayez gardé un souvenir de notre longue explication des images-

mouvement et des signes. Quand on rapporte l'image-mouvement au cinéma cela veut dire, bien sûr,
qu'il y a des choses ou des personnes qui bougent. Mais ce n'est pas par là qu'elle est image-
mouvement. A la rigueur, je dirais que c'est une image en mouvement (par opposition à la
photographie). Quand je dis image-

mouvement, ça implique quelque chose de plus par rapport à l'image en mouvement. Quoi ?
Immédiatement je pense à la déclaration bergsonienne de fond, pour tout le bergsonisme. Bergson
ne cesse pas de nous dire que, finalement, pour comprendre le mouvement dans son caractère le
plus concret, il faut arriver par un acte de l'esprit qu'il appelle l'intuition, à le détacher ou à l'extraire
de son mobile ou véhicule. Notre perception naturelle (et là il est très fort) ne saisit le mouvement
que rattaché à quelque chose qui lui sert de mobile ou de véhicule, soit objet soit sujet. Mais plus
important que l'idée d'objet ou de sujet, c'est l'idée de mobile ou de véhicule. Il dit que la
philosophie ne sera philosophie du mouvement que si elle arrive à extraire le mouvement de ce qui
lui sert de mobile ou de véhicule. C'est l'image cinématographique qui fait ça, mais Bergson ne le
sait pas; il ne peut pas le savoir. C'est pour cela qu'il reproche au cinéma de nous donner
simplement une image abstraite du mouvement. Mais le mouvement en tant que séparé de son
mobile ou véhicule, ce n'est pas du tout uen image abstraite de mouvement, c'est le mouvement
dans son essence ou dans son essence concrète, ou c'est le mouvement comme substance, comme
substance réelle.

Je dis que c'est ça que fait l'image cinématographique, mais à quelle condition et quand ? Dans
l'image en mouvement, le mouvement n'y est pas détaché d'un mobile ou d'un véhicule, c'est le
mouvement du train, c'est le mouvement du personnage. Qu'est-ce que c'est que l'image-mouvement
qui n'est pas dans l'image en mouvement, et comment ça surgit dans le cinéma ?

La réponse la plus facile est que ça surgit avec le mouvement de la caméra. La caméra c'est
l'équivalent général de tout mouvement possible (voir séminaire précédent). Le mouvement de la
caméra a beau être pour son compte rapporté à un mobile ou à un véhicule, en revanche dans son
rapport avec le mouvement qu'elle trace, et le rapport de ce mouvement avec les autres
mouvements, les mouvements de l'image en mouvement, là il y a comme un dégagement. Je veux
dire qu'un mouvement se dégage qui est saisi indépendamment de son propre mobile ou véhicule.
La mobilité de la caméra c'est une étape vers cette saisie du mouvement pur. Pourquoi ?

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Parce qu'elle est transformateur de mouvement.

Le mouvement de la caméra tend à extraire un mouvement pur de ses mobiles et véhicules variés.
Là tous ces mouvements à leur mobile ou à leur véhicule sont comme repris, ils ne sont pas annulés,
ils sont comme repris dans un mouvement plus profond qui, lui, les détache ou tend à les détacher
du mobile ou du véhicule. Par là, l'image en mouvement devient image-mouvement. Il y a
évidemment une autre manière de passer de l'image en mouvement à l'image-

mouvement (...) Dans ce cas là, ce qui réalise ou effectue cette tendance à détacher le mouvement
du véhicule ou du mobile, qu'est-ce qui va remplir cette fonction (par exemple : le plan fixe) ? C'est
très simple, ce qui va garantir et effectuer cette même tendance c'est la succession des plans, c'est le
montage. Il y a deux moyens pour le cinéma de tendre à dépasser, car si cette tendance était réalisée
on tomberait dans l'abstraction, si le mouvement était complètement détaché de tout mobile ou
véhicule, on aurait des images abstraites. Mais là il est question de doubler le niveau où le
mouvement se rapporte à des mobiles ou véhicules, de le doubler en même temps par le tracé ou le
dessin d'un mouvement, au besoin le même, en tant qu'il ne se rapporte plus à son mobile ou
véhicule. Je dis que pour opérer cette tendance à extraire le mouvement pur vous avez deux moyens
: le mouvement de la caméra ou le montage des plans fixes. C'est en ce sens que je peux dire que
l'image cinématographique ce n'est pas seulement de l'image en mouvement mais c'est de l'image-
mouvement ... (long passage sur la photo) ... (Moulage, modulation cf. Simondon : une modulation
c'est un moulage variable et continu).

Dans la modulation pure les conditions d'équilibre sont atteintes en un instant, mais à chaque instant
aussi elles changent. Le moulage est constant et permanent. Simondon dit très bien que la
modulation est un moule variable, temporel et continu qui modifie lui-même les conditions
d'équilibre. C'est ça un modulateur. L'image cinématographique fait une image-mouvement ou, ce
qui revient au même, une modulation de la lumière. L'image photographique, c'est un moulage de la
lumière).

Je peux même dire que, à la limite, moduler la lumière, c'est ne cesser, donc tendre à, ne cesser
d'extraire le mouvement de son mobile ou de son véhicule. Et inversement. L'image
cinématographique est indissolublement image-mouvement et image lumière. Elle est image
lumière en tant que modulation de la lumière. Elle est image-mouvement en tant qu'extraction du
mouvement de ses mobiles et de ses véhicules.

Ca nous relance notre analyse ua point où nous en étions. Il y a toutes sortes de types d'images-
mouvement, chacune avec ses signes, on l'a vu. On va atteindre un nouveau type d'images qu'on va
appeler images du temps. Là, pour nous, les questions se précipitent. Pourquoi les appeler images
du temps et non pas images-temps ? Si on obtient des images du temps à partir des images-
mouvement, ce sont forcément des images du temps. Pourquoi ? Parce qu'elles sont obtenues
indirectement. Elles sont obtenues par la composition d'images-mouvement. D'où la question de
savoir s'il n'y a pas d'autre conditions où on atteindrait à des images-temps directes ? Une image du
temps directe, je pourrais l'appeler une image-temps. Mais en tant que j'appréhende le temps à partir
et en fonction de l'image-mouvement, je peux seulement dire que c'est une image indirecte du
temps. C'est une image du temps que j'obtiens par la composition d'images-

mouvement, et après tout, ça semblait être une définition, parmi bien d'autres, du montage dans le
cinéma, à savoir nous appelions montage la composition des images-mouvement telle , qu'en sorte
une image indirecte du temps. Nous ne savons pas si les images-temps directes existent, mais si
elles existent, elles se grouperont sous le titre général de chronosignes.

Il faut s'attendre à deux images indirectes du temps. Pourquoi ? puisqu'on a vu l'envers et l'endroit

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de l'image-mouvement, elle est image-mouvement et elle est image lumière. D'une part, elle est
mobilité et je prends le terme bergsonien -

pour Bergson, la mobilité c'est le mouvement dans son essence, c'est à dire extrait de son mobile ou
véhicule, la mobilité pure -, or l'image-mouvement est d'un côté mobilité pure, et par là elle renvoie
à son aspect image-mouvement, et d'autre part elle est modulation pure. Sous cet autre aspect,
inséparable du premier, elle renvoie à l'envers, ou à l'endroit de l'image-mouvement, peu importe, et
l'envers ou l'endroit de l'image-mouvement c'est l'image lumière. Elle est mobilité du mouvement,
ce qui veut dire que le mouvement n'est plus seulement rapporté à son mobile ou véhicule. Donc,
j'ai d'un côté mobilité du mouvement, et de l'autre modulation de la lumière. D'une certaine manière
c'est pareil, d'une autre manière ce n'est pas pareil. Pourquoi ?

La philosophie n'a rien à dire sur le vrai ou le faux. La philosophie c'est construire des concepts
comme les architectes construisent des maisons. Si la philosophie c'est ça, ce qui m'intéresse c'est
ces espèces d'intérêts ou de goûts (...). Il y a une affaire de goût. On ne se trompe pas dans ce qu'on
dit, le plus terrible c'est quand on ne pose pas les bons problèmes, mais encore une fois, ces
problèmes il faut les risquer. Il faut construire ces problèmes. Les réponses ça peut être vrai ou
faux, mais les problèmes !! (...)

Les philosophes ne se contredisent pas. Jamais un philosophe n'a contredit un autre philosophe,
mais c'est bien pire : ils n'ont pas cessé de transformer leurs problèmes. C'est évident que si on veut
comprendre quelque chose aux rapports de Bergson et de Platon, ce n'est pas en disant qu'ils se
contredisent, mais c'est en se demandant de quelle manière l'un et l'autre se posent le problème du
mouvement. On s'aperçoit alors que la manière dont Bergson pose le problèmes du mouvement n'a
aucun équivalent avec Platon, ou n'a que des équivalents très marginaux. Mais, à charge de
revanche, certains problèmes chez Platon n'ont aucun équivalent chez Bergson. Qu'est-ce que c'est
que cette tension des problématiques ?

Image-mouvement et image-lumière, c'est l'envers et l'endroit, c'est indissociable. Vous n'aurez
jamais l'un sans l'autre. Mais pratiquement, vous aurez des gens qui seront intéressés par la lumière.
Il y en a d'autres pour qui le vrai problème , pour eux, c'est le mouvement. En droit toute l'image est
image-mouvement et image-lumière, si vous considérez l'image en elle-même, ça veut dire mobilité
pure et modulation pure, or la mobilité est une modulation et la modulation est une mobilité. Vous
avez des auteurs qui ne s'intéressent au mouvement que parce que ça redistribue les lumières. Pour
eux, le mouvement c'est une puissance seconde. On les appellera les luministes. Et puis vous avez
d'autres auteurs pour qui la lumière est fondamentalement subordonnée au mouvement. La lumière
permet des décompositions et des compositions de mouvement. La lumière c'est un moyen par
lequel on peut extraire la mobilité pure du mouvement, c'est à dire le mouvement de son mobile ou
de son véhicule. La lumière est au service du mouvement, elle est puissance seconde. Je dirais que
cette race d'auteurs que ce sont des mobilistes. En même temps, il ne faut pas trop durcir, mais ce
sont des systèmes différents, et bien plus : ils pourront converger vers des réalisations communes
où, nous autres spectateurs, nous sommes éblouis à la fois par la lumière qui s'en dégage et
emportés par le mouvement. Et ça n'empêche pas que ces réalisations sont analysables, et seront
peut-être analysables de deux façons simultanées, l'une où c'est le mouvement qui entraîne la
lumière, et l'autre où c'est la lumière qui commande au mouvement. Et ce ne sera pas fabriqué de la
même manière selon un cas ou l'autre.

D'où je dis qu'il fallait bien s'attendre à deux figures, à deux images indirectes du temps. Il y a lieu
de tirer d'une part des images-mouvement des images indirectes du temps, et il y a lieu de tirer
d'autre part des images-

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lumière une image indirecte du temps. Et ce ne sera pas la même. Donc j'aurai déjà deux
chronosignes. Un chronosigne de l'image-mouvement et un chronosigne de l'image-lumière.
Pourquoi sont-ils séparables ? Pour une raison simple. C'est que l'image-mouvement, avec son
problème de la mobilité et de l'extraction du mobile ou du véhicule doit se comprendre comme un
mouvement extensif, mouvement en extension.

