Durand J M, Marti L , Chroniques du moyen Euphrate 5 Une attaque de Qatna par le suhum et la question du « pays de Mari »

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CHRONIQUES DU MOYEN-EUPHRATE

5. Une attaque de Qatna par le sûhum et la question du « pays de Mari »

Jean-Marie Durand, Lionel Marti

Presses Universitaires de France |

« Revue d'assyriologie et d'archéologie orientale »

2005/1 Vol. 99 | pages 123 à 132

ISSN 0373-6032
ISBN 2130556282

Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-d-assyriologie-2005-1-page-123.htm

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Pour citer cet article :
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Jean-Marie Durand et Lionel Marti, « Chroniques du Moyen-Euphrate. 5. Une attaque de Qatna
par le sûhum et la question du « pays de Mari » », Revue d'assyriologie et d'archéologie orientale
2005/1 (Vol. 99), p. 123-132.
DOI 10.3917/assy.099.0123

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[RA 99-2005]

123

Revue d'Assyriologie, volume XCIX (2005), p. 123-132

CHRONIQUES DU MOYEN-EUPHRATE

5. UNE ATTAQUE DE QAÎNA PAR LE SÛHUM ET LA QUESTION DU

«PAYS DE MARI∞

PAR

Jean-Marie D

URAND et

Lionel M

ARTI

Les lettres d'Émar ont particulièrement retenu notre attention au musée d'Alep car ce sont des

textes que l'on peut beaucoup moins interpréter par la comparaison des documents analogues et pour les-
quels l'examen direct semble inévitable si l'on veut pouvoir vérifier des conjectures à leur propos.

Nous voudrions ainsi donner aujourd'hui une nouvelle lecture et une réinterprétation de Émar

VI/3 n°263, au terme duquel l'éditeur avait proposé que soit documenté un coup de main depuis le
Sûhum contre la grande Qa†na

1

.

A priori, pourtant, il paraissait étonnant que depuis le Sûhum une attaque fût menée contre cette

très lointaine métropole occidentale. Si cet événement est, de fait, douteux, l'anecdote permet néanmoins
de proposer un nouvel ancrage chronologique dans l'histoire événementielle encore brouillée du grand
port euphratique.

Voici notre relecture de ce document:

a-na lú-ugula kalam-ma

Au surveillant du pays

2

en-ia qí-bi-ma

mon seigneur dis:

um-ma µßi-nem-zu-ri

Ainsi parle fiinenzuru

a)

4

ìr-ka-ma

ton serviteur.

————————————————————
a-na gìr-[meß e]n-ia iß-tu ru-qiß

Aux pieds de mon seigneur depuis loin

6

2-ßú [7-ßú] am-qut

2 fois, 7 fois je suis tombé.

————————————————————
[e-nu-ma it-ti] √a∫-ßà-gán* en-ia

Voici que pour les champs

b)

de mon seigneur

8

[anße-há gu’]-há* udu*-há*

les ânes, les bœufs, les moutons

[gáb-ba dan-n]íß ßul-mu

tout va très bien.

10

[aß-ra-nu] it-ti e[n-ia]

là-bas pour mon seigneur

[mi-nu-me-e] ßul-ma-[nu]

que tout aille bien

12

[†é-ma] li-te-er-[ru-ni]

qu'on m'en apporte la nouvelle!

[ù e-n]u-ma i-na [uru ßa-tap]-pí

Voici qu'à fiatappu

14

a[t-ta]-lak ù [dan-níß]

je suis allé et très bien

ßul-[m]u aß-ßum ° l[ú* kur ú-r]i*

ça va! Au sujet de l'homme d'Ura

16

ß[a]-a-ßú ßa µki-li-{LI}*-ma

que tu sais

c)

il dépend de Kili.

————————————————————

Tr.

ù e-nu-ma

En outre, voici que

18

2 lú ah-la-mu-ú

deux Araméens

Rev. iß-tu kur sú-ú-hi

depuis le Sûhum

1.D. Arnaud, «Emar et Palmyre∞, AAAS 32, 1982, p. 83-88.

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124

JEAN-MARIE DURAND ET LIONEL MARTI

[RA 99

20

it-tal-ku-ni [a]-kán-na

sont venus; tel est le récit

i-dáb-bu-bu

qu'ils font:

22

ma-a °-kìn kur sú-ú-hi

«Le Prince

d)

du Sûhum

qa-du giß-gigir-meß-ßú erinÏ-meß-ßú

avec ses chars, ses soldats

24

kur ma¡*-*√‹∫* dan°-níß

le «pays de Mari

e)

∞ avec vigueur

ih-ta-bat-°[m]i ù egir-ki

il a agressé.∞ En outre, postérieurement à

26

a-ma-ti [an-n]i-ti

cette action

mi-nu-me-[e ßal-l]a-tu’

tout le butin

28

ßa iß-[lu]-lu-ni

qu'ils ont pillé

a-na [muh-hi] en-ia a-ßap-par

je l'écrirai chez mon seigneur.

————————————————————

30

a-na µa-hi-ma-lik dumu-ia

À Ahî-malik, mon fils,

qí- bi- ma

dis:

32

um-ma µßi-nem-zu-ri

ainsi parle fiinenzuru.

————————————————————
e-nu-ma it-ti-ia ßul-mu

Voici que pour moi ça va.

34

aß-ra-nu it-ti lú-ugula kalam-ma

Là-bas chez le surveillant du pays

it-ti-ka mi-nu-me-e

pour toi que tout

Tr.36 ßul-ma-nu †é-ma

aille bien que la nouvelle

li-te-er-ru-ni

on m'en apporte!

