1) [...] le nom de romantisme a été introduit nouvellement, pour désigner la poésie, dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme... la question pour nous n'est pas [de distinguer] entre la poésie classique et romantique, mais entre l'imitation de l'une et l'inspiration de l'autre. Je considère ici la poésie classique comme celle des anciens et la poésie romantique comme celle qui tient de quelque manière aux traditions chevaleresques.
2) Il est difficile de dire ce qu'il n'est pas de la poésie ; mais si l'on veut comprendre ce qu'elle est, il faut appeler à son secours les impressions qu'excitent une belle contrée, une musique harmonieuse, le regard d'un objet chéri et, par-dessus tout, un sentiment religieux qui nous fait éprouver en nous-mêmes la présence de la Divinité.
3) C'était une de ces journées d'hiver où le soleil semble éclairer tristement la campagne grisâtre, comme s'il regardait en pitié la terre [...] . Ellénore me proposa de sortir [...]. Nous retombâmes en silence. Le ciel était serein ; mais les arbres étaient sans feuilles ; aucun souffle n'agitait l'air, aucun oiseau ne le traversait ; tout était immobile. Et le seul bruit qui se fit entendre était celui de l'herbe glacée qui se brisait sous nos pas.
4) D'où vient à l'homme la plus durable des jouissances de son coeur, celle volupté de la mélancolie, ce charme plein de secrets, qui le fait vivre de ses douleurs [...] ?
5) Même ici, je n'aime que le soir. L'aurore me plaît un moment ; je crois que je sentirais sa beauté, mais le jour qui va suivre doit être si long ! [...] rien ne m'opprime ici, rien ne me satisfait. Je crois même que l'ennui augmente [...]. Il y a infini entre ce que je suis et ce que j'ai besoin d'être. Je n'ai ni désespoir ni passion [...].
6) On m'accuse d'avoir des goûts inconstants, de ne pouvoir jouir longtemps de la même chimère [...]. Est-ce ma faute, si je trouve partout les bornes, si ce qui est fini n'a pour moi aucune valeur ? [...] La solitude absolue, le spectacle de la nature, me plongèrent bientôt dans un état presque impossible à décrire. [...] il me manquait quelque chose pour remplir l'abîme de mon existence : je descendais dans la valée, je m'élevais sur la montagne [...].
7) Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives que j'éprouvais dans mes promenades ? [...] L'automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j'entrai avec ravissement dans les mois des tempêtes. [...] J'écoutais ses [= du vent] chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays, le chant naturel de l'homme est triste, lors même qu'il exprime le bonheur.
8) Souvent j'ai suivi de mes yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête. [...] j'aurais voulu être sur leurs ailes. Un secret instinct me tourmentait ; je sentais que je n'étais moi-même qu'un voyageur [...]
Une langueur secrète s'emparait de mon corps. Ce dégout de la vie que j'avais ressenti dès mon enfance revenait avec une force nouvelle. [...] je ne m'apercevais de mon existence que par un profond sentiment d'ennui.
9) Je restai près d'une demi-heure à genoux dans la petite chambre du Saint-Sépulcre, les regards attachés sur la pierre sans pouvoir les en arracher. [...] Tout ce que je puis assurer, c'est qu'à la vue de ce sépulcre triomphant je ne sentis que ma faiblesse [...]
10)
Pourquoi n'es-tu pas dans ta maison ? - parce qu'on l'a brulée. - Qui ça ? - Je ne sais pas. Une bataille [...]. - De quel parti es-tu ? - Je ne sais pas.
Etes-vous républicain ? êtes-vous royaliste ? - Je suis un pauvre. - Ni royaliste, ni républicain ? - Je ne crois pas. [...] - Depuis quand mourez-vous de faim ? - Depuis toute ma vie.
Vous voulez la caserne obligatoire. Moi je veux l'école. Vous rêvez l'homme soldat, je rêve l'homme citoyen. Vous le voulez terrible, je le veux pensif. Vous fondez une république de glaives [...]. Je fonderais une république d'esprits.
11) Faire le poème de la conscience humaine, ne fût-ce qu'à propos d'un seul homme, ne fût-ce qu'à propos du plus infime des hommes, ce serait fondre toutes les époques dans une épopées supérieure et définitive.
12) Le mauvais air du cachot devenait insupportable [...] Par bonheur, le jour où on lui annonça qu'il fallait mourir, un beau soleil réjouissait la nature, et [il] était en veine de courage. Marcher au grand air fut pour lui une sensation délicieuse [...]. Allons, tout va bien, se dit-il, je ne manque point de courage.
Jamais cette tête n'avait été aussi poétique qu'au moment où elle allait tomber.
13) - Tout à coup le reflet sortit de la glace, descendit dans la chambre, vient droit à lui [...] lui enleva le dessus de la tête [...] mit le morceau dans sa poche et s'en retourna par où il était venu
- Je venais de comprendre qu'il n'y avait pour moi de bonheur sur la terre .