Le temps comme image indirecte qui en sort, c'est un temps sous un double aspect : c'est le temps
comme intervalle du mouvement, il correspond à la partie, et c'est le temps comme tout du
mouvement. Le temps tel qu'il est extrait du mouvement et tel qu'il est rapporté au mouvement
extensif a lui-même deux signes : l'intervalle de mouvement et le tout du mouvement. Ce tout du
mouvement c'était, par exemple, ce que Descartes appelait la constance de la quantité de
mouvement dans l'univers. C'était ce que bien avant lui et d'une toute autre manière, ce que les
Grecs appelait nombre du mouvement. C'est donc le temps obtenu par composition des images-
mouvement, nous pouvons l'appeler cinéchronie. Cinéchronie, c'est la figure du temps en tant que
composée à partir et en fonction des images-mouvement en extension. On a vu que cette figure du
temps a deux aspects : le temps comme intervalle qui renvoie à la partie de mouvement, le temps
comme tout qui renvoie au tout du mouvement. Concrètement, on l'a vu, cette image du temps, la
première, c'est celle de l'oiseau de proie, c'est les grands cercles de l'oiseau de proie qui plane. Ca
c'est le temps comme tout, et c'est le battement d'aile de l'oiseau qui s'enfuit. Le battement d'aile
c'est l'intervalle du mouvement, tout comme le grand cercle qui dégage l'horizon du monde. Le tout
du temps. Le temps comme intervalle c'est le présent. Le présent c'est l'entre-deux battements. Le
présent c'est l'intervalle, aussi je ne peux jamais dire le présent sans ajouter le présent variable. Le
présent est éminemment variable. Aucun présent ne ressemble à un autre présent. Il y a des
équilibres statistiques : l'intervalle pulmonaire ou le cardiaque. Mais déjà je peux dire que je suis à
cheval sur de multiples présents variables. Et c'est suivant mes occupations que je définis tel présent
en me référant à tel présent, si je suis un composé d'une multiplicité de présents virtuels. C'est très
agréable de savoir ça.

Evidemment, s'ils se disjoignent, quand ils éclatent, c'est ce qu'on appelle la situation de panique,
quand il n'y a plus de commune mesure entre les différents présents variables qui me composent. Il
faut bien une commune mesure sinon mon coeur va dans un sens quand mes pieds vont dans l'autre.
Le temps comme intervalle c'est le présent variable, c'est la première figure du temps ou plutôt le
premier signe du temps. Le deuxième, c'est le temps comme tout du mouvement. Et cette fois-ci, ce
n'est plus le présent variable, c'est l'immensité du passé et du futur en tant qu'ils sont censés
constituer un cercle ou une constante. Exemple, l'invariant de Descartes : mv. Tout autre exemple :
la grande année dans certaines formes de la pensée antique qui représente le tout du temps, c'est à
dire le moment où toutes les planètes retrouvent la même position respect. J'ai donc deux signes du
temps : le présent variable et l'immensité du futur et du passé. Ca se complique car, à la limite,
l'immensité du futur et du passé n'a nullement besoin de présent. Les présents variables n'ont aucun
besoin ni de passé ni de futur. C'est des notions tout à fait hétérogènes qui viennent de : les présents
mesurent des intervalles de mouvement, les lignes du futur et du passé font autre chose, elles
mesurent le tout d'un mouvement ou le tout du mouvement tout court.

La première image indirecte du temps, celle que j'appelais cinéchronie, c'est à dire l'image du temps
extraite des images-mouvement, elle me présente deux signes : l'intervalle et l'immense. Ce que
j'appelle immense c'est l'immensité du passé et du futur. L'intervalle et l'immense sont les deux
signes du temps en tant qu'ils se rapportent à l'image-mouvement.

Mais on doit s'attendre à une autre image indirecte du temps. Cette fois-ci, par rapport à l'autre
aspect de l'image-mouvement. Je pourrais recommencer un tableau. Si l'envers c'est l'image-
lumière, on sent qu'il y a un ordre des importances, c'est une image qu'on peut retourner. Si c'est le

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mouvement qui vous intéresse, vous la retournez et c'est la lumière qui est en-dessous, etc. On peut
aussi saisir notre image-mouvement comme image-modulation, image-

lumière. Des images-lumière vont sortir aussi par montage, c'est à dire par composition, une image
indirecte du temps. Elle n'aura pas les mêmes signes. je disais que c'est comme l'envers et l'endroit,
l'une des deux étant le mouvement extensif, la lumière c'est le mouvement intensif, l'intensité par
excellence.

Est-ce qu'il serait possible de montrer que toutes les intensités découlent de la lumière ? Sans doute.
Peut-on le démontrer physiquement ? Peut-être. Mais tout le romantisme a été la tentative réussie
pour montrer de quel point de vue toutes les intensités découlaient de la lumière.

L'image-mouvement s'entendait du mouvement extensif, c'est à dire d'un mouvement qui se définit
par déplacement dans l'espace. L'image-lumière peut se définir également comme mouvement ;
mais comme mouvement intensif. Il est à prévoir que le mouvement intensif a une tout autre nature
que le mouvement extensif, en quel sens ? Le mouvement intensif a des degrés, tandis que le
mouvement extensif a des parties.

La seconde figure du temps, la seconde image indirecte du temps, c'est celle que je peux tirer par
composition des images-lumière, c'est à dire des images-

modulation, c'est à dire des images-mouvement intensif. Ce serait bien qu'on trouve aussi deux
signes de cette seconde image du temps. Cette seconde image du temps c'est le temps tel que je le
conclus des compositions de la lumière. Qu'est-ce que c'est ?

Je pouvais dire ce qu'étaient les parties de mouvement, du point de vue de l'extension : c'est le
temps comme intervalle. C'est l'intervalle. C'est l'intervalle de mouvement. Il y a une malice
puisque je ne peux pas définir une partie de mouvement comme partie d'un espace parcouru. Il faut
que j'évite car ce serait idiot. Dix mètres par exemple, ce n'est pas une partie de mouvement, c'est
une partie d'espace parcourue par un mobile. Les parties de mouvement c'est le temps comme
intervalle, à savoir la partie du mouvement de tel oiseau, c'est l'intervalle entre deux battements
d'aile. Pour le mouvement intensif, c'est à dire pour la lumière, il va falloir que je trouve aussi. Il n'y
a pas de partie, il y a des degrés, et le mouvement intensif va passer par des degrés. C'est quoi
passer par des degrés ? C'est descendre et monter. L'intensité n'est pas réduite à ça, mais avant tout,
c'est quelque chose qui monte et qui descend. Jamais avec l'extension, jamais descendre et monter
n'auraient été isolables. Ca vient de l'intensité. En revanche, ce qui appartient à l'extension comme
telle, c'est faire des ronds et disposer des intervalles. Descendre et monter, c'est passer par des
dégrés.

On va entrer dans un tout autre temps. Sentez le ! Encore une fois "la lumière tombe". Ca ne veut
pas dire qu'elle s'écroule, elle reste en soi, mais ça veut dire que le rayon de lumière en sort d'une
certaine manère : il tombe. Et la lumière remonte. Ces degrés de la lumière, on peut les appeler des
couleurs. Les couleurs seraient des intensités de lumière. En quel sens ? Si c'est vrai, ça me
donnerait un nom de plus pour désigner cette nouvelle image du temps. Je dirais que l'image du
temps qui correspond au mouvement intensif ou à la lumière, cette fois-ci, c'est non plus une
cinéchronie comme tout à l'heure, mais ici c'est une chromochronie. C'est le titre d'un grand ouvrage
de Messiaen. Et la chromochronie, c'est à dire la figure du temps en rapport avec le mouvement
intensif, en rapport avec l'image-lumière, aurait lui-même des signes. Quels signes ?

Tout à l'heure, c'était l'intervalle et le tout. Prenons une quantité intensive quelconque, de toute
manière elle tombe. Elle ne disparaît pas, tomber c'est apparaître pour elle. Un mouvement extensif
peut toujours s'arrêter, c'est à dire qu'il peut toujours déboucher sur un intervalle et qu'il n'y ait pas

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de reprise après, c'est ça son mode d'arrêt. Mais un mouvement intensif qui tombe, il n'y a pas et il
n'y aura jamais d'intervalle. Entre deux degrés, il n'y a pas d'intervalle, sauf si j'ai substitué aux
quantités intensives des quantités extensives qui permettent de les mesurer (exemples de la chaleur
et de la quantité de mercure, de la montée de la colonne de mercure). La quantité intensive peut
toujours tomber par elle-même. Tomber, c'est à dire rejoindre zéro. Donc elle a un rapport à zéro
qui lui est consubstantiel. Toute quantité intensive est en fonction de zéro.

Le mouvement extensif est en rapport essentiel avec une unité, ou ce qui revient au même, avec
quelque chose apte à servir d'unité. Mais le mouvement intensif, dans son intimité, dans son
essence, est en rapport avec zéro. Toute intensité peut tomber à zéro. Mais elle n'a pas besoin de
tomber à zéro pour nous tomber dessus. Tomber à zéro c'est la vulgarité, c'est la manière la plus
facile pour elle de nous faire sentir quelque chose qui est de son essence. Quand elle tombe à zéro,
là devient éclatant que en tant qu'intensité, elle avait à faire avec zéro. Mais dans son essence plus
noble, intime, elle n'a pas besoin de tomber à zéro pour avoir à faire avec zéro, elle nous tombe
dessus. La lumière nous tombe dessus, et c'est ça l'intensité : elle ne cesse pas. Et chacun de nous
demandera pitié. Peut-être que le mouvement extensif ne cessera pas de composer des unités, et en
effet c'est quoi les parties de mouvement extensif ? Je prends les exemples les plus simples : vous
avez des mouvements dits linéaires, des mouvements dits circulaires, et ça ne cesse pas de se
composer. Une roue qui tourne c'est une composition de mouvement. Le mouvement ne cesse pas
de se composer, les intensités ça ne cesse pas de vous tomber dessus.

Mais c'est déjà là qu'elles ont un rapport à zéro. Pourquoi ? Parce que ce qui définit une intensité,
c'est quoi ? En quoi c'est une quantité ? C'est une quantité parce que c'est, comme toute quantité,
c'est l'unité d'une multiplicité, l'unité d'une pluralité. Dans le cas du mouvement extensif, c'est très
simple : la pluralité c'est les parties successives, et l'unité c'est le rassemblement en un. Mais dans le
mouvement intensif ? Kant nous dit très bien que c'est une unité dont la pluralité est appréhendée
dans l'instant. Instant, vous remarquez que c'est quelque chose qui concerne le temps. Ce n'est pas
du tout le présent. On a vaguement défini le présent. Peut-être que l'instant va appartenir
fondamentalement à notre seconde figure du temps. Donc c'est une unité qui est appréhendée dans
l'instant sous forme de sa distance à zéro. Pourquoi distance ? La distance à zéro appartient
fondamentalement à l'intensité. En quel sens ? Au sens où la distance intensive se distingue de la
grandeur extensive. Comment ça se distingue ? Toutes les distances sont indivisibles. Ca veut dire
que trente degrés de chaleur se définit par sa distance à zéro. Quinze degrés de chaleur aussi. Mais
trente degrés de chaleur ça n'a jamais été quinze plus quinze. Les quantités intensives ne sont pas le
produit d'une addition de parties, vous ne ferez pas de la chaleur en additionnant des boules de
neige. Les distances sont indivisibles. Les distances, donc les intensités. Et je suis en train de définir
l'intensité par deux aspects : son degré c'est à dire son unité appréhendée dans l'instant, sa pluralité
est définie comme distance indivisible à zéro. Toutes les intensités sont des distances indivisibles en
fonction de leur degré par rapport à zéro. Trente degrés ce n'est pas quinze degrés plus quinze
degrés, mais ça n'empêche pas que trente degrés c'est plus que quinze. Donc je peux introduire des
plus et des moins, mais à condition que ce soit d'une autre manière que dans la quantité extensive.
Et en effet, je peux dire qu'une distance est plus grande qu'une autre. Mais je ne peux pas dire de
combien. Trente degrés n'est pas le double de quinze degrés. Ce qui est le double, c'est la montée de
la colonne de mercure qui, elle, est de l'extension. Si vous ne pouvez pas additionner les intensités,
les distances qui sont indivisibles, qu'est-ce que vous pouvez faire ? Vous pouvez les ordonner.
Ordonner et mesurer c'est deux concepts différents : vous ordonnez des différences ou des
distances, tandis que pour le mouvement extensif, vous juxtaposez des parties. Ce n'est pas pareil.
L'intensité c'est l'ensemble des différences ordonnées ou l'ensemble des distances ordonnées, en
appelant distance ou différence le rapport d'un degré intensif quelconque avec zéro.

