5 UN DEBAT : LES MENTALITES COLLECTIVES 621
Par rapport & ces oppositions typiąuement athćniennes, 1’image de la mort spartiate se construit d’une maniere diyergente. D’abord parce que, ainsi que l’a brillamment demontrć Nicole Loraux, «la belle mort» revet, & Sparte, une signification dćdoublće: intćgrće — niais d’une maniere curieusement hósitante — a 1'ideologie hoplitiąue, elle gardę nćanmoins les traces discordantes d’une tradition hóroique ou la mort apparait comine exploit individuel suprenie19.
Si 1’austeritć des lois attribućes a Lycurgue (et yćrifiees, somme toute, par les rśsultats des fouilles archeologiqucs 2o), qui imposent, 1’absence de tout appareil funćraire — a part le vetement pourpre et les feuilles d’oli-vier, symboles de vertu et de perennitć21—, semble etre le point extreme d’une ideologie somptuaire commune aux citós grecques de cet ńge, Sparte se distingue, nóanmoins, en niettant en jeu des representations qui lui sont propres.
A la solidaritć nuisculine et collective des Athćniens morts ponr la patrie — donc a la guerrc— s’oppose, a Sparte, le fait que les tombes « d’intćret public»— ceux qui sont exceptees de 1’anonymat — sont celles des honimes morts a la guerre et des femmes mortes en couclies 22. L’opposition masculinlfeminin, ainsi que la complementarite guerre/ parturition, sont donc presentes aussi bien & Sparte qu’ailleurs 23 — mais jouent autrement a Sparte, ou elles ne comcident pas avec le couple public/ prit-ć, coninie elles le font & Athenes.
A Athenes, il est vrai, dans les oraisons funebres, les femmes sont mentionnees prćcisćnient cn tant que meres des vaillants citoyens morts pour la patrie — mais d’une maniere si fugitive et si seche qu’elle equi-vaut presque a un silence **. A Athenes aussi, par ailleurs, les femmes en slge d’enfanter sont sćverement eloignees des deuils prives : sauf les parents proches, les femmes au-dessous de soixante ans n’ont pas le droit de parti-ciper aux cćremonies funćraires 25.
Cette opposition fortenient marquee entre la naissance et la mort — entre le monde vivant et celui des defunts, est perceptible, & Athenes, aussi bien dans la syntaxe de 1’espace public — situant les zones funeraires en marge du territoire habitć 20 que dans la syntaxe des fetes — mar-
lf Ead., La « belle mort» spartiate, cit.
20 V. en dcmlcr lleu la synthćse — commodc, bien ąiTasscz sommaire, dc Donna C. Kurtz ct J. Boardman, Greek Burial Customs, Ithaca, N. Y., 1971, 181.
21 Plnt., Lyc., 27. 2.
22 Id., ibid., 27, 3 ; le contraste avcc Athenes est soulignć par Nicole Loraux, Motirir deuant Troie, cit., p. 811 sq.
23 V. J.-P. Vemant, Jntroduction. ProbUmes de la Guerre en Grlce ancienne, Paris—La Hayc, 1967, p. 15 (= Mythe et Soctetć cn Grdce ancienne, Paris, 1974, p. 38); le dótałl de ces corrcspondanccs — et leur asymćtrie caracterisliąne — ont ćtć analysćs dans une excellente 4tudc par Pauline Sclnnitt (Athćna Apatouria ct la ceinturc: les aspects feminins des Apatouries a Athenes. Ann., ESC, 1977, 6, p. 1059-1073).
u Pćriclćs (Thuc., II, 45, 2) ajoutc mCmc qnc la condultc łdćalc des femmes est dc se lairc oublier — V. Nicole Loraux, loc. cit.
26 Demosth., C. Macart., 62.
26 L’cmplacemcnt dn Kcrameikos au-del& des portes dc la citć est aussi connu que carac-tćristiąue — cf. Paus. I, 29,2. Les premiers monuincnts funćralres, au Vcsićcle, s’ćrigent. d'ail-Icurs. au-dela du mur dc Thćmlstoclc : v. en dernier lieu Donna C. Kurtz ct J. Boardinan,
ср. ctt., 108 sq. ct 356. Sur Topposition complćmentairc polts — Kcrameikos v. Nicole Loraux,
сс. cit.
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