————————————————————

C.38 aß-ßumßa-a-ßú ßa k[ur]* √ú∫*-ri

Au sujet de cet homme que tu sais du pays d'Ura

ßa táq-ba-a e-n[u-ma] i-na é µ*ki-li

dont tu m'as parlé, voici chez Kili

f)

40

at-ta-b[a-a]k-ß[ú ù e-nu-ma] a∫-na µiß-bi-∂k[ur] je

l'ai amené. En outre, maintenant à Ißbi-Dagan,

√dumu∫* a*-[ hi-ia qí-bi-ma lu]-ú* ßul-mu

fils de mon frère, dis: «Salut!

g)

a)

Le NP fait problème: D. Arnaud a lu ßi-ni»-Ωú-ri, y voyant donc en second terme Ωûrî «mon roc∞;

R. Pruzsinszky2, «Sîn ist mein Fels∞. Une base ßi-ni- d'initiale de NP est mentionnée depuis les textes de
Mari, comme le montrent les variantes de fiina-damqâ selon ARM XVI et d'autres inédits [*ßi-ni-ad-ri de ARM
XVI doit être lu ßi-tap*-ßa*-ri (avec son parallèle ßi-in-tap-ßar-ri)]. Cela montre l'alternance de ßina et ßini,
laquelle n'est connue pourtant des dictionnaires que comme un trait de langue récente (NB, aramaïsme?). Que
cet élément signifie «Deux∞ (cf. Ilân-Ωûrâ avec les «Deux Dieux∞ explicités) avec accord au duel ou
«Elles∞, la référence à Sîn paraît oiseuse. Cependant la finale en -i pose problème et la transcription en NI» de
NIN pour ce NP hapax aurait dû être légitimée. On peut donc se demander si une lecture ßi-NIM-zu-ri compor-
tant la variante d'une base /ßinen-/ bien attestée dans l'onomastique de Mari (ßi-né-en-ßa-li) n'est pas plutôt à
envisager; NIM = nen≈. Le NP ne serait pas sémitique mais hourrite.

b)

La graphie √a∫-ßà-gán ne fait pas de problème (cf. la graphie de G‰N, l. 20 contre É, l. 39) mais nous

n'en connaissons pas de parallèle; ce serait un remplacement du a-ßà-a-gàr très bien connu à l'époque paléo-
babylonienne.

l. 20: G‰N

l. 39: É

c)

Pour cet emploi du démonstratif, cf. LAPO 18, p. 543, s. n.

d)

Le texte porte très nettement ZA-kìn; il n'y a pas lieu de le corriger en ßá¡-kìn comme RGTC 12/2, p.

242. Un terme sakinnu doit certainement être recherché ici et indiquer la prononciation authentique du titre de
l'individu.

e)

La lecture kur Qa-at-na est clairement impossible (cf. qa l. 23 et at l. 40):

l.24

l.24

f)

Le NP Kili est répété deux fois dans ce texte. Il n'est pas question de retrouver ici le Kili-fiarruma

bien attesté à Emar, ne serait-ce que parce que le ∂ nécessaire pour marquer le dieu fiarruma n'existe pas. Si la

2.R. Pruzsinszky, Die Personennamen der Texte aus Emar, SCCNH 13, 2003, p. 753, avec renvoi pour

fiîn = Sîn, ibid., p. 198, n. 473 à Zadok, «Notes on the West Semitic Material from Emar∞, AION 51, 1991, p.
133.

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2005

UNE ATTAQUE DE QAÎNA PAR LE SÛHUM ET LA QUESTION DU «PAYS DE MARI∞

125

restauration de fiatappu est réelle à cet endroit, comme c'est possible, Kili y serait le représentant de l'autorité à
qui le coupable a été confié.

g)

Mauvais découpage des lignes par l'éditeur qui n'a pas vu que la l. 40 «ondulait∞. Pour un

phénomène de salutation multiple sur une même tablette, cf. Émar VI/3 n°266 où la lettre «à mon seigneur∞
est suivie de 3 autres adresses.

1. La question de Qa†na

La plupart des commentateurs ont remarqué l'importance du présent document qui donnerait de

précieuses informations sur la situation politique internationale à la fin d'Émar, à une période peu docu-
mentée. Telle serait cette attaque du gouverneur du pays de Sûhum contre Qa†na, qui en a cependant
laissé plusieurs dubitatifs. Le débat s'est orienté dans deux directions: s'agissait-il de Qa†na (Tell
Mishrifeh)

3

ou de la Qa†ni homonyme sur le Habur

4

.

D. Arnaud y voyait une manœuvre de haute stratégie: «Profitant de l'effacement égyptien et des

incertitudes hittites, le préfet du Suhi a-t-il voulu s'ouvrir de vive force un débouché vers la mer, prenant
à son compte, somme toute, la politique traditionnelle de l'Amurru, pour détourner à son profit la tota-
lité du trafic entre la Babylonie et le reste du Proche-Orient

5

?∞ J.-M. Durand lui-même s'y est laissé

prendre

6

, frappé par l'importance du document pour attester les voies de circulations et l'utilisation de la

route du désert à l'époque moyenne, comme elle l'était déjà à l'âge de Mari. Ce qui allait cependant
contre la vision des choses de D. Arnaud était l'inexistence d'un commerce par l'Euphrate qui aurait relié
Babylone à l'Occident!

D'autre part, cela reposait la question de la date de la destruction de Qa†na, ville que l'on ne s'at-

tend plus à trouver attestée encore à cette époque: ainsi depuis le comte du Mesnil du Buisson

7

attribuait-on à Suppiluliuma Ier ou à son époque la destruction de la grande ville

8

. T. Richter laisse ou-

verte la question de la date de la destruction de la ville, indiquant que cela dépend en fait de la façon
dont Idadda a pu monter sur le trône

9

.

La proposition de G. Bunnens de retrouver ici la Qa†ni assyrienne du Habur, l'ancienne Qa††unân

de l'époque de Mari

10

était bien plus raisonnable: évitant les problèmes de la datation de la fin de l'oc-

cupation moyenne de Qa†na, elle réduisait une expédition lointaine à un coup de main local.

M. R. Adamthwaite préfère pour des raisons de géopolitique qu'il s'agisse de Tell Mishrifeh

11

.

Néanmoins cette opinion ne fait pas l'unanimité, notamment parmi les fouilleurs de Qa†na qui
considèrent que la situation est confuse

12

.

3.D. Arnaud, «Emar et Palmyre∞, AAAS 32, 1982, p. 84; RGTC 12/2, p. 226; M. R. Adamthwaite, Late

Hittite Emar. The Chronology, Synchronisms, and Socio-Political Aspects of a Late Bronze Age Fortress
Town
, ANES Sup. 8, Louvain, 2001, p. 276.

4.G. Bunnens, «Emar on the Euphrates in the 13th century B.C. Some Thoughts About Newly

Published Cuneiform Texts∞, Abr-Nahrain 27, 1989, p. 34.

5.D. Arnaud, «Emar et Palmyre∞, AAAS 32, 1982, p. 84.
6.J.-M. Durand, «compte rendu de D. Arnaud, Recherches au pays d'Astata, Emar VI, Textes sumériens

et akkadiens∞, RA 84, 1990, p. 78.