Je viens de trouver comme les deux signes de cette seconde image du temps. Ce temps qui répond
au mouvement intensif ou ce temps qui répond à la lumière. Maintenant j'ai le temps comme ordre
ou comme puissance. Qu'est-ce que j'appellerais l'ordre ou la puissance du temps ? C'est tout à fait

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différent du temps comme tout.

L'ordre et la puissance du temps, c'est l'ensemble des distances et des différences en tant que
ordonnées. Le temps, c'est ce qui ordonne les distances et les différences.

Voilà qu'il va y avoir un ordre du temps qui n'est pas du tout le même que le Tout du temps. Il va y
avoir des batailles entre tous ces aspects du temps. ça va animer la mythologie. Les intervalles de
temps, ce sont des dieux minuscules, pour les Grecs un intervalle c'était un démon. Les Dieux
avaient des royaumes, ils étaient toujours Dieux de la limite. C'était la limite qui était divine, et le
démon c'est ce qui franchit la limite. Le démon, par définition, c'est le saut. Dans Oedipe, il y a une
phrase où Oedipe, en évoquant le destin, dit : "Quel démon a sauté du plus long saut ?" Il trouve
que le saut a été un peu fort. L'intervalle peut très bien se rebeller contre le Tout du temps. Il va y
avoir la lutte entre le tout du temps et les intervalles de temps. Les présents variables partent en
geurre parce qu'ils refusent d'être des parties du tout du temps. Qu'est-ce qui se passe quand les
présents variables se rebellent ? Nous sautons de Sophocle à Sheakspeare. Hamlet : "Le temps sort
de ses gonds". Quand les présents variables se rebellent contre le tout du temps, à ce moment là, le
temps sort hors de ses gonds, c'est à dire que l'immensité du passé et du futur ne fait plus un cercle.

Il faudrait dire de tout ça que c'est des puissances du temps : la première puissance du temps ce
serait l'intervalle, la deuxième puissance du temps ce serait le tout du temps, la troisième puissance
du temps c'est celle dont on parle en ce moment par rapport au temps intensif, c'est l'ordre du temps,
c'est à dire l'ordre de toutes les distances, l'ordre de toutes les différences intensives. Le temps
comme ordre. Il ordonne les distances. Ce serait une espèce de profondeur du temps où s'ordonnent
toutes les distances à zéro. Qu'est-ce que c'est que ce zéro ? Ce serait l'abîme du temps qui a pour
signe le zéro. L'ordre du temps c'est quelque chose de très différent du tout du temps. Second signe
de l'image intensive du temps : dans sa distance à zéro toute intensité est appréhendée dans l'instant
et l'instant serait précisément cet aspect du temps sous lequel une intensité est intensité.

Mes deux aspects du temps intensif ce serait : l'ordre du temps qui serait donc comme la troisième
puissance, et l'instant qui serait la quatrième puissance. Pour le moment, j'ai quatre signes du temps
pour deux figures.

Qu'est-ce que c'est que cet instant ? Ce serait la saisie de la quantité intensive en tant qu'unité,
tandis que la distance ce serait la saisie de la pluralité indécomposable, c'est à dire de son rapport
avec zéro. Vous voyez que c'est deux figures complètement différentes, et pourtant elles sont toutes
deux sublimes, et toutes deux concernent au plus près notre âme. Pourtant à première vue, le
mouvement extensif, ça concerne le monde, l'espace. L'intensité, s'il est vrai qu'elle a sa source dans
la lumière. Nous savons bien que notre âme a un rapport très étroit avec le monde et un rapport très
étroit avec la lumière. Il faudrait montrer en quoi ça concerne notre âme. Dans les deux cas, il y a
du sublime, et là Kant peut enfin nous donner un relais. Je n'avais parlé que de la moitié du sublime
chez Kant, précédemment. Est-ce que c'est par hasard que Kant distingue deux formes du sublime.
Dans sa terminologie, très rigoureuse, il dit qu'il y a un sublime mathématique et il y a un sublime
dynamique.

La figure du sublime mathématique c'est l'immense et la figure la plus simple du sublime
dynamique, c'est le difforme ou l'informe. Ca nous arrange beaucoup. Il y a une expression très
courante dans la physique du 16ème et du 17ème siècle, c'est la vitesse difformément difforme. Ca
s'oppose au mouvement uniformément accéléré qui est un cas très simple. D'autre part, la vitesse
c'est la quantité intensive du mouvement extensif. La vitesse c'est une différence. Une notion
intensive. Kant nous donne des exemples. Pour le sublime mathématique : la voûte étoilée du ciel
dans certaines conditions. Ou bien vous êtes dénaturés ou bien vous êtes envahis par le sentiment
du sublime, mais c'est un sublime mathématique. Ou bien vous êtes devant la mer calme qui n'est
bordée que par l'horizon et vous éprouvez le sentiment du sublime mathématique. Mais, tout autre

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cas, vous vous trouvez devant des masses montagneuses sans forme, ou bien encore vous vous
trouvez devant la sombre mer en furie, ou bien dans la tempête. C'est le noir lançant un éclair
terrifiant. L'avalanche. Là vous éprouvez également du sublime, mais vous vous dites, là, que c'est
du sublime dynamique. Quelles différences avec la sublime mathématique ?

Voilà l'histoire du sublime dynamique. La nature se déchaîne, la nature comme catastrophe. Une
inondation. Le feu. Le déchaînement des océans. Qu'est-ce que vous éprouvez ? Que vous n'êtes
rien ! Moi, Homme, je ne suis rien. C'est trop fort pour moi. Ces pages sont formidables; à la
rigueur il n'y a que la musique qui donne les mêmes joies. La simplicité d'un thème musical. La
simplicité d'un motif et la manière dont ce motif va s'enfler, s'enfler, et va donner quelque chose
d'extraordinairement complexe. L'orage sur un glacier : il y a des forces déchaînées et vous sentez
que les vôtres ne sont rien à côté. En d'autres termes, ça vous tombe dessus et ça vous réduit à zéro.
C'est trop fort pour moi. D'où une espèce de terreur. Qui ça vous ? Vous homme en tant que saisit
dans toutes vos facultés sensibles. Aussi vous tremblez pour vos jours. Mais en même temps, dit
Kant, en même temps que vous sentez votre propre force réduite à zéro par l'énormité de la force en
présence de laquelle vous êtes, vous sentez naître en vous, ou s'éveiller, ou passer à l'acte, une
faculté spirituelle qui, elle, domine la nature, et qui dit en nous : "Qu'importe ma vie humaine !" Le
sublime est fait de tout ça. Je ne suis rien vis à vis de la nature du point de vue de mes facultés
sensibles, mais, nature en furie, je te domine de par mes facultés spirituelles. Tu peux me tuer,
qu'importe ma mort. Et l'océan déchaîné doit faire naître en vous cette faculté spirituelle : au
moment où vous êtes réduit à zéro par les forces de la nature, vous vous élevez au-dessus de la
nature sous la forme "ma vie n'a pas d'importance". Sinon vous n'éprouvez pas le sentiment du
sublime.

Le sentiment du sublime dynamique est fait de ces deux choses : la manière dont vous vous
découvrez, devant la nature déchaînée, comme étant zéro du point de vue de vos facultés physiques,
mais où, en même temps, s'éveille en vous une faculté de l'esprit qui vous fait penser la nature, et à
partir du moment où vous penser la nature, vous la pensez à partir d'une faculté spirituelle donc
supra sensible qui vous rend supérieur à cette nature et qui vous fait dire : "Qu'importe ma vie, c'est
la volonté de Dieu".

Ou, car Kant est très compliqué, qui vous fait dire peut-être des blasphèmes, car dans un texte
étrange, Kant dit qu'est sublime aussi le désespoir quand c'est un désespoir révolté, c'est à dire Dieu,
je te crache dessus.

Kant a beaucoup d'humour. Ca revient à dire que pour que mon histoire du sublime dynamique
marche, qu'est-ce qu'il faut ? Il faut être à l'abri, et il va faire une théorie de la nécessité d'être à
l'abri. Si je suis dans mon petit bateau sur l'océan déchaîné, je ne peux pas faire ce parcours du
sublime dynamique car j'ai tellement peur que une seule chose compte, à savoir le sentiment que je
ne peux rien. Si bien que le processus du sublime dynamique est coupé. Moi, en tant que créature
douée de facultés sensibles, je ne peux rien. Là, pas de sublime, et donc si je ne suis pas à l'abri je
ne peux pas faire l'expérience du sublime. Réfléchissons. Soyons plus kantien que Kant car, à mon
avis, il fait de la provocation. Je peux, même dans le danger, atteindre au sublime dynamique. Vous
ne savez plus où vous en êtes, c'est à dire que vous êtes réduit à zéro dans vos facultés sensibles,
mais en même temps vous sentez en vous s'éveiller une faculté supra sensible, une faculté
spirituelle par laquelle vous êtes supérieur à la nature. Vous bravez la nature car vous êtes esprit.
Les commandants de Melville. Akkab est sublime, y compris dans son désespoir révolté où il
rivalise avec Dieu. Lorsque nous nous découvrons comme faculté sprituelle, supérieure à la nature
elle-même, Kant dit que nous nous portons de l'estime, pas du tout de l'estime égoïste, mais de
l'estime en tant qu'être spirituel.

Si je suis à l'abri je ne prends pas le danger au sérieux, ça n'empêche pas que, par l'intermédiaire de

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la nature déchaînée et de son spectacle, s'est éveillée en moi une faculté spirituelle qui me fait
penser la nature et que, elle, je prends au sérieux. Et la grande conclusion de Kant, c'est que ce qui
est sublime, ce n'est jamais la nature, c'est forcément l'âme, car la nature n'est que l'objet
occasionnel sous lequel s'éveille en nous le sentiment du sublime, mais le véritable objet du
sentiment du sublime c'est la faculté spirituelle qui s'éveille en nous. La nature n'a que l'apparence
du sublime, mais l'essence du sublime c'est la faculté spirituelle qui s'éveille en nous à l'occasion de
l'apparence naturelle.

Le sublime dynamique est fait du sentiment commun de trois puissances : puissance de la nature
dans l'informe ou le difforme, impuissance de mon être comme être physique, puissance de mon
être spirituel qui s'élève au-dessus de la nature comme informe. Vous avez toujours le thème de la
distance à zéro et d'un ordre du temps, d'une puissance du temps qui marque, d'une part la distance
infinie qu'il y a entre la force de la nature et votre être physique, et d'autre part, la distance infinie
qu'il y a entre votre faculté comme être spirituel et la nature elle-même. En d'autres termes, c'est un
combat entre la nature et l'esprit. Il y a l'idée toute simple d'une lutte fondamentale telle qu'elle
s'exprime dans le sublime dynamique.