- [...] il ne fut que le plus singulier des fous
- [...] une grande ruine venait de se faire au-dedans de moi
- [Octavien] poussa un cri terrible et perdit connaissance
14) C'est cette maudite bague [...] qui me serre le doigt et me fait manquer une balle sûre ! [...] il courut à la Vénus, lui passa la bague au doigt annulaire, et repris son poste [...].
je m'approchai du lit et soulevai le corps [...] ; il était déjà raide et froid. [...] On eût dit qu'il avait été étreint dans un cercle de fer. [...] Mon pied posa sur quelque chose de dur qui se trouvait sur le tapis ; je me baissai et vis la bague de diamants.
15) C'est une histoire totalement inventée ; je n'y ai rien ni de mes sentiments, ni de mon existence. L'illusion (s'il y en a une) vient au contraire de l'impersonnalité de l'oeuvre. C'est un de mes principes, qu'il ne faut pas s'écrire. L'artiste doit être dans son oeuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout puissant ; qu'on le sente partout, mais qu'on ne le voie pas. Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien [...]
16) Le romancier est fait d'un observateur et d'un expérimentateur. L'observateur chez lui donne les faits tels qu'il les a observés, pose le point de départ, établit le terrain solide sur lequel vont marcher les personnages et se développer les phénomènes. Puis, l'expérimentateur paraît et ensuite l'expérience, je veux dire fait mouvoir les personnages dans une histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l'exige le déterminisme des phénomènes mises à l'étude. (chap. 1)
17) [...] j'estime que la question d'hérédité a une grande influence dans les manifestations intellectuelles et passionnelles de l'homme. Je donne aussi un eimportance considérable au milieu. [...] l'homme n'est pas seul, il vit dans une société, [...] c'est là ce qui constitue le roman expérimental : posséder le mécanisme des phénomènes chez l'homme, montrer les rouages des manifestations intellectuelles et sensuelles [...] sous les influences de l'hérédité et des circonstances ambiantes, puis montrer l'homme vivant dans le milieu social qu'il produit lui même [...].
18) [...] le réel résulte de la combinaison [...] du sublime et [du] grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la poésie comnplète, est dans l'harmonie des contraires. [...] [...] la muse moderne [...] sentira que que tout dans la création n'est pas humainement « beau », que le laid y existe à coté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l'ombre avec la lumière.
19) Je suis une force qui va ! Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
20) Qui dit romantisme dit art moderne, - c'est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l'infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts.
21)
Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?
22)
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
[...]
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
23)
Partout où j'ai voulu dormir,
Partout où j'ai voulu mourir,
Partout où j'ai touché la terre,
Sur ma route est venu s'asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
LA VISION :
Ami [...]
Où tu vas, j'y serai toujours,
[...]
Ami, je suis la Solitude.
24)
Je m'étais endormi la nuit près de la grève.
Un vent frais m'éveilla, je sortis de mon rêve,
J'ouvris les yeux, je vis l'étoile du matin.
25)
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
26)
Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible [...] le monde des Esprits s'ouvre pour nous.
27)
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
.
28) Je sortais d'un théâtre où tous les soirs je paraissais aux avant-scènes [...]. Indifférent au spectacle de la salle, celui du théâtre ne m'arrêtait guère, - excepté lorsqu'à la seconde ou la troisième scène [...] une apparition bien connue illuminait l'espace vide, rendant la vie d'un souffle et d'un mot à ces vaines figures qui m'entouraient.
29) Rien de ce qui est beau n'est indispensable à la vie. - [...] Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu'aux roses [...] . Il n'y a vraiement de beaux que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid [...] l'endroit le plus utile d'une maison, ce sont les latrines.
30)
Sculpte, lime, ciselle ;
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant.
31)
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.
32) Le thème personnel et ses variations trop répétés ont épuisé l'attention [...] il y a dans l'aveau public des angoisses du coeur et de ses voluptés non moins amères une vanité et une profanation gratuites.
33)
Marbre sacré, vêtu de force et de génie,
Déesse irrésistible au port victorieux,
Pure comme un éclair et comme une harmonie,
O Vénus, ô beauté, blanche mère des Dieux !
34)
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
35)
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.
36)
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
37)
La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
38)
Je ne pourrai plus sortir de cette forêt. - Dieu sait jusqu'où cette bête m'a mené. Je l'ai perdue de vue; je crois que je me suis perdu moi même. Je vais revenir sur mes pas… - J'entends pleurer … Oh ! oh ! qu'il y a t'il là au bord de l'eau ? Une petite fille qui pleure à la fontaine ! (Il tousse) - Elle ne m'entend pas. Je ne vois pas son visage. GOLAUD : Oui ; mais d'où vous êtes-vous enfuie ?
39) J'ai chanté le mal comme ont fait Mickiewickz (sic!), Byron, Milton, Southey, A. de Musset, Baudelaire, etc. [...] C'était quelque chose dans le genre du Manfred de Byron et du Konrad de Mickiewicz, mais cependant bien plus terrible.
40) Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant . Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l'inconnu.
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