7.R. du Mesnil du Buisson, Le Site archéologique de Mishrifé-Qa†na, Paris, 1935, p. 33-36.
8.H. Klengel, Syria, 3000 BC - 300 BC, A Handbook of Political History, Berlin, 1992, p. 156-157; id.,

«Qatna, ein historischer Überblick∞, MDOG 132, 2000, p. 248-249, ainsi que J. Freu, «Les guerres syriennes de
Suppiluliuma et la fin de l'ère amarnienne∞, Hethitica 11, 1992, p. 94-95.

9.T. Richter, «Qa†na in the Late Bronze Age. Preliminary Remarks∞, SCCNH 15, 2005, p. 126. Pour un

résumé de l'histoire de Qa†na on se reportera notamment à H. Klengel, «Qatna, ein historischer Überblick∞,
MDOG 132, 2000, p. 239-251.

10.G. Bunnens, «Emar on the Euphrates in the 13th Century B. C.∞, Abr-Nahrain 27, 1989, p. 34.
11.M. R. Adamthwaite, «Ethnic Movements in the Thirteenth Century B.C. as Discernible from the

Emar Texts∞, G. Bunnens (éd.), Cultural Interaction in the Ancient Near East. Papers Read at a Symposium
Held at the University of Melbourne, Department of Classics and Archaeology (23-30 Septembre 1994)
, Abr-
Nahrain Suppl.
5, Louvain, 1996, p. 94-97. Opinion reprise sans grand changement dans M. R. Adamthwaite,
Late Hittite Emar. The Chronology, Synchronisms, and Socio-Political Aspects of a Late Bronze Age Fortress
Town
, ANES Sup. 8, Louvain, 2001, p. 275-278.

12.M. Novák et P. Pfälzner, «Excavations in the Western Part of the Bronze Age Palace (Operation G),

M. Al-Maqdissi, M. Luciani, D. Morandi Bonacossi, M. Novák, P. Pfälzner (éds.), Excavating Qatna 1, Damas,
2002, p. 73 n. 122, et T. Richter, «Qa†na in the Late Bronze Age. Preliminary Remarks∞, SCCNH 15, 2005, p.
126.

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126

JEAN-MARIE DURAND ET LIONEL MARTI

[RA 99

2. Les protagonistes du texte d'Emar

Pour ce qui est de dater le texte les seuls éléments à disposition sont à chercher dans l'onomas-

tique.

a) Le Kili-fiarruma de l'édition, en fait, n'existe pas dans le texte; il n'est que Kili, et cela est

un nom trop banal. Il semble, d'autre part, extérieur au monde même d'Émar et avoir vécu à fiatappu.

b) Ahî-malik est plus intéressant: dans Émar VI/3 n°263, il fait partie manifestement du monde

du fonctionnaire hittite, l'ugula kalam-ma, mais il n'en est certainement qu'un subordonné; dans la
première partie du document, on écrit à l'ugula kalam-ma en s'en disant le serviteur et, dans le second
registre, on s'adresse à quelqu'un qui est, dès lors, appelé «fils∞ de l'envoyeur. Il s'agit, en fait, là
d'une coutume bien attestée depuis Mari où l'on trouve couramment des missives adressées au tandem
formé par le «roi∞ et son «ministre∞; un lecteur de la correspondance de Mari remarque avec intérêt que
le message pour Ahî-malik ne fait que rédupliquer pour l'essentiel l'information donnée au haut fonc-
tionnaire. Pour Ugarit, cf. en dernier lieu, les deux lettres parallèles échangées entre Hittites et gens
d'Ugarit

13

.

À l'époque moyenne, ce système de double envoi va plus loin: il se constitue en effet alors le

concept de «lettre double∞, où sur le texte où l'on s'adresse à quelqu'un, peut se trouver un codicille
pour un tiers, surtout s'il est chargé de lire la correspondance

14

.

Le fait qu'Ahî-Malik, qui pourrait dès lors être le secrétaire de l'ugula kalam-ma, porte un nom

propre sémitique doit être une indication que le haut fonctionnaire lui-même ne devait ni parler, ni lire
l'akkadien. En revanche on devine la haute position de fiinenzuru, apparemment un envoyé/ intendant de
l'ugula kalam-ma. Il ne faut donc pas trouver dans ce texte une vraie filiation, malgré R. Pruzsinszky

15

.

En revanche, le troisième destinataire, un certain Ißbi-Dagan, n'a droit qu'à une simple formule

de politesse. Si notre restitution est bonne, c'est un simple parent (neveu) salué à l'occasion.

Cet Ahî-malik a, en outre, de bonnes chances d'être celui qui se retrouve qualifié lui-même

d'ugula kalam-ma à la fin de l'époque (cf. CM 13 n°2)

16

. Le fait qu'un sémite arrive à un tel poste ne

doit pas montrer que «quelque chose a changé à Carkémish∞ comme le propose Di Filippo

17

mais sim-

plement une promotion interne dans les services impériaux. Il semble d'ailleurs qu'Ahî-malik ne soit pas
arrivé sans difficulté à cette haute fonction puisque l'on voit (CM 13 n°2) qu'au début il a dû recourir au
sceau au nom de son prédécesseur.

Il faut en conclure qu'Ahî-Malik, dans Émar VI/3 n°263, n'en est qu'à un moment du tout

début de sa carrière. Par déduction, l'attaque du Sûhum dont parle la lettre n'est pas de la fin d'Émar

18

.

3. L'intégration à l'histoire d'Émar

J.-M. Durand a déjà proposé

19

que Émar VI/3 n°536 soit du moment où Kaßtiliyaß IV menaçait

l'Euphrate alors que Tukultî-Ninurta I

er

réglait les affaires du Nord-Ouest.

Nous pensons que notre document doit être également à attribuer à la période d'Émar contempo-

raine du règne de Tukultî-Ninurta et deux possibilités s'offrent à nous.

13.F. Malbran-Labat et S. Lackenbacher, «Un autre “Grand-Scribe"∞, NABU 2005/10; F. Malbran-Labat

et S. Lackenbacher, «Penti-fiarruma (suite)∞, NABU 2005/90.

14.Dans la correspondance privée de l'époque de Mari, on peut déjà trouver sur la même tablette deux

lettres en fait indépendantes, comme le montre ARM X 141 = LAPO 18 156. Voir aussi à Shemshara la lettre ShA
1 37+56, ainsi que 64 (pour cette dernière, cf. D. Charpin, RA 98, 2004, p. 177).

