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retient l’ane charge de charbon qu’il poussait a coups de trique vers le gourbi accrochć de guingois a la colline. Ses savates a la main, il accourut et baisa le genou du cavalier.n*
En appclant le fellah «mon frere», il manifeste ses liens avec son compatriote, cependant une ligne de demarcation semble les sćparer car Mohammed, bien qu’il soit si proche du fellah, reprćsente 1’ordre des conquerants a qui on doit le respect. Confronte aux colons, toujours loyal, il gardę son identitć d’Arabe et sa foi dans les djinns et dans les sorciers :
Un sorcier de Ratene me vendit d’infaillibles sortileges; il y a dans notre ville quantite de magiciens noueurs d’aiguillettes; j’ai traitć avec eux; en retour de mes aumónes, ils ćcartent de moi leurs regards malefiques. [...] -Que bredouillez-vous-la? s’ćcrie Romaine en se toumant vers son frere. Je n’entends rien a votre baragouinage arabe!119
Cette remarque de Romaine prouve que le degre de difference est toujours haut, malgre les appfcrences assimilationnistes.
Le sous-chapitre suivant intitule «La misere du fellah» est un pretexte pour parler de la pauvrete des indigenes :
Dans un champ herisse d’aretes de schiste, traverse de coulees de pierrailles ferrugineuses, des femmes en guenilles piochetent le sol. Elles lóvent la tete au passage des chevaux, montrent sous leurs turbans maigres semblables a des langes d’enfant dysenterique, des faces ravagees, des yeux eteints, des mufles pitoyables. [...] Nos manitous, dit Jos, celebrent dans leurs palabres officielles la solidarite des interets economiques de 1’Arabe et des Franęais, et, en dessous, travaillent a separer le fellah du colon; en consćquence, nous ballottons entre deux etats de fait: ou ruiner le fellah sans enrichir le colon, ou ruiner le colon au prćjudice du fellah! Diviser pour rćgner est une fiere maxime, mais quand on 1’erige en principe de gouvernement elle a pour resultat la misćre genćrale, le fellah n’est pas mur pour nos institutions : il lui faut un maTtre et un maitre juste.120
La description du malheur des indigenes se situe dans le discours sur la gestion de cette colonie franęaise et sur son avenir politique et ćcono-mique qui intóresse surtout Robert Randau qui próne «la misę en valeur de la colonie» presentee dans le texte par Jos Lavieux. Si Pon donnę la parole aux fellahs, ils se plaignent toujours de Pinjustice qui les touche, ou bien ils veulent negocier avec un colon, comme ce bedouin
1 '* R. Randau, Les Colons, op. cit., p. III.
Ibid., p. 115.
120 Ibid., pp. 116 et 118.