Si vous consentez à revenir au sublime mathématique, on voit bien que sous une toute autre forme,
il y avait quelque chose d'analogue. Kant définissait ainsi le sublime mathématique, c'est à dire
l'immense, la voûte étoilée; il le définissait en nous disant exactement ceci : votre imagination est
dépassée, votre imagination se heurte à une limite qu'elle ne peut franchir. La nature dépasse les
limites de votre imagination. Votre imagination est réduite à l'impuissance par la nature parce que
le spectacle qu'elle vous donne vous contraint à changer perpétuellement d'unité de mesure et à ne
pas pouvoir conserver les unités précédentes quand vous arrivez aux suivantes. En d'autres termes,
quelque chose excède le pouvoir de votre imagination. C'est l'immense. Tandis que dans
l'évaluation purement mathématique des grandeurs, vous pouvez toujours convertir une unité dans
une autre et vous pouvez comprendre à l'infini sous la forme conceptuelle d'un nombre. Mais là,
dans le sublime, vous êtes hors de concept. Il ne s'agit plus du concept de ciel tel que, par exemple,
une science qui serait l'astronomie en ferait l'analyse. Il s'agit de l'analyse du sentiment de sublime,
c'est à dire qu'il s'agit d'esthétique et non pas de science. Donc, cette voûte étoilée du ciel pousse
votre imagination vers sa limite, c'est à dire qu'elle vous fait éprouver l'impuissance de votre
imagination. Mais en même temps, il y a coexistence des deux mouvements, cette même nature
requiert votre raison et convainc votre raison, c'est à dire votre faculté spirituelle, qu'il y a un tout
de la nature. C'est un tout qui est toujours en excès par rapport à vos forces. C'est un tout qui est un
trop par rapport à vous comme être sensible, c'est à dire l'imagination comme faculté sensible ne
peut pas satisfaire à l'exigence de votre esprit comme faculté supra sensible. Devant le ciel étoilé,
votre esprit exige que lui soit présenté un tout de la nature, et votre imagination, qui seule pourrait
fournir l'image de ce tout à l'esprit, ne peut pas. C'est pourquoi Kant définira toujours le sublime
comme une discordance de nos facultés. Dans la vie quotidienne, dans la vie finie, nos facultés ne
cessent de s'exercer harmonieusement. La sublime nous arrache à nous-mêmes, pourquoi ? Parce
qu'il introduit dans nos facultés un état de discordance.

Mais vous voyez que la discordance mathématique et la discordance dynamique se font
merveilleusement écho, mais ce n'est pas les mêmes. Dans le cas du sublime mathématique, il y a
une discordance aiguë entre les deux espects du temps, l'intervalle et le tout. Votre imagination
atteint sa limite qui n'est pas adéquate au tout, elle ne peut pas la franchir, elle est réduite à zéro ou,
si vous préférez, l'intervalle se fait de plus en plus court. Mais votre esprit continue à exiger une
présentation du tout de la nature, le tout étant trop. (Gance exprimerait au cinéma le sublime
mathématique). Dans le sublime mathématique, c'est cet excès par rapport à notre imagination qu'il
y a dans le temps comme tout, ou dans l'idée d'un tout du mouvement. Notre imagination réduite à
l'impuissance, dépasser l'imagination et se réaliser comme être spirituel. Les textes de Gance vont
dans ce sens.

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Dans le sublime dynamique, je suis réduit à zéro comme être physique et en même tamps s'éveille
une faculté spirituelle en moi qui réduit à zéro ce qui me réduit à zéro, cette nature sensible.

Le Sublime Mathématique c'est le sublime extensif; c'est le rapport de l'image-

mouvement aux deux aspects du temps, l'intervalle et le tout. Le Sublime Dynamique, c'est le
rapport du mouvement intensif et du temps avec un double aspect du temps : l'ordre du temps, c'est
à dire le temps qui plonge dans l'abîme et l'instant. Et cette fois-ci, ça traduit l'âme et la lumière,
comme tout à l'heure ça traduisait l'âme et le mouvement.

Dans les deux cas, Kant dira que la nature n'est qu'apparemment sublime. Le vrai Sublime c'est
l'esprit qui s'affirme comme faculté à travers le sublime de la nature, et dans un cas c'est l'âme qui
s'affirme comme âme du mouvement, et dans l'autre cas, c'est l'âme qui s'affirme comme âme de la
lumière.

On circule dans un ordre du temps. Mais qu'est-ce que c'est cet ordre du temps ? Ce n'est plus le
présent variable, c'est l'instant. L'instant, c'est le pressentiment que quelque chose qui est posé
comme futur, de manière réfléchie, est en fait déjà là. Vous vivez un instant lorsque, à la fois, vous
posez quelque chose comme à venir, c'est à dire éventuel ou probable ou certain, et que, d'une autre
manière, vous découvrez que c'est déjà là. En d'autres termes, l'instant c'est l'en-deça du futur. C'est
l'imminence du futur. La substitution de l'imminence à l'avenir. En même temps que le futur fait
place à l'imminence qui est tout à fait autre chose que le futur, c'est le déjà là du futur, et dans le
même mouvement un recul infini du passé. C'est les deux phases de l'instant. Un au-delà du passé, il
écartèle le passé. Ce qui s'est passé hier, ça vous paraît des siècles. Un au-delà du passé, un en-deça
du futur, la contamination des deux, c'est comme si le temps était entré dans le temps. Un coin qui
l'a fait sortir de ses gonds. Au niveau de ce temps on ne parlera plus de l'intensité, on ne parlera plus
de l'immensité du futur et du passé; on parlera au contraire d'une espèce de disjonction entre un
immémorial et un imminent. Ce serait ça l'ordre du temps avec l'instant comme son corrélat.

Par rapport à la lumière, qu'est-ce que ce serait cet ordre du temps ? On vient de découvrir que la
lumière, tout comme le mouvement, a une affaire fondamentale avec l'âme. Essayons d'imaginer
l'histoire des rapoprts de la lumière et de l'âme, étant dit que ces rapports vont être très précisément
le contenu de notre image du temps, à savoir de ce temps intensif qui se dégage de la lumière, ou de
la composition intensive qui se dégage du mouvement intensif. A savoir, tout le parcours des
rapports de l'âme et de la lumière va constituer le temps de l'intensité.

Au début du 17ème siècle, Jacob Boehme nous raconte l'histoire de l'âme et de la lumière.
Schelling. Et juste avant, Goethe qui connaissant si bien J. Boehme, et qui a à faire avec les mêmes
problèmes de l'âme et de la lumière, puisque Faust c'est ça. Goethe avait écrit son traité des couleurs
comme degrés de la lumière. L'expressionisme allemand au cinéma, l'image-lumière. Pour eux, le
mouvement est subordonné à la lumière.

Boehme commençait une histoire très curieuse : Dieu c'est la lumière (je schématise beaucoup),
seulement voilà, la lumière c'est ce qu'on voit pas. C'est le plus caché, le plus enfoui. La proposition
de départ c'est que la lumière par elle-même et dans son état de diffusion pure (c'est repris d'une
certaine manière par Bergson), est par nature invisible. Elle est d'autant plus invisible qu'il n'y a pas
d'oeil pour la voir. Il n'y a rien. Tant que la lumière diffuse, elle est invisible. Qu'est-ce qui la rend
visible ? C'est lorsqu'elle se heurte à un corps opaque qui la réfléchit et la réfracte. En d'autres
termes, la lumière devient visible lorsqu'elle se heurte à un écran noir, nous dit Bergson.
Voilà ce que Boehme nous dit : Dieu est lumière, mais par là même il ne se manifeste pas. Mais en
tant qu'il est lumière, il est possédé par quelque chose qui ne se confond pas avec lui mais qui est le
plus profond en lui. Ce n'est pas lui, mais c'est le sans-fond en lui, et le sans fond en lui c'est la
volonté de se manifester. Dans tout cela Hegel n'est pas loin. Le sans-fond de Dieu c'est la volonté

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de se manifester. C'est le premier temps. Que le monde était beau à cette époque! Le deuxième
temps c'est la colère de Dieu, à savoir Dieu va s'opposer l'opacité pure, c'est à dire les ténèbres pour
passer à sa propre manifestation. La colère de Dieu c'est l'acte par lequel Dieu ou la lumière dresse
les ténèbres comme condition de sa manifestation. A ce moment là, et par rapport aux ténèbres qui
s'opoosent à la lumière, on dirait que la lumière devient Blanche. C'est la première manifestation.
Ca prend une apparence très mystique mais vous pouvez le traduire très facilement : c'est le passage
de la lumière à un couple d'opposition, à savoir le blanc et le noir. Le noir, ce sera les ténèbres à
l'état pur, et le blanc ce sera la lumière par rapport à ces ténèbres. Mais pour le moment rien ne se
manifeste; c'est les conditions de la manifestation. Troisième moment : pour que quelque chose se
manifeste, qu'est-ce qu'il faut ? Il faut que les ténèbres s'éclaircissent un petit peu sous la lumière et
il faut que le blanc s'obscurcisse un petit peu sous les ténèbres ...

Propositions sur le cinéma. Bergson.

18 Mai 1983

... Comment d'une certaine façon dépasser la dualité entre un cinéma abstrait et un cinéma narratif-
illustratif ? Dans ce qu'on peut appeler, en très gros, l'école française d'avant la guerre, c'était un
souci très actif chez eux : comment surmonter cette dualité ? Ils étaient très sensibles à l'existence
d'un cinéma abstrait, purement optique, d'autre part existaient ou se montaient les formes de
narration aussi bien du type SAS que ASA, et voilà que ce qu'ils cherchaient c'était quelque chose
d'autre : comment dépasser cette dualité de l'abstrait et du figuratif-illustratif ou narratif. Gremillon,
Lherbier.

Si on reprend les textes d'Artaud sur le cinéma, vous voyez constamment revenir, comme
proposition de base, comment sortir de cette dualité. Et il nous dit tout le temps que le cinéma
abstrait est purement optique, oui, mais il ne détermine pas d'affects. Il n'atteint pas aux véritables
affects. Artaud va jusqu'à dire : comment arriver à des situations optiques, le mot est chez Artaud
lui-même, qui ébranlent l'âme ? C'est curieux cette formulation! Qu'est-ce qu'il voulait ? Il ne s'agit
pas de dire qu'il pressentait le néo-réalisme ou la nouvelle vague, mais qu'est-ce qu'il voulait dire
pour son compte ? Et comment ça se fait que par des moyens absolument différents ça nous soit
revenu, c'est à dire des images optiques sonores qui sont censées ébranler l'âme ... Ces images
optiques, on a vu en quoi elles dépassent l'image-action. Elles dépassent l'image-action parce
qu'elles rompent avec l'enchaînement des actions et des perceptions. A quel niveau ? Au double
niveau et du spectateur qui voit l'image, évidemment, mais avant tout au niveau du personnage
puisque ce n'est pas du cinéma abstrait. Au niveau du personnage qu'on voit sur l'écran : il n'est plus
en situation sensori-motrice, ou du moins vous nuancez. Ce personnage est un nouveau type de
personnage qui est dans un type de situation très particulier, un type de situation optique et sonore
pur. Le comique de Tati c'est ça. Il ne fait rien sauf une démarche. Qu'est-ce qui est drôle ? Le jeu
des images optiques sonores pour elles-mêmes avec ce personnage qui déambule. La promenade du
personnage parmi des situations optiques sonores pures. On est tout à fait sorti du sensori-moteur.
Et c'est parce que ce cinéma est sorti du processus sensori-

moteur que je peux dire qu'on est donc sorti de l'image-action. Je voudrais faire sentir que bien plus,
et plus profondément, on est sorti de l'image-

mouvement. On est en train d'aborder ce que nous cherchions au début de l'année. L'image-
mouvement qui se ramifiait n'était qu'un type d'image. Pourtant les images optiques optiques
sonores semblent bien rester des images-mouvement. Quelque chose bouge. Remarquez que oui et

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non. Je dis oui et non parce que est-

ce par hasard que le plan fixe ou le plan séquence prend une importance fondamentale dans ce type
de cinéma, en liaison avec le type d'images optiques sonores. Ca n'empêche pas que dans beaucoup
de cas, il n'y a pas plan fixe, pas plan séquence, il y a du mouvement, mouvement aussi bien de la
caméra que mouvement saisi par la caméra. Oui, il y a mouvement, mais ce qui est important c'est
lorsque le mouvement est réduit au jeu des images optiques sonores, peut-être est-ce que l'image
alors, quoiqu'elle soit affectée de mouvement pour son compte, mais ce n'est plus du tout le même
mouvement que dans le schéma sensori-

moteur, peut-être que alors ces images optiques et sonores, même en mouvement, entrent
fondamentalement en relation avec un autre type d'images qui, lui, n'est plus image-mouvement.