15.R. Pruzsinszky, Die Personennamen der Texte aus Emar, SCCNH 13, 2003, p. 93.
16.J. Goodnick Westenholz, Cuneiform Inscriptions in the Collection of the Bible Lands Museum

Jerusalem. The Emar Tablets, CM 13, Groningen, 2000, p. 5-9.

17.F. Di Filipo, «Notes on the Chronology of Emar Legal Tablets∞, SMEA 46, 2004, p. 185.
18.J. Freu, «La fin d'Ugarit et de l'Empire hittite. Données nouvelles et chronologiques∞, Semitica 48,

1999, p. 21, arrivait à la même conclusion, pour des raisons contextuelles.

19.J.-M. Durand, «Chronique du Moyen-Euphrate 2. Relecture de documents d'Ekalte, Emar et Tuttul,

Les documents historiques d'Émar∞, RA 97, 2003 [2005], p. 152-160, notamment p. 159.

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2005

UNE ATTAQUE DE QAÎNA PAR LE SÛHUM ET LA QUESTION DU «PAYS DE MARI∞

127

(a)

L'événement peut être postérieur à la période des victoires assyriennes, et dater du recul assy-

rien. En effet, après leurs succès initiaux, les Assyriens perdirent progressivement le contrôle de la
Babylonie

20

et l'Assyrie a pu être attaquée par le Sûhum dans ses possessions du Moyen-Habur.

La restitution proposée par B. Cifola de cette perte progressive et son nouveau classement des

inscriptions de Tukultî-Ninurta posent certains problèmes chronologiques: elle considère ainsi que les
textes RIMA 1, A.0.78.6 et A.0.78.18 appartiennent à la dernière phase

21

, lorsque la Babylonie est de

nouveau indépendante, alors que RIMA 1, A.0.78.6 est de l'éponyme Ina-Aßßur-ßumî-aΩbat qui corres-
pond à la victoire assyrienne sur Kaßtiliaß IV

22

. La ville de Terqa est d'ailleurs sous domination assy-

rienne lors de cet éponyme

23

. Un autre texte de Tell Ashara montre qu'elle l'était déjà au moins depuis

le lîmu de Lîbûr-zânin-Aßßur

24

. Tukultî-Ninurta I

er

indique d'ailleurs dans une de ses inscriptions avoir

placé sous une même autorité de nombreux pays dont les pays de «Mari∞, Hana et Rapiqum

25

.

(b)

À la réflexion, une autre solution s'est présentée à nous à la relecture d'une lettre d'un roi as-

syrien, certainement Tukultî-Ninurta I

er

, à un souverain hittite, sans doute Suppiluliuma II.

KBo XXVIII 61-64 est daté du lîmu Ili-pada

26

et, de ce fait, doit avoir été écrit à la fin du

règne de Tukultî-Ninurta I

er27

. Ses derniers éditeurs, C. Mora et M. Giorgieri, supposent que la mention

répétée d'un ìr ßa kur su-hi y désigne d'une façon péjorative le gouverneur du pays de Sûhum

28

. Tous

les éditeurs du texte se sont assurément heurtés à de grandes difficultés. Réservant la reprise systématique
du document à une étude plus ample, nous nous limiterons aujourd'hui à une vue d'ensemble du docu-
ment qui en permette la reconstruction.

Le ardu ßa mât Sûhi qui revient à plusieurs reprises signifierait, de façon plus simple que ne

l'ont prise nos devanciers, «le serviteur de qui relève/relevait le Sûhum∞, soit le gouverneur cassite

20.On se reportera en dernier lieu à l'étude de B. Cifola, «The Titles of Tukulti-Ninurta I after the

Babylonian Campaign: A Re-evaluation∞, in G. Frame (éd.), From the Upper Sea to the Lower Sea, Mélanges A.
K. Grayson
, PIHANS 101, Leyde, 2004, p. 7-15, qui propose d'affiner la chronologie des inscriptions royales
de Tukultî-Ninurta I

er

en fonction de la guerre contre la Babylonie, suivant ainsi les remarques de M. Liverani,

Prestige and Interest. International Relations in the Near East ca. 1600-1100 BC, HANE/S 1, Padoue, p. 48-49,
basées notamment sur l'interprétation de la liste royale A et de la chronique P de J. A. Brinkman, Materials and
Studies for Kassite History
Vol. I. A Catalogue of Cuneiform Sources Pertaining to Specific Monarchs of the
Kassite Dynasty, Chicago, 1976, p. 18-20 et 313-317.

21.B. Cifola, «The Titles of Tukulti-Ninurta I after the Babylonian Campaign: A Re-evaluation∞, dans

G. Frame (éd.), From the Upper Sea to the Lower Sea, Mélanges A. K. Grayson, PIHANS 101, Leyde, 2004, p. 14.
Le second texte, RIMA 1, A.0.78.18 daté du lîmu Aßßur-bêl-ilâni est bien de la fin du règne; cf. H. Freydank,
Beiträge zur mittelassyrischen Chronologie und Geschichte, SGKAO 21, 1991, p. 43.

22.E. Cancik-Kirschbaum, Die mittelassyrischen Briefe aus Tall fiê⁄ ∑amad, BATSH 4, Berlin, 1996, p.

14-18.

23.E. Cancik-Kirschbaum, op. cit., texte 2. M. Luciani, «On Assyrian Frontiers and the Middle

Euphrates∞, SAAB 13, 1999-2001, p. 98 indique que la Terqa mentionnée dans le texte ne peut être celle de
l'Euphrate et qu'il faut la chercher sur le Bas-Balih. J.-M. Durand préfère l'identification à la Terqa de
l'Euphrate, RA 97, 2003, p. 158-159, n. 86, en référence aux relectures de D. Charpin, «Chroniques du Moyen-
Euphrate, 1. Le “royaume de Hana": Texte et histoire∞, RA 96, 2002, p. 92.

24.A. H. Podany, The Land of Hana. Kings, Chronology, and Scribal Tradition, Bethesda, 2002, texte

17, p. 151-153. M. Luciani, op. cit., p. 99, remarque que l'adoption du système de datation par lîmu n'est pas un
indice de contrôle politique assyrien en citant les remarques, pour l'époque paléo-babylonienne, de D. Charpin
et J.-M. Durand, «Assur avant l'Assyrie∞, M A R I 8, 1997, p. 376, ce qui est vrai pour l'époque paléo-
babylonienne lorsqu'Aßßur n'existait pas en tant qu'entité territoriale forte. Néanmoins, avec la naissance du
royaume médio-assyrien, la datation par éponymes peut être un marqueur de domination assyrienne. De plus,
les inscriptions royales de Tukultî-Ninurta I

er

montrent bien que les Assyriens ont alors exercé un contrôle

temporaire sur cette région.

25.A. K. Grayson, RIMA 1, A.0.78.23, l. 69-84. Ce texte daterait selon B. Cifola, op. cit., p. 14, de

l'époque d'après la perte de contrôle du Sud par les Assyriens.

26.Pour la datation de ce lîmu à la fin du règne de Tukultî-Ninurta I

er

, voir H. Freydank, Beiträge zur

mittelassyrischen Chronologie und Geschichte, S G K A O 21, 1991, p. 141 et E. Cancik-Kirschbaum,
«Nebenlinien des assyrischen Königshauses in der 2. Hälfte des 2. Jts. v. Chr.∞, AoF 26, 1999, p. 219-222.

27.Pour cette lettre très difficile et très abîmée, voir en dernier lieu C. Mora et M. Giorgieri, Le Lettere

tra i re ittiti e i re assiri ritrovate a Hattußa, Padoue, 2004, p. 113-127. Les auteurs suivent, pour cette lettre,
la plupart des interprétations de H. Freydank, «Zum mittelassyrischen Königsbrief KBo XXVIII 61-64∞, AoF
18, 1991, p. 23-31. Ces auteurs pensent qu'il s'agit certainement de l'empereur hittite Supiluliuma II; s'il ne
s'agit pas d'Arnuwanda III, il faut penser à un événement de la première partie du règne de Supiluliuma II.

28.C. Mora et M. Giorgieri, op. cit., p. 115.

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128

JEAN-MARIE DURAND ET LIONEL MARTI

[RA 99

dépendant de Babylone. Ce dernier ne serait autre que le futur Kaßtiliyaß IV qui aurait mis fin par la vio-
lence

29

au règne de fiagarakti-fiuriyaß. Ces événements auraient été rappelés au roi assyrien par quelqu'un

qui lui fait un historique des événements:

KBo XXVIII 61: 12': «Tuthaliyas (IV) [et toi, ses frères, lorsque] la postérité de fiagarakti-fiuriyaß, le

serviteur de qui relevait le Sûhum [a mis un terme à son existence, ni l'un ni l'autre], vous n'avez rien dit!∞

Ce passage doit raconter l'acte même de l'usurpation. La suite du texte commémore les traités

de bonne entente entre au moins l'Assyrie et la Babylonie:

«Et pourtant, il est indéniable que fiagarakti-fiuriyaß, lorsqu'il était sur son trône t'a écrit en termes

fraternels30…∞

Le texte reproche à nouveau son silence au roi d'Assyrie, en précisant que «[le serviteur dont re-

levait le Sûhu] «s'est emparé de mon trône∞; cela indique sans doute celui qui parle: c'est l'héritier
légitime de Babylone qui reproche au «frère∞ du Nord de ne pas être venu au secours

31

. Dès lors, tout

le début (l. 1'-11') s'éclaire comme un rappel historique de ce qu'avaient dû être les bons rapports entre
les deux États depuis les origines de la dynastie cassite (l. 4': ißtu Kuri[galzu]) jusqu'au père de
fiagarakti-fiuriyaß (Kudur-Enlil).

On peut dès lors inférer que tout cet échange entre le prince légitime de Babylone et le roi d'As-

syrie représente le sujet de la lettre qu'à la fin de son règne Tukultî-Ninurta I

er

envoie au roi hittite, vrai-

semblablement Suppiluliuma II comme cela a été généralement suggéré; l'Assyrien devait légitimer de la
sorte son intervention contre Kaßtiliyaß, par le fait qu'il s'agissait d'un imposteur et qu'il avait été en fait
appelé à l'aide, sans doute en fonction de ces pactes de bonne entraide qu'on se jurait à l'époque
moyenne entre cours, fidélité à laquelle avaient failli à un moment crucial tant Assyriens que Hittites.

— Une lettre retrouvée à Ugarit (campagne de 1994) d'Ini-Teßub de Carkémish à fiagarakti-

fiuriaß de Babylone montre que le pays de Sûhum était effectivement à cette époque connu pour son agi-
tation, menaçant la sécurité des routes menant à Babylone

32

. J. Freu proposait dès lors que Émar VI/3

n°263 fût contemporain de KBo XXVIII 61-64

33

puisque les attaques mentionnées partaient du Sûhum.

— Dans un tel contexte, s'offre une possibilité de placer l'attaque contre Îâbete (cf. infra) dont

parle Emar VI/3 n°263. Si l'on suppose que Kaßtiliyaß (IV) était l'ancien gouverneur du Sûhum,
l'opération dont parle le texte d'Émar trouverait assez bien sa place au moment où Tukultî-Ninurta I

er

,

ayant fait captif le roi de Babylone, sans que la capitale soit prise, remonte vers le Nord. La seule
possibilité de contre-attaquer qui s'offrait aux Cassites était bien de s'en prendre à Îâbete pour couper les
relations entre l'Assyrie et le grand centre de Dûr-Katlimmu. Cela pourrait expliquer cette visite (peu
compréhensible en elle-même) de Tukultî-Ninurta dans la région du Moyen-Habur jusqu'à Dûr-Katlimmu
dans l'éponymat qui vit le triomphe sur les armées cassites

34

, durant laquelle il eut la compagnie de

29.L. 10': «quelqu'un qui n'était pas le fils de Kudur-Enlil∞; la l. 8' indiquerait que l'usurpateur est

«monté∞ depuis le pays du Sûhum.

30.Lisant: ßum-ma µßa-ga-[rak-ti-ßu-ri-ia-ás ina giß-gu-za… uß]-ßab a-na ugu-ka a-na ßeß-ut-ta, la-a

i-ßap-[pár = «(Que je meure) si NP était assis sur le trône et ne t'envoyait pas de salut…∞.

31.Aux l. 17'-18' du premier fragment, il semble dit que l'usurpateur a capturé vivant le roi de

Babylone (NP aha-ka bala†, iΩbassu); nous ne croyons pas à une traduction «tuo fratello è vivo∞ pour
laquelle une forme bali† serait meilleure, sans compter les difficultés inhérentes à une survie du monarque
babylonien! Il faut sans doute chercher le sort tragique du prisonnier dans les lignes qui suivent, ce qui doit
être repris par ana abete annîte.