C'est bien en même temps que cela se passe dans le cinéma et ailleurs. J'insistais en France sur la
rencontre entre le nouveau cinéma et le nouveau roman. Je prends quatre propositions de base que
Robbe-Grillet présente comme les éléments fondamentaux du nouveau roman et leur traduction en
termes de cinéma se fait immédiatement, c'est à dire en quoi la même chose s'est passée dans le
cinéma.

Première proposition : caractère privilégié de l'optique. Privilège de l'oeil. D'où le nom donné dès le
début au nouveau roman : école du regard. C'est un privilège de l'oeil-oreille. Il n'y a pas moins de
sonore que d'optique. Pourquoi est-ce que Robbe-Grillet tient à ce privilège au moins de l'oeil, et à
la rigueur de l'oreille ? Il dit qu'il faut faire avec ce qu'on a, et si vous réfléchissez bien, l'oeil c'est
l'organe le moins corrompu. Qu'est-ce qui nous empêche de voir ? Godard nous dit ça aussi tout le
temps. On est dans une situation où on ne voit rien, on ne voit pas les images. Pourquoi est-ce qu'on
ne voit pas ce qu'il y a dans une image ? Je résumerai tout en disant que on vit dans un monde
d'images sensori-motrices. Donc, d'une certaine manière, c'est forcé qu'on ne voit rien, c'est tout un
travail d'extraire des images qui donnent à voir. Les images courantes ne donnent rien à voir parce
que, finalement, dès qu'on regarde quelque chose, on est assailli par les souvenirs, les associations
d'idées, les métaphores, les significations. C'est comme un groupe d'ombres qui nous empêche de
voir. On a dans la tête déjà qu'est-ce que ça signifie, à quoi ça ressemble, qu'est-ce que ça nous
rappelle ? Il y a toute cette littérature et cette culture de la mémoire et de l'association d'idées, toutes
ces métaphores qui nous assaillent. Robbe-Grillet pense que l'oeil, et c'est par là qu'il va privilégier
l'optique, est l'organe malgré tout le plus apte à secouer l'appareil des métaphores, des
significations, des associations, pour ne voir que ce qu'il voit, c'est à dire des lignes et des couleurs,
mais surtout des lignes.

Deuxiéme proposition : Si on suppose un oeil qui s'est donc extrait des situations sensori-motrices
et de leur cortège signifiant, associatif mémoriel. Si on suppose un tel oeil, qu'est-ce qu'il voit ? Il
voit des images. Mais qu'est-ce que c'est des images ? Ce ne sont pas des objets, ce sont des
descriptions d'objets. Robbe-Grillet tient beaucoup à cette notion de description d'objets puisque,
selon lui, le nouveau roman, mais aussi le nouveau cinéma, ne va pas nous faire voir des objets ou
des personnes, mais va nous faire voir des descriptions. Ce qui est optique c'est la description des
personnes et des objets. Bien plus, n'est pas exclu que dans certaines formes, la description
remplace l'objet. Non seulement elle vaudrait pour l'objet, mais c'est elle qui serait le véritable
objet. Elle gommerait l'objet. Robbe-Grillet nous dit que dans le roman classique, si vous prenez
une description chez Balzac, vous voyez qu'elle vise un objet ou une situation; dans le nouveau
roman ce n'est pas comme ça. La description a remplacé l'objet, elle a gommé l'objet (voir page 81
de Pour un Nouveau Roman) "longue citation de Robbe-Grillet (...) ... Et lorsque la description
prend fin l'on s'aperçoit qu'elle n'a rien laissé debout derrière elle. Elle s'est accomplie dans un
double mouvement de création et de gommage". Voilà donc le second principe : la description
optique.

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Troisiéme proposition : Pourquoi tellement insister sur la description optique qui finit par gommer
l'objet, par remplacer l'objet, par se substituer à l'objet ? C'est parce qu'il tient énormément à l'idée
que l'image optique n'est pas du tout une image objective ou objectiviste. Il dira que le nouveau
roman c'est le roman de la subjectivité totale, d'où l'importance de ne pas lier l'image optique pure
ou l'image sonore pure à l'objectivité d'objet, à l'objectivité de quelque chose. Si l'image optique
pure est pure description qui gomme l'objet, il est évident qu'elle renvoie à une subjectivité totale.
Et en effet, ce qu'on a appelé la situation optique, c'est la troisième grande idée de Robbe-Grillet,
cette idée du nouveau roman comme roman de la subjectivité. C'est très simple à comprendre.
Prenez l'exemple de Taxi Driver. Le personnage est en balade. En quoi est-il en situation optique
pure ? Bien sûr, il est en situation sensori-

motrice par rapport à sa voiture, il la conduit. Mais son attention comme flottante, pourquoi est-ce
qu'il délire ? Il fantasme. Scorcese a très bien montré que les chauffeurs de taxis sont dans une
situation assez délirante. Ils sont coincés dans leurs petites boîtes où, là, le chauffeur est en situation
sensori-motrice (excitation-réaction), mais simultanément à cela, tout un bout de lui-même est en
situation optique pure, à savoir son attention traînante où ce qui se passe sur le trottoir (Scorcese le
montre admirablement) n'est plus du tout saisi en situation sensori-motrice, à savoir : je vois et
j'agis en fonction de ce que je vois, mais en situation optique pure : il passe dans les rues et il voit
un groupe de putains, trois types qui se battent, un enfant qui fouille dans une poubelle. Etre en
situation optique c'est tout d'un coup dire : qu'est-ce que c'est que ça ? Qu'est-ce que je vois
d'intolérable là-dedans! La situation optique ce n'est pas du tout une situation d'indifférence, c'est
une situation qui fondamentalement traverse de part en part et ébranle l'âme. Le type de Taxi Driver
est en situation sensori-motrice par rapport à la chaussée, mais par rapport aux rues et à tout ce qui
se passe dans les rues, il est en situation optique pure. C'est un défilé optique pur et sonore. Les
joints sensori-moteurs(sensori-motrices ?) sont tout à fait coupés. Dans une situation optique ce qui
est coupé fondamentalement c'est l'articulation perception-

action. D'où ces gestes inadaptés, le geste qui fait faux, etc. Cette situation optique où les liens
perception-mouvements semblent coupés, interrompus, permet une espèce d'éclosion de délire,
délire raciste, délire si courant dans la cervelle d'un chauffeur de taxi, qu'on ne peut pas comprendre
indépendamment de ceci, c'est que les situations optiques pures appellent des concrétions soit
fantasmatiques, soit délirantes, soit rêveuses. Tout un monde de l'imaginaire. Le troisième
caractère, c'est bien des images optiques pures investies par une subjectivité totale.

Quatrième proposition : C'est lorsque, ne serait-ce que pour marquer la différence des générations,
il disait qu'il y a une différence entre Sartre et nous. Mais qu'est-ce qui distingue "la nausée" du
nouveau roman ? Justement il disait que nous, on a été amenés à dégager des situations optiques
pures. Alors que chez Sartre, il y a une présence du monde, mais ce n'est pas une présence d'abord
optique. Ensuite il n'a pas supprimé toutes les significations, même si il les a traduites en nausée,
c'est encore un mode de signification. Pour Robbe-

Grillet le monde n'est même plus absurde, c'est plus ça le problème. Il se démarquait aussi de Sartre
en disant : nous on ne croit plus en une littérature de l'engagement. Pourquoi ? Il dit que l'on
appellera ça de l'art pour l'art, mais ça n'a pas d'importance, nous on a fini par croire qu'il faut que
l'art fasse ses mutations propres, on ne croit plus au réalisme socialiste, on ne croit plus à
l'engagement, on pense plutôt que l'art doit faire ses mutations à lui, et que c'est comme ça que
finalement il rejoindra les exigences d'une révolution si jamais ça doit se faire, ou qui rejoindra les
mutations sociales. C'est en travaillant pour son compte. Dans cette perspective, la tâche propre de
cet art là, je ne dis pas de tout art, il s'agit d'une tentative précise, la tâche de cet art là c'était de
produire des images optiques sonores. En quoi c'était actif ? Ce n'est pas un engagement et pourtant
ce n'est pas du tout indifférent puisque, encore une fois, nous ne savons même pas ce qu'est une
telle image.

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Nous vivons dans un monde de clichés. Le publicitaire produit des clichés, c'est à dire le contraire
d'une image, des clichés c'est à dire des excitations visuelles qui vont déclencher un comportement
conforme chez les spectateur. Le publicitaire c'est le contraire de toute poésie. Mais ce qui est
difficile c'est de dire en quoi c'est le contraire. La poésie, au niveau où on la définit, c'est gommer
les clichés, supprimer les clichés, rompre les associations sensori-

motrices, faire surgir hors des clichés des images optiques et sonores pures qui, au lieu de
déclencher des comportements prévisibles chez les individus, vont ébranler l'individu dans le fond
de son âme. D'où le thème courant de Godard : nous vivons dans un monde de clichés et que nous
ne savons même pas ce que c'est qu'une image parce que nous ne savons pas voir une image, et
nous ne savons pas voir ce qu'il y a dans une image. Il ne faut pas un art de l'engagement, il faut un
art qui ait sa propre action en lui-même, c'est à dire qui suscite en nous, quoi ? Qui, produisant des
images à la lettre inouïes, soit tel qu'il nous fasse saisir ce qui est intolérable et qu'il suscite en nous,
pour parler comme Rosselini, l'amour et la pitié. Un tel art peut très bien participer à un mouvement
révolutionnaire, mais en tous cas, ce n'est pas une littérature ou un cinéma engagés, c'est un cinéma
de la pure image optique sonore.

Voilà donc les quatre caractères de Robbe-Grillet. Ils s'appliquent au nouveau roman mais aussi au
nouveau réalisme, au nouveau cinéma français et au nouveau cinéma américain.

Voilà la question devant laquelle nous sommes. Ce que je considère maintenant comme fait c'est en
quoi ces images optiques et sonores sont autre chose que des images-action. Mais ce qui me soucie
encore, c'est leur statut. Ces images optiques et sonores, qu'est-ce qu'elles vont provoquer, qu'est-ce
qu'elles vont faire naître en nous ? Est-ce qu'il y a d'autres types d'images que l'image-

mouvement, et qu'est-ce que ce serait ? On est encore loin d'avoir un statut réel de l'image optique
et sonore. On tire un grand trait et je dis qu'il faut repartir sur de nouvelles bases ; ça pourrait
s'intituler au-delà de l'image-

mouvement. Ma question est : est-ce que les images optiques et sonores font naître en nous et hors
de nous des images d'un autre type ? Des images qui ne sont plus des images-mouvement.