32.F. Malbran-Labat, «Les archives de la maison d'Ourtenu. Les textes akkadiens∞ CRAIBL 1995, p.

405-406; ead., «La découverte épigraphique de 1994 à Ougarit (les textes akkadiens)∞, SMEA 36, 1995, p.
107, mais surtout p. 111. Nous doutons que cette lettre à fiagarakti-fiuriyaß ait été archivée à Ougarit comme le
pense F. Malbran-Labat. Ce pourrait être plutôt un indice qu'elle n'a pas pu parvenir à son destinataire parce
qu'il avait perdu la vie entre-temps.

33.J. Freu, «De la confrontation à l'entente cordiale: les relations assyro-hittites à la fin de l'âge du

Bronze (ca. 1250-1180 av. J.C.)∞, G. Beckman, R. Beal, G. McMahon (éds.), Hittite Studies in Honor of Harry A.
Hoffner Jr
, Winona Lake, 2003, p. 116 et J. Freu, «La fin d'Ugarit et de l'Empire hittite. Données nouvelles et
chronologique∞, Semitica 48, 1999, p. 21.

34.Cf. E. Cancik-Kirschbaum, op. cit., p. 16-17 à propos de l'éponymat de Ina-Aßßur-ßumî-aΩbat. La

citation du texte DeZ 4022 qu'elle fait ibid., p. 16, d'un déplacement du roi à Dûr-Addu nous reste, faute de
contexte, énigmatique, mais il pourrait s'agir du même Dûr-Addu que la localité babylonienne d'où a été
apparemment rapporté le petit monument cassite édité récemment par Ö. Tunca, NABU 2005/86. Le texte

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2005

UNE ATTAQUE DE QAÎNA PAR LE SÛHUM ET LA QUESTION DU «PAYS DE MARI∞

129

Kaßtiliyaß, alors son prisonnier

35

, accompagné de son épouse et de ses serviteurs

36

; on y voit le captif

traité en roi. Tukultî-Ninurta peut avoir à ce moment là tenté d'amener celui qui était alors le prince
«légal∞ de Babylone à lui faire acte d'allégeance volontaire pour pouvoir le renvoyer comme vassal sur
le trône de Babylonie, ce qui, apparemment, n'a pas marché.

Plutôt qu'une «visite∞ il faudrait ainsi voir dans ce déplacement une contre-offensive, ou une

réaffirmation de la puissance assyrienne sur le Habur pour montrer à son illustre prisonnier la force de
l'Assyrie et combien peu il avait à attendre d'une politique de résistance.

4. La localisation du «pays de Mari∞

Le document permet de reprendre à frais nouveaux le problème de la localisation du pays de

Mari, et par là même de repenser le «souvenir de la Mari de Zimrî-Lîm∞ aux époques postérieures.

a) Localisation de l'attaque

La mention du toponyme «Mari∞ dans ce contexte pose bien évidemment le problème de son

identification. La Mari qui se trouve au Tell Hariri semble être naturellement exclue, puisque l'occupa-
tion de ce tell à l'époque est archéologiquement peu représentée

37

. De plus comme le remarque S.

Maul

38

, une inscription de Tukultî-Ninurta I

er

(RIMA 1, A.0.78.23, 69) place le «pays de Mari∞ avant

le pays de Hana et de Rapiqum. Nous savons grâce aux travaux de ce savant qu'il existait à l'époque un
«pays de Mari∞, bien plus au nord, autour de Îâbete. L'attaque a donc porté sur un territoire
d'obédience assyrienne.

b) La route

L'attaque menée par le Sûhum n'a pu que suivre la route bien connue à l'époque de Mari, telle

qu'elle nous est documentée, par exemple, dans une lettre d'Aßmad

39

, une des autorités bensim'alites

40

,

à Zimrî-Lîm, lui demandant l'autorisation de piller les troupeaux d'Ißme-Dagan du Sûhum, en utilisant
depuis la Djéziré du Nord-Ouest la route de la steppe passant par le Murdî (Ouest du Sindjar), le cours
du Habur jusqu'à Qa††unân et, de là, la route de la steppe jusqu'à Yabliya

41

. Nous voyons de même au

donnerait dès lors la date du coup de main sur la Babylonie, à condition bien sûr que Dûr-Addu ne désigne pas
une localité du Habur.

35.On trouve le texte dans l'ouvrage d'Eva Cancik-Kirschbaum, Die mittelassyrischen Briefe aus Tall

fi™⁄-Hamad, 1996, n°10, p. 147 sq. Cette lettre d'Aßßur-tappûtî à Aßßur-iddin annonce la visite du roi assyrien
accompagné de sa cour ainsi que du roi cassite, de l'épouse de ce dernier et des gens de sa cour.

36.À la ligne 30-31, on parle des «grands, tous, aussi bien les nôtres que Cassites∞.
37.Voir J.-C. Margueron, Mari, métropole de l'Euphrate au IIIe et au début du IIe millénaire av. J.-C.,

Paris, 2004, p. 526-536 et les remarques de D. Charpin. «Chroniques du Moyen-Euphrate, 1. Le “royaume de
Hana": Texte et histoire∞, RA 96, 2002, p. 67 et le rappel par J.-M. Durand et L. Marti, «Chroniques du Moyen-
Euphrate 2.∞, RA 97, 2003, p.159, que la soi-disant poterie médio-assyrienne retrouvée au Tell Hariri est en fait
de facture cassite.

38.S. Maul, Die Inschriften von Tall Bderi, BBVOT 2, Berlin, 1992, p. 53.
39.Voir J.-M. Durand, Le Culte des pierres et les monuments commémoratifs en Syrie amorrite, FM VIII,

Paris, 2005, texte 43 [A.2470+M.6664], p. 150-153.

40.Pour ce personnage, on se reportera à la bibliographie réunie par J.-M. Durand et M. Guichard, «Les

rituels de Mari∞, FM III, Paris, 1997, p. 33 n. 80, ainsi que J.-M. Durand, «Peuplement et sociétés à l'époque
amorrite (I). Les clans bensim'alites∞, C. Nicolle (éd.), Nomades et sédentaires dans le Proche-Orient ancien,
CRRAI
46, Amurru 3, Paris, 2004, p. 117 et p. 156.

41.Pour cette route voir les commentaires de J.-M. Durand, «Peuplement et sociétés à l'époque amorrite

(I)…, p. 141-142, et J.-M. Durand, Le Culte des pierres et les monuments commémoratifs en Syrie amorrite…, p.
153 n. e). On se reportera de façon générale pour les routes à l'époque de Mari à F. Joannès, «Routes et voies de
communication dans les archives de Mari∞, J.-M. Durand (éd.), Mari, Ebla, et les Hourrites dix ans de travaux,
Amurru 1, Paris, 1996, p. 340-341.