Je vous propose de revenir à Bergson. Vous vous rappelez le point où on était arrivés très vite au
début de nos séances. Il y a une thèse très célèbre de Bergson qui consiste à dire que les positions
dans l'espace sont des coupes instantanées du mouvement, et le vrai mouvement c'est autre chose
qu'une somme de positions dans l'espace. Mais nous avions vu que cette thèse se dépassait vers une
autre thèse beaucoup plus profonde où il nous disait non plus du tout que les positions dans l'espace
sont des coupes instantanées du mouvement, mais où il nous disait beaucoup plus profondément
que le mouvement dans l'espace est une coupe temporelle du devenir ou de la durée. Ca voulait dire
que, à la lettre, l'image-mouvement n'était qu'une coupe d'une image, quoi ? Faut-il dire plus
profonde ? L'image-mouvement ce serait la coupe temporelle ou la perspective temporelle sur une
image plus profonde, plus volumineuse. Le mouvement de translation, le mouvement dans l'espace,
c'est une perspective temporelle et non plus une perspective spatiale. Une coupe temporelle d'une
image plus volumineuse. Et pour son compte, Bergson lui donnait un nom à cette image, il
l'appelait une image mémoire, ou l'image souvenir. Et l'image-

mouvement n'était donc que la coupe temporelle d'une image plus profonde, image mémoire ou
image souvenir. Qu'est-ce que c'était cette mémoire ?

Presque chaque fois que Bergson s'occupe de la mémoire, il la définit non pas d'une mais de duex
façons. Je prends un texte de Matière et Mémoire, premier chapitre : "la mémoire sous ses deux
formes, en tant qu'elle recouvre d'une nappe de souvenirs un fond de perceptions immédiates".

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Première forme, elle recouvre une perception d'une nappe de souvenirs. Je dirais que ça c'est la
mémoire en tant qu'elle actualise un souvenir dans une perception présente. Voilà le premier aspect
de la mémoire. Je continue "... Et en tant aussi qu'elle contracte une multiplicité de moments". Ca ,
est-ce une autre mémoire ? Ou est-

ce qu'il y a deux aspects de la même ? C'est très curieux. Quand on nous dit que la mémoire c'est ce
qui recouvre d'une nappe de souvenirs une perception, on se dit que c'est bizarre. Pourquoi est-ce
qu'il s'exprime comme ça ? Il emploie une expression poétique. Mais on s'y repère. C'est, encore
une fois, la mémoire en tant qu'elle actualise des souvenirs dans une perception. Ca c'est la première
mémoire qu'on appelle mémoire-nappe. Puis il nous dit qu'il y a une autre mémoire, celle qui
contracte deux moments l'un dans l'autre. Prenons le cas le plus simple : le moment précédent et le
moment actuel. A ce moment là, il y aurait de la mémoire partout puisque ce que j'appelle mon
présent c'est une contraction de moments. Cette contraction est plus ou moins serrée, mon présent
varie. Mon présent a une durée variable. Tantôt j'ai des présents relativement étendus, tantôt j'ai des
présents très serrés. Tout dépend de ce qui se passe. Mais ce que j'appelle mon présent, chaque fois
c'est une contraction d'instants : je contracte plusieurs instants successifs. Si on appelle mémoire
aussi ce second aspect, il y a donc une mémoire contraction qui n'est pas du tout la même chose que
la mémoire-nappe. La première actualise une nappe de souvenirs dans une perception présente, la
seconde contracte plusieurs moments dans une perception présente.

Ces deux aspects, contraction et nappe, pourquoi est-ce que ça évoque quelque chose qui concerne
le cinéma ? Il aurait fallu consacrer une séance au problème de la profondeur de champ. Lorsque,
en relation à certaines techniques, a été utilisé ou a été obtenu un effet de profondeur de champ dans
l'image cinématographique, et puis ça a été retrouvé avec de nouveaux moyens techniques. C'est sa
résurrection avec Orson Wells, et la découverte ce qu'on allait appeler la découverte d'un plan-
séquence avec profondeur de champ. (développement sur les images typiques de profondeur de
champ).

(avec la profondeur de champ, vous avez la pleine simultanéité) (c'est un des très beaux cas
d'images contraction où là, la profondeur de champ assure la contraction d'un champ et d'un
contrechamp ou de ce qui aurait pu être présenté par d'autres procédés sous forme de deux moments
successifs. Il s'opère une contraction des deux moments).

(le plan séquence célèbre de Wells vous donne une image contraction. Plusieurs moments sont
contractés).

La première fonction de la profondeur de champ, c'est produire des images-

contraction. Ce que j'attribue à la profondeur de champ c'est d'opérer des contractions temporelles
qu'on ne pourrait pas obtenir avec d'autres moyens. Mais il faut ajouter immédiatement que la
profondeur de champ a aussi l'effet inverse. Wells fait partie des grands cinéastes du temps. S’ il y a
un américain qui a atteint à un cinéma du temps, c'est Wells. Les grands cinéastes du temps, il y a
Resnais, Wells, Visconti, Perrault. Leur problème c'est l'image temps.

Flairez qu'on est en train de prendre contact avec un drôle de type d'image. Tout comme en
musique, il y a des musiciens qui sont des musiciens du temps. Ce qu'ils mettent en musique c'est le
temps. Ce qu'ils rendent sonore, c'est le temps. Ca suppose qu’ un certain nombre de cinéastes
auront un cinéma qui restera non saisi si on ne se demande pas quelle structure temporelle est
présente dans les images qu'ils nous font voir. Ils nous font voir le temps. Quelle structure de temps.
Quand est-ce qu'il y a problème de temps ? Il y a problème de temps à partir du moment où le temps
est abstrait de la forme de la succession. Le retour en arrière, le flashback, n'a jamais rien
compromis à la forme de la succession. Ca n'a rien à voir avec le temps. La stature du temps que
Visconti nous fait voir est aussi différente, rendre visible à travers des images optiques et sonores.

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C'est des cas très spéciaux. Godard n'a pas beaucoup à faire avec le temps à génie égal. Visconti
pour nous faire voir le temps n'a pas besoin de la profondeur de champ. Je me dis que si la
profondeur de champ a un rapport quelconque avec une image-temps, c'est avec une forme d'image-
temps très particulière, qui sera, entre autre, celle de Wells. Si la profondeur de champ a pour
première fonction de produire des contractions, c'est à dire nous donner des images-contraction, elle
a aussi en apparence la fonction opposée, à savoir produire des nappes. Tous les films de Wells ont
à faire avec une enquête concernant le passé. Citizen Kane c'est une série de nappes distinctes
concernant le passé d'un homme, le citoyen Kane, en fonction d'un point aveugle que signifie
"Rosebud". Dans beaucoup de cas, la profondeur de champ - ce qui compte ce n'est pas les
souvenirs de A sur Kane, les souvenirs de B sur Kane, ce qui compte, c'est que ce soit le passé de
Kane pris à des niveaux de profondeur différents : à chaque fois est atteinte une nappe de souvenirs
dont on va se demander si cette nappe là s'insère et coïncide avec la question : qu'est-ce que c'était
"Rosebud". Cette fois, la profondeur de champ va être une image-nappe et elle va intervenir comme
le déploiement d'une nappe donnée. Suivant les cas, la profondeur de champ a une de ces deux
fonctions : tantôt elle opère une contraction maximale entre moments successifs, tantôt elle décrit
une nappe de souvenirs comme aptes ou comme inaptes à s'actualiser dans le présent. En ce sens je
dirais que la profondeur de champ est constitutive d'une forme très particulière d'image-temps, à
savoir l'image-mémoire sous ses deux formes, contraction et nappe, ou l'image-souvenir sous ses
deux formes, contraction et nappe, étant entendu que les souvenirs étaient inconscients.

La structure du temps chez Wells est une structure bi-polaire : contraction de moments et nappes de
souvenirs.

Bergson

7 Juin 1983

Qu'est-ce qu'on a fait cette année ? Une reprise de l'année d'avant. Mais j'avais essayé d'expliquer la
nécessité de cette reprise. Je voudrais dans cette dernière séance me consacrer à un certain nombre
de schémas bergsoniens. Trois schémas sont nouveaux. Ils viennent relancer le problème là où nous
sommes. Nous avions fait une classification beaucoup plus riche que l'année dernière des images et
des signes. On partait d'un plan qu'on appelait le plan des images-

mouvements ou des images-lumière.

Sur ce plan, on assignait des centres d'indétermination. Ces centres d'indétermination étaient à
proprement parler définis par un écart. Le plan des images-mouvement ou des images lumière,
rapporté

au

centre

d'indétermination,

donnait

trois

types

d'images

puisque

le

centre

d'indétermination avait trois aspects : une image-perception, une image-action ; la perception
exprimant ce que le centre d'indétermination retenait du monde des images-mouvement agissant sur
lui. Les images-action indiquant comment les centres d'indétermination réagissaient aux images
exerçant sur lui leur influence, et puis entre les deux, puisqu'il s'agissait d'un écart entre la
perception et l'action - c'était même ça qui définissait le centre d'indétermination -, entre les deux
quelque chose dont je disais que ça vient occuper l'écart, et pourtant ça ne le remplit pas, et c'était
les images affection. Nous nous sommes longtemps contentés de ce schéma. On avait ici l'image-
matière qui est mouvement ou lumière, on avait là les images-actions, les images-affection, et les
signes correspondants dans chaque cas, et du point de vue de la composition de toutes ces images,
ce schéma nous donnait des images indirectes du temps, et du point de vue de la genèse de toutes
ces images, il nous donnait une ou des figures indirectes de la pensée. Ca formait un gros bloc.

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Pourquoi ne pas arrêter là ? Parce qu'on a toujours considéré que l'image-

matière était un type de coupe très particulier. C'était une perspective. C'était une coupe mobile ou
une perspective temporelle. Si vous préférez c'était une modulation. En effet, l'image-mouvement,
l'image cinématographique c'est de la modulation par opposition à une photo qui, si artiste qu'elle
soit, est du type d'un moule.

Modulation, coupe mobile, perspective temporelle, ce plan des images-mouvement n'était que cela.

Et s’ il nous donnait une image du temps, c'était une image indirecte du temps; et s’ il nous donnait
des figures de la pensée, c'était des figures indirectes de la pensée puisque toujours construites ou
inférées à partir des images-

mouvement. Et tout cela correspond finalement au premier chapitre de Matière et Mémoire. Vous
vous rappelez que dans ce premier chapitre de Matière et Mémoire, il consiste à distinguer trois
sens de la subjectivité conçue comme centre d'indétermination. Si je définis un sujet comme centre
d'indétermination dans un monde d'images-mouvement, donc recevant l'influence d'images-
mouvement et réagissant en images-action. Je dis que ce premier chapitre nous montre trois aspects
de la subjectivité : un aspect perception, ou un aspect-action et un aspect-affection.

Vous remarquerez que ce premier chapitre de Matière et Mémoire, à ma connaissance, il n'y a pas
eu au monde de texte plus matérialiste. Et il est bon qu'un auteur qui était réputé pour son
spiritualisme, lâche au premier chapitre d'un livre qui est son chef d'oeuvre, un manifeste
matérialiste comme on n'en avait jamais vu. Encore une fois pour lui, aussi bien la perception que
l'action que l'affection, qu'est-ce que ça réclame ? Un écart entre une excitation reçue et un
mouvement exécuté. Et qu'est-ce que cet écart ? Cet écart c'est le cerveau! On ne peut pas être plus
matérialiste. On va apprendre qu'il y a un quatrième aspect de la subjectivité conçue comme centre
d'indétermination. On va apprendre que ce quatrième aspect n'est assurément compréhensible que
suivant une autre dimension que celle du plan de l'image-mouvement, et que pourtant ça ne se voit
pas tout de suite.

C'est que, en effet, si je me donne toujours mon centre d'indétermination, c'est à dire l'existence
d'écarts des actions subies et des réactions exécutées, écarts entre excitations et réponses, je disais
bien que l'affection d'une certaine manière vient occuper cet écart mais qu'elle ne le remplit pas. Et
en revanche, il y a quelque chose qui vient remplir cet écart. Entre une perception, c'est à dire une
excitation reçue par le centre d'indétermination sur une de ses faces, et un mouvement exécuté en
réponse par le centre d'indétermination dans une autre de ses faces, il y a un écart. C'est cet écart
qui mesure la nouveauté de l'action exécutée par rapport à l'excitation reçue. C'est parce que, d'une
certaine manière j'ai le temps, au contraire d'une chose où il y a enchaînement immédiat entre les
actions reçues et les réactions exécutées. Par exemple, je donne un coup de pied à la chaise, et si je
suis très en forme, la chaise bouge, elle réagit immédiatement. Ce sont des enchaînements qui
fonctionnent immédiatement.

Quelque chose vient remplir l'écart! La réponse célèbre de Bergson c'est que en effet nous avons
des souvenirs. Et tout ce qu'on a dit précédemment sur action, perception, affection, ne rendait
absolument pas compte de cette nouvelle dimension : nous avons des souvenirs. Et ces souvenirs
nous en faisons l'expérience, au moins la plus courante, sous la forme de ce que Bergson appelle
lui-même "image-souvenir". Nous, centres d'indétermination, nous n'avons pas seulement des
perceptions, des actions et des affections, nous ne sommes pas seulement définis par ces trois types
d'images qui expriment l'action sur nous des images-mouvements, nous avons aussi des images-
souvenir. A quoi elles nous servent ? Elles nous servent à compenser notre supériorité-infériorité.
Notre supériorité sur les choses c'est que nos actions ne s'enchaînent pas immédiatement avec les
excitations reçues. C'est d'une certaine manière ce que Bergson appelle avoir le choix. Nous avons

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un certain temps pour réagir, ou alors si nous n'avons pas ce temps, c'est la panique, c'est l'image-
affection. Mais normalement nous avons un certain temps, nous voyons le lion un peu avant qu'il
nous attaque. Mais il y a aussi l'aspect infériorité, à savoir : mon action ne dispose plus de la facilité
d'être une simple conséquence, compte-tenu de ma nature, de l'excitation reçue. Elle n'est plus
déterminée, elle n'a plus de voie de détermination. Je suis en situation de choisir. Si je suis un
poulet, je n'ai pas le choix, pas assez de cerveau. Pas assez d'écart.

Ce qui remplit le cerveau c'est des images-souvenir, ou c'est des souvenirs qui, en fonction de la
situation présente, viennent s'actualiser en images. C'est ça qui justifie le petit tiret de Bergson. Ce
sont donc des images-souvenir qui vont guider la meilleure action à choisir en fondtion de
l'excitation reçue. La question de Bergson est simple : d'abord comment représenter ? D'abord vous
me direz qu'est-ce qui prouve qu'on ne peut pas rendre compte de l'image-souvenir en en restant sur
le plan des images-mouvement ? Pourquoi est-ce que l'image-

souvenir ce ne serait pas une quatrième sorte d'image-mouvement ? Peut-être! Je dis peut-être car
pour savoir si l'image-souvenir peut être traitée comme une quatrième sorte d'image-mouvement, il
faudrait déjà avoir posé et su répondre à la question d'où ça vient les images-souvenir, car au moins
précédemment on avait montré d'où venaient les images-perception, d'où venaient les images-

action, d'où venaient les images-affection, si l'on donnait l'écart, c'est à dire si l'on se donnait les
centres d'indétermination. Et de ce point de vue, on avait bien l'impression que rien d'autre ne
pouvait exister, mais ce n'était qu'une impression.

Il faut ajouter à notre plan des images-mouvement une espèce de cône. Pourquoi un cône ? Parce
qu'il faut une pointe qui coïncide avec son insertion sur le plan de l'image-mouvement. Il doit
culminer en S, S désignant le centre d'indétermination. Et pourquoi est-ce que ça sévase ? C'est
l'ensemble de toutes les images-souvenir qui forme cette figure conique, selon que je les considère
plus ou moins près de leur insertion, c'est à dire suivant que je les considère plus ou moins proches
d'une urgence présente. Si il n'y a pas urgence présente, mes images-souvenir sont assez dilatées,
par exemple, je suis en état de rêverie. Je suis en état de rêverie quand je suis dans une situation
présente sans urgence. Au contraire, si la situation présente est urgente, mes images-

souvenir, là, sont de plus en plus contractées. Comprenez ce premier schéma bergsonien où donc il
rajoute au plan des images-mouvement cette dimension très insolite en lui donnant une figure
conique puisque ça va être l'ensemble des souvenirs en tant qu'ils s'actualisent au point S, dans des
images-souvenir qui viennent remplir l'écart qui définissait le point S. C'est la célèbre métaphore du
cône.

Qu'est-ce que c'est que le cerveau ? Dès lors, tout va recevoir une double détermination. Ce que
c'est que le cerveau, ça dépend, puisque j'ai ajouté une dimension à mon schéma du plan de matière.
Du point de vue du plan de matière, le cerveau c'est strictement l'écart entre une excitation subie et
une action exécutée. Du point de vue du cône, le cerveau c'est le procès d'actualisation du souvenir
en image-souvenir.

Mais on n'a pas oublié que notre plan de la matière était tout à fait mobile. On n'a pas oublié cette
mobilité. A chaque fois, les images-mouvement changent. On a S, puis S4, puis S3, si bien que la
vraie figure, je dirais que ce cône ne cesse de déplacer son sommet à l'infini selon la succession des
plans de matière. Vous voyez que là où Bergson, on ne sait pas pourquoi, va faire triompher le
spititualisme, si je m'en tiens au plan de matière, tout est matière; tout est esprit si je m'en tiens au
cône, or il y a un point commun qui va être évidemment l'insertion de l'esprit dans la matière.

Insertion de l'esprit dans la matière, c'est ce qui appartient à la fois et au cône et au plan de matière,
c'est le point S. En termes de matière, si on traduit, c'est le cerveau, si on traduit en termes d'esprit

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c'est la mémoire. Selon Bergson, il n'y a qu'une chose que la matière ne peut pas expliquer, c'est la
mémoire. Ce qui nous prépare à l'idée que la mémoire c'est la durée, la durée c'est la mémoire.

Vous me demanderez pourquoi est-ce que le cône ne serait pas un cône matériel ? Ce serait une
excroissance de la matière ? On a déjà mis des écarts dans la matière, pourquoi est-ce qu'on n'y
mettrait pas des cônes ? Tout dépend de la réponse à la question : une image-souvenir, d'où ça vient
? Et en quoi ça peut bien consister ? Beaucoup de gens, et c'est généralement ceux qu'on appelait
les psychologues considéraient qu'il n'y a pas de problème et que on peut s'arranger en disant, par
exemple, que les images-souvenir sont dans le cerveau.

Ils ne disent pas ça aussi simplement. Ca, ça fait rire Bergson, et il a le droit. Rappelez-vous que
depuis le début il nous a expliqué que le cerveau était une image; or la régie des images c'est qu'une
image ne contient pas d'autres images. Une image présente ce qui apparaît en elle. Bien sûr, parfois
il y a une image dans l'image, mais ce n'est pas du tout une image qui serait comme dans une boîte,
il n'y a pas une boîte où il y aurait des souvenirs. Enfin je passe là-dessus. La question c'est : d'où ça
vient une image-souvenir ?

D'où le deuxième schéma connaissance un des aspects les plus brillants de tout le bergsonisme.
Voilà ce qu'il nous dit : l'image-souvenir , je reproduis, et je pourrais dire que l'image-souvenir c'est
la reproduction d'un ancien présent dans un actuel présent, ou, pour mieux jouer sur les mots, c'est
la représentation de l'ancien présent dans l'actuel présent. Et oui, on vit là-

dessus. Comment l'ancien présent peut-il être représenté dans l'actuel. Là on va imaginer plein de
choses. Mais notre tendance de départ, notamment si nous sommes psychologues, c'est toujours de
considérer le passé par rapport à l'actuel présent, c'est à dire que nous pensons le passé en fonction
de l'actuel présent par rapport auquel il est passé. Tout passé est passé par rapport à un actuel
présent. Exemple : je me rappelle ce que j'ai fait hier. C'est la représentation d'un ancien présent par
rapport à l'actuel présent : je me représente ce que j'ai fait hier. Je pense donc mon passé en fonction
du présent par rapport auquel il est passé. Et en effet tout passé est passé d'un présent qu'il a été. Or
c'est bizarre mais personne n'y avait pensé. Faire de la philosophie c'est faire des découvertes
comme ça. Le passé est aussi passé par rapport à l'ancien présent qu'il a été, et ça va peut-être tout
changer.

Il y a un nouveau présent que j'appelle l'actuel présent. Qu'est-ce qui le rend possible ? Pourquoi
est-ce que le présent passe, et ne cesse de passer ? C'est une question métaphysique et c'est très
concret. Pourquoi le présent passe ? Si on me dit que c'est la définition du présent, je réponds non.
Je veux une réponse de première main, de généralité. Ca c'est la différence entre la psychologie et la
métaphysique.

La métaphysique ne cherche pas des lois, elle veut des raisons singulières. Si on me dit que c'est la
loi du présent et qu'on définit le présent tel que c'est défini dans son contenu qu'il passe, je dis que
ça ne va pas. Je pense au très beau texte de Chestov sur Job et Dieu. Job c'est celui qui a demandé
une réponse de première main à Dieu, puis il n'a pas lâché Dieu. Si on veut une réponse de première
main, est-ce qu'on peut se contenter de la réponse suivante : c'est parce qu'un nouveau présent vient
d'arriver. Non, ça ne vous dit absolument rien. Ca consiste à nous dire à nouveau que le présent
passe, or nous, nous voulons une raison pour laquelle ce présent passe. Si on nous répond que c'est
parce que un nouveau présent vient d'arriver, bien plus c'est si peu satisfaisant qu'il faudrait
renverser la question. Et pourquoi qu'un nouveau présent a-t-il pu arriver ? Je réclame toujours ma
réponse de première main.
Si un présent passe, ça ne peut pas être par après. Si le présent passe, ça ne peut être qu'en même
temps qu'il est présent. C'est une évidence. Le présent passe en tant qu'il est présent. Il passe en
même temps qu'il est présent : en d'autres termes, il se constitue comme passé en même temps qu'il
apparaît comme présent. Vous n'aurez jamais fini de méditer sur cette proposition à laquelle vous ne

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pourrez pas échapper. Selon Bergson, voilà que la réponse de première main approche : il faut bien
que le présent se constitue comme passé en même temps qu'il se donne comme présent. Il ne peut
pas se constituer comme passé une fois qu'il est passé, forcément. Nous n'avons pas le choix, il faut
qu'il y ait stricte contemporanéité entre un passé et le présent qu'il a été ...

Si je pense le passé par rapport au présent qu'il a été, je dois dire que tous les deux sont strictement
contemporains. C'est en même temps que le présent se donne comme présent et se constitue comme
passé. En d'autres termes, il y a contemporanéité entre le passé et le présent qu'il a été. D'où second
schéma splendide de Bergson : ma ligne est supposée droite; je peux parler d'un présent mobile sur
cette ligne, le présent qui passe. Je dirais que, à chaque moment de ce présent, donc je peux le
subdiviser à l'infini, à chaque moment de ce présent être présent c'est se différencier, suivant deux
directions : une tendue vers l'avenir, une autre qui tombe dans le passé. En d'autres termes, il
n'existe de présent que dédoublé. La nature du présent c'est le dédoublement. A chaque instant, le
présent se dédouble en présent qu'il est et passé qu'il a été. En d'autres termes, il y a un souvenir du
présent. Il est déjà là. Il y a coexistence radicale entre le présent qui se présente et le passé qui a été
ce présent. Vous me direz que si ce présent est constamment détourné, comment ça se fait que nous
ne le voyons pas ? La réponse est toute simple : à quoi ça nous servirait ? Ne devient image-
souvenir que ce qui sert à quelque chose, on l'a vu, ce qui sert à orienter nos actions. Seul ce passé
là, seul ce souvenir là, devient image-souvenir. Ca revient à dire qu'il n'y a d'images-souvenir que
par rapport à un nouveau présent.