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130

JEAN-MARIE DURAND ET LIONEL MARTI

[RA 99

début du premier millénaire que cette région était couramment traversée par des bandes de nomades

42

,

telle que l'illustrent les inscriptions de Ninurta-kudurrî-uΩur

43

.

Le fait que des Ahlamû rapportent l'événement n'est pas suffisant pour en déduire que la popula-

tion du Sûhum est composée d'Araméens-Ahlamû

44

, mais montre leur présence occasionelle dans ces

régions: ils ne devaient être que des Bédouins informateurs sur le Sûhum et le Habur et qui, arrivés au
cours de leur déplacement dans la région de l'Euphrate, y rencontrent fienzuru.

c) Étymologie

Il semble être devenu un consensus de considérer que la grande Mari, celle du Moyen-Euphrate,

avait laissé un souvenir vivace chez plusieurs chefs qui gouvernaient des régions qui lui avaient appar-
tenu

45

. On pourrait néanmoins comprendre autrement le toponyme: déjà S. Maul a pensé à interpréter

l'écriture par A ou A-ri comme le fait qu'il s'agissait de la «province du fils∞. Ce serait la
dénomination d'un apanage. Mais, étant donné que le toponyme peut être aussi écrit à l'occasion mar-
ri

46

, il n'est pas impossible qu'il faille en fait voir là une redénomination par allusion aux salines de

l'endroit, connues de nous depuis l'époque amorrite. Dans ce sens, le «mât Marri∞ ne serait que le
«pays de l'Eau amère∞ et devrait être compris comme la Måråh de la Bible, nom donné à un puits d'eau
saumâtre du désert que rencontrèrent les Hébreux en Arabie à leur sortie d'Égypte

47

. L'hébreu ne sait no-

ter un -r- géminé, mais le texte grec a gardé le souvenir du lieu sous la forme

Merra

(Merra) et le texte

de la Bible est suffisamment explicite dans son commentaire de la dénomination géographique.

La forme ma-a-ri pour noter cette réalité géographique est tout à fait en conformité avec la nota-

tion A-ri où l'on recourt à l'idéogramme utilisé pour le «fils∞, lequel a effectivement une forme mâru
en akkadien. On peut néanmoins se demander, au vu de la variante mar-ri‹, si cette forme Mâru du to-
ponyme n'est pas un indice que le dialecte araméen alors utilisé connaissait la même loi phonétique que
l'hébreu de simplification du -rr-, r géminé intervocalique. La notation «Marru∞ en serait l'expression
étymologisante, peut-être la façon assyrienne de le rendre. La forme absolue du toponyme devrait donc
être posée Ma(r)ru, la finale en -i n'y étant sans doute qu'un génitif. Pour des raisons de clarté de
référence, on gardera cependant ici la notation Mar(r)i.

Entre cette «Mar(r)i∞ et le Sûhum, il y a toutes les salines de Bouara (cf. l'établissement à

Sabâ® des Assyriens

48

). Si tout le sel au sud du Sindjar, lequel a toujours fait l'objet de compétitions

car il était également essentiel pour les troupeaux transhumants, devait être aux malins des Sarugû, le
maître du Sûhum a dû essayer d'exploiter le sel au sud et à l'ouest de ces régions.

Pourquoi a-t-on appelé Îâbete «Mar(r)i∞? Il doit ne s'agir que d'un phénomène propre à la cul-

ture araméenne et mainte fois documenté à son propos: les Araméens pratiquaient à un haut niveau le
procédé du changement toponymique

49

. Dire «mât Mar(r)i∞ ne devait être pour eux que la façon de

42.On se reportera aux commentaires de M. Liverani, «RaΩappu and Hatallu∞, SAAB 6/2, 1992, p. 35-40,

et de J.-M. Durand, «Peuplement et sociétés à l'époque amorrite (I)…, p. 194-195.

43.A. Cavigneaux et B. K. Ismail, «Die Statthalter von Suhu und Mari in 8 Jh. v. Chr.∞, BaM 21, 1990,

p. 321-456, repris par G. Frame, The Royal Inscriptions of Mesopotamia Babylonia Period Volume 2. Rulers of
Babylonia from the Second Dynasty of Isin to the End of Assyrian Domination (1157-612 BC),
Toronto, 1990,
p. 288-323.

44.M. R. Adamthwaite, Late Hittite Emar. The Chronology, Synchronisms, and Socio-Political Aspects

of a Late Bronze Age Fortress Town, ANES Sup. 8, Louvain, 2001, p. 275-278.

45.Voir pour l'époque de Hana, A. H. Podany, The Land of Hana. Kings, Chronology, and Scribal

Tradition, Bethesda, 2002, p. 9-13, D. Charpin, «Chroniques du Moyen-Euphrate, 1. Le “royaume de Hana":
textes et histoire∞, RA 96, 2002, p. 74.

46.Cf. S. M. Maul, Die Inschriften von Tall Îåbån (Grabungskampagnen 1997-1999). Die Könige von

Îåb™tu und das Land Måri in mittelassyrischer Zeit, ASJ SS 2, Tokyo, 2005, n°67: 1.

47.Cf. Ex xv 23; Num xxxiii 8.
48.Voir par exemple la stèle érigée à Saba'a. Pour ce document, voir en dernier lieu A. K. Grayson, RIMA

3, A.0.104.6.

49.Ces phénomènes dans les inscriptions royales assyriennes sont bien connus: voir par exemple: H.

Sader, Les États araméens de Syrie depuis leur fondation jusqu'à leur transformation en provinces
assyriennes,
1984, p. 281. L'auteur donne l'exemple de «Aßßur-utîr-aΩbat que les Araméens appellent Pitru∞
(voir A. K. Grayson, RIMA 3, 1996, A.0.102.2, p. 19, l. 35b-36), de même Tell Ahmar, dénommé par les Hittites
Mazuwati (J. D. Hawkins, «The Hittite Name of Til Barsip: Evidence from New Hieroglyphic Fragment from

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2005

UNE ATTAQUE DE QAÎNA PAR LE SÛHUM ET LA QUESTION DU «PAYS DE MARI∞

131

rendre dans leur langue le †âbatum = «sel∞, ou «eau saumâtre∞, propre au lieu où l'on pouvait sur les
berges du Habur créer des salines, depuis au moins l'époque amorrite

50

. Si, par la suite, la région conti-

nua à être désignée sous ce nom de Mar(r)i, c'est que sur ces parcours arides les Araméens s'y sont sans
doute installés de plus en plus nombreux, remplaçant les antiques Bensim'alites, disparus avec l'âge de
la vraie Mari euphratique. On peut donc en inférer que, depuis l'époque médio-assyrienne, les Araméens
dénommaient ainsi la région. Les Araméens qui rapportent le pillage de la région l'auraient donc
désignée à leur façon.