Mais le souvenir du présent lui-même, c'est à dire cette coexistence du passé avec le présent qu'il a
été, ce dédoublement du présent, à quoi il nous servirait ? Il nous générait énormément. Toute la
ligne de l'action entraîne à suivre ce chemin là, et à refouler, à neutraliser celui-ci, sauf dans
certains cas selon BERGSON. Il y a des cas que l'on avait jamais compris avant lui. Il fallait
découvrir cette nature du redoublement du présent pour comprendre ces expériences que l'on
trouvait bizarres, qui était connues dans la psychiatrie, dans la psychologie, qui étaient connues
partout de tous temps, à savoir la paramnésie, ou le sentiment du déjà vécu. Qu'est-ce que c'est le
sentiment du déjà vécu ? C'est l'expérience qui arrive parfois d'avoir strictement déjà vécu une
scène qui est en train de se faire, qui se présente. Cette expérience est très particulière puisque ce
n'est pas un sentiment de ressemblance, ce n'est pas le sentiment d'avoir vécu quelque chose de
semblable qui ferait appel à une mémoire. D'autre part, ce n'est pas un sentiment localisable, c'est à
dire datable. On l'a vécu dans un passé quelconque. Aussi bien pour la psychiatrie que pour la
psychologie, l'explication de la paramnésie a toujours été très complexe. Bergson nous propose
quelque chose d'absolument simple et il va de soi qu'il pensait à la paramnésie dès le début de sa
conception du dédoublement du présent. Supposez que à la suite d'un raté de la vie, il y a une
défaillance de l'élan vital. L'élan vital c'est donc ce qui nous entraîne sur la ligne d'action et ce qui
nous fait refouler ce qui ne nous est pas utile. Ce qui nous est utile c'est les souvenirs par rapport à
des présents actuels. Mais le souvenir par rapport au présent qu'il a été, le passé par rapport au
présent qu'il a été, ça ne nous est pas utile. Qu'en faire ? Le présent est là, ça suffit déjà, et si on
nous en flanque deux! Supposez qu'il y a un raté du mécanisme d'adaptation à la vie, voilà que va se
faire le paradoxe suivant : puisqu'il y a contemporanéité ou dédoublement du passé et du présent
qu'il a été, supposez certains cas où, au lieu de percevoir mon présent, je perçoive le passé qu'il est
déjà, puisqu'il y a contemporanéité du passé et du présent. Voilà que je me mets non pas à percevoir
la scène comme présente, mais je me mets à la percevoir comme passée. Je perçois l'actuel présent
comme passé, et non pas par rapport à un nouveau présent, je perçois l'actuel présent comme passé
en soi.

Dans ces expériences, je vis perpétuellement le dédoublement du présent et du passé en deux
instances, dédoublement du présent en deux instances, dont l'une est constituée par le présent qui
passe, et dont l'autre est constituée par un passé qui fait passer tous les présents. D'où, à la lettre, le
présent tombe dans le passé, et c'est au moment où il est présent qu'il tombe dans le passé. Si je

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perçois le moment où il tombe dans le passé, je perçois évidemment l'actuel présent comme passé.

La même chose en tant que présent actuellement est comme déjà passée. Le dédoublement du
présent, si le présent se dédouble à chaque instant, pour mon compte, j'appellerais ce dédoublement
un cristal de temps, c'est à dire lorsqu'un présent saisit en soi le passé qu'il a été. Cet espèce de
redoublement du temps dans le dédoublement du présent va constituer un cristal de temps. Et il y
aura plein de petits cristaux de temps, comme ça. Guattari a tout-à-fait raison de dire que les
cristaux de temps ce sont ces ritournelles, c'est ces opérations perpétuelles par lesquelles un présent
se dédouble. Et alors, qu'est-

ce qu'il se passe lorsque j'appréhende, dans un cristal de temps, ce dédoublement du présent ? Ce
qui se passe c'est que je me vis, à la lettre, comme spectateur de moi-même : d'une part, je suis agi,
et d'autre part je me regarde agir. Vous voyez comme nous sommes loin de la formule courante de
"j'agis" qui était celle du plan de matière avec S. "J'agis", c'est à dire je réagis en ayant le choix à
des excitations que je reçois. Là, avec le souvenir du présent, il ne s'agit plus de cela, là le souvenir
du présent avec le passé contemporain du présent qu'il a été, il ne s'agit plus de l'agir, il s'agit d'être
dans la situation du dédoublement qui correspond à ce dédoublement du présent, c'est à dire à la
fois je suis agi et je me regarde agir, et c'est exactement la fonction du cristal de temps. Lorsque je
regarde dans le cristal, il y a exactement la même chose qu'au dehors, mais hors du cristal c'est le
présent et dans le cristal c'est le passé lui-même. Et alors ce n'est plus une image-souvenir, c'est
vraiment ce qu'il faudra appeler un souvenir pur. Un souvenir pur, un souvenir du présent comme
tel, ou bien ça peut remonter à très loin du moment que ça obéit toujours à la règle suivante : ce sera
un passé qui ne sera pas saisi par rapport au présent en fonction duquel il est passé, mais qui sera
saisi par rapport au présent qu'il a été. C'est ça la formule cristalline.

Dans le cinéma, il y a des images-cristal. Ophüls, c'est des purs cristaux de temps qu'il fait. Les
images sont saisies dans de véritables cristaux. Il faudrait voir tous les styles de cristal. C'est une
chose si belle. Fellini aussi a constitué des belles images-cristal, ce n'est pas les mêmes.

Vous avez là ce que je pourrais appeler notre première figure directe du temps. J'ai une image-
temps directe, c'est le dédoublement du présent, c'est à dire la coexistence du passé avec le présent
qu'il a été, ou la saisie du passé dans le cristal. Ce que vous voyez dans une boule de cristal si vous
y mettez un peu de bonne volonté, c'est une fonction de voyance.

Ca va m'être difficile de m'arrêter. Ce n'est pas seulement la coïncidence du présent actuel et du
passé qu'il est déjà. Dans le cristal on peut remonter à condition qu'on saisisse toujours le passé, non
pas par rapport au présent en fonction duquel il est passé, c'est à dire l'actuel présent, mais en
fonction du présent qu'il a été. Qu'est-ce que ça veut dire ça ? Si je reprends, je dis exprès que mon
schéma ne va pas correspondre tout à fait avec le schéma de Bergson pour des raisons uniquement
de simplification. Qu'est-ce que cela ?

A la limite, c'est mon cristal de temps. C'est le présent, là au tableau, et ça c'est le passé qui coexiste
avec lui, c'est à dire que c'est le passé qui coexiste avec le présent qu'il a été. Il y a dédoublement ou
redoublement. Prenez votre scène, vous êtes là, moi vaincu par la maladie, unis dans un même
courage, nous sommes là. C'est, mettons, la ligne P. Ce que nous voyons, c'est cet actuel présent. Ce
que nous avons tout intérêt à nous cacher, c'est que ce présent est déjà passé, et ce présent est déjà
tellement passé qu'il coexiste avec le passé qui a été ce présent. Et là il y a redoublement. Et c'ets au
plus près de la scène parce que nous sommes unis dans une même attention et dans un extrême
effort qui ne laissent aucune pensée étrangère nous traverser. L'un de vous a une seconde
d'inattention, ça lui rappelle quelque chose. Il a un souvenir qui le traverse, une fois où il avait été
aussi mal. Ou bien quelqu'un se dresse, s'évanouit ou dit que c'est insupportable, que ça lui rappelle
un souvenir douloureux, une salle d'un commissariat de police où il fut enfermé avec cinquante
autres personnes, tout le monde étouffant ... C'est cela que j'ai travé au tableau. Et le même ou un

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autre. Ces circuits sont plus ou moins larges, là j'ai décollé de la stricte reduplication du passé et du
présent qu'il a été. Et pourtant, je reste dans la perspective du développement du cristal. Et à chaque
fois, que je pense à ceci ou à cela, par exemple "on dirait un commissariat de police", "on dirait une
salle d'hôpital", etc., à chaque fois, ce n'est pas simplement des métaphores ou des comparaisons,
c'est un aspect de la réalité de plus en plus profond qui m'est dévoilé. Des circuits de pensée qui
pénètrent de plus en plus dans le temps, en même temps que des plus en plus profonds de la réalité
nous sont découverts. Là je suis sorti du simple cristal de temps, c'est le développement du cristal.

Le cristal de temps me donnait pour la première fois une image directe du temps sous la forme du
dédoublement du présent. Là j'ai pour la première fois une figure directe de la pensée, sous la forme
de la complémentarité des niveaux de pensée - j'appelle niveaux de pensée, Bergson dit qu'à chaque
fois je suis obligé de faire un nouveau circuit, et ce ne sont pas des métaphores, chaque fois un
aspect de la réalité de plus en plus profond va surgir. La science de Fellini dans Amarcord où c'est
tellement l'identité du présent avec son propre passé, c'est tellement ce que j'appelle une image-
cristal où un passé est saisi non pas simplement en fonction du présent par rapport auquel il est
passé, mais en fonction du présent qu'il a été. Donc, il ne nous donne pas l'ancien présent, ni non
plus le souvenir par rapport à un nouveau présent, ce que j'appelle un cristal de temps, c'est qu'il
nous donne le passé par rapport au présent que ce passé a été. D'où l'étrange vie où c'est comme si
on voyait la chose à travers une boule de cristal.

Il y a certaines images de Rosselini qui sont typiquement ce schèma là. Il atteint à des images de la
pensée directe. Chez Rosselini, qu'est-ce qui se passe ?

Constamment une pensée mise en demeure de constituer de nouveaux circuits, en fonction de
nouveaux aspects de la réalité à découvrir (...) Cette fois-ci il faudrait parler de circuits de la
pensée, et non plus de cristaux de temps. Et dans les circuits de la pensée, le corrélat de chaque
circuit de la pensée c'est un aspect de la réalité. On a presque fini; revenons au cône. Ma figure I du
cristal est passée dans la figure II du circuit, et maintenant il ne reste plus qu'à faire passer la figure
II du circuit dans une dernière figure, la figure III. C'est évidemment celle du cône. Comment
retrouver sur le cône mes lignes I, II, III et IV ? Faire autant de sections qui ne seront pas des
sections d'images-souvenir, mais qui seront des sections régions du passé ou de la pensée. Là,
j'aurais dans chaque région - Bergson n'aura pas de peine à montrer qu'il y a toute la pensée et tout
le passé. Ce n'est donc pas des images-

souvenir, ce n'est pas de la psychologie! Ce sont des régions d'être et de pensée. Vous voyez
pourquoi ça enchaîne : là, j'avais les aspects de plus en plus profonds de la réalité, là, les circuits les
plus profonds de la pensée. Et bien chacune de ces coupes c'est une région de pensée - être ou d'être
-, pensée. Simplement, suivant la région dans laquelle vous vous installez, tel ou tel aspect
prédomine. Il y a une infinité de coupes puisqu'elles ne préexistent pas; il faut les fabriquer. Chaque
fois vous les fabriquez dans le cône. C'est très mouvant. Il faut mettre tout ça en mouvement. Tout
comme les circuits, ils ne préexistent pas ...


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