5. Quel souvenir du pays de Mari de l'époque de Zimrî-Lîm?

Les souverains du royaume de Hana d'époques moyenne et récente ont bien conservé un souve-

nir vivace du royaume de la Mari amorrite, surtout par leur onomastique

51

. Mais, comme le fait remar-

quer D. Charpin, lorsque Zimrî-Lîm se dit roi du pays de Mari et du pays de Hana, le terme Hana ne
désigne pas un territoire mais un groupe humain

52

. Ce que le mât Hana représentait à l'époque médio-

babylonienne par rapport à l'époque paléo-babylonienne devrait donc être réexaminé. Y a-t-il eu lors de la
création du pays de Hana une assimilation du terme ethnique à une réalité territoriale? La question de-
meure. On remarquera néanmoins qu'à l'époque moyenne les rois de Hana ne se disent jamais «rois de
Mari∞, quoiqu'ils aient contrôlé l'endroit du Tell Hariri. Ce titre apparaît brusquement à l'époque récente
avec Tukultî-Mêr

53

, l'unique roi d'époque récente à avoir laissé une inscription, et dont on ne sait prati-

quement rien, si ce n'est qu'il était le fils d'un certain Ilî-iqîßa

54

.

Cela incite à s'interroger sur la localisation de ces royaumes, comme le fait A. Podany qui in-

dique que les toponymes ne se réfèrent probablement pas à leur localisation originale

55

, mais aussi sur

leur extension territoriale. Comme le fait remarquer D. Charpin, un texte permettrait de supposer que la
royaume de Hana sous Yadih-Abum s'étendait jusqu'à Îâbatum

56

. Ainsi parmi les rois de l'époque an-

cienne, dont nous ne disposons pas de la titulature, par manque d'inscriptions, Yadih-Abum contrôlerait
donc un territoire correspondant aux pays de Hana et de Mar(r)i.

À propos des deux inscriptions qui nous livrent la titulature de Tukultî-Mêr

57

, la plupart des

auteurs s'accordent à dire qu'elles concernent le même personnage

58

. Celles du roi assyrien Aßßur-bêl-

Tell Ahmar∞, An St. 33, 1983, p. 136), dénommé Til-Barsip par les Araméens et finalement baptisé, Kâr-
Salmanazar lors de sa prise par Salmanazar III (voir par exemple A. K. Grayson, RIMA 3, A.0.102.2 l. 34-35). Le
passage mentionne aussi la redénomination de trois autres villes. Ces phénomènes du Ier millénaires sont
aussi bien observables au début de l'installation des Araméens.

50.J.-M. Durand, «Villes fantômes de Syrie et autres lieux∞, Mari 5, 1987, p. 204 n.20, proposait que

Îâbatum soit la ville du sel. Pour le terme †âbatum à Mari voir M. Guichard, «Le sel à Mari (III). Les lieux du
sel ∞, D. Charpin, J.-M. Durand (éds.), FM III, Paris, 1997, p. 185-188.

51.A. H. Podany, The Land of Hana. Kings,Chronology, and Scribal Tradition, Bethesda, 2002, p. 4-

13.

52.D. Charpin, «Chroniques du Moyen-Euphrate, 1. Le “royaume de Hana": Texte et histoire∞, RA 96,

2002, p. 67, et D. Charpin NABU 1995 /23.

53.Ce qui permet à A. Podany de remarquer d'une part «It is interesting to note that the toponyms Mari

and Hana were still in some way seen as synonymous seven centuries after Zimri-Lim∞, mais que d'autre part la
tradition scribale de cette époque est complètement différente de la précédente (Ibid., p. 74).

54.A. K. Grayson, RIMA 2, A.0.89.2001, 3.
55.A. H. Podany, The Land of Hana. Kings, Chronology, and Scribal Tradition, Bethesda, 2002, p. 12

avec bibliographie. Elle fait notamment référence à M. Luciani qui pense que le pays de Hana mentionné dans
les textes médio-assyriens ne correspond pas à celui des XVI

e

-XV

e

siècles et que le pays de Mari de l'époque

doit plutôt être sur le milieu du Habur (voir M. Luciani, «On Assyrian Frontiers and the Middle Euphrates∞,
SAAB 13, 1999-2001, p. 97).

56.D. Charpin, «Chroniques du Moyen-Euphrate, 1. Le “royaume de Hana": Texte et histoire∞, RA 96,

2002, p 68. Le texte a été réinterprété par Michaël Guichard, NABU 2003/8.

57.Il s'agit d'une inscription d'Aßßur-bêl-kala relatant son attaque contre le «pays de Mari∞ et son roi

(RIMA 2 A.0.89.1, 14'-16') et une inscription retrouvée à Sippar dans laquelle Tukultî-Mêr est dit lugal kur ha-
na
(RIMA 2 A.0.89.2001, 2).

58.A. K. Grayson, RIMA 2, p. 111, A. H. Podany, The Land of Hana. Kings, Chronology, and Scribal

Tradition, Bethesda, 2002, p. 74.

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132

JEAN-MARIE DURAND ET LIONEL MARTI

[RA 99

kala mentionnent plusieurs fois le «pays de Mari∞ dans des contextes très cassés

59

, parfois associés à

Tukultî-Mêr. L'une d'elle traitant d'une «deuxième campagne contre le pays de Mari∞ mentionne la
ville de Qa†nu, l'ancienne Qa††unân. Le «pays de Mari∞ n'a donc rien à voir avec Tell Hariri, mais
concerne plutôt la Mar(r)i que nous postulons. Le fait que Tukultî-Mêr ne soit plus que roi de Hana dans
l'inscription de Sippar pourrait être expliqué simplement par sa défaite face à Aßßur-bêl-kala, une fois son
royaume ramené à un territoire plus étriqué. En revanche, son titre de «roi de Mari∞ pourrait révéler une
attaque du Hana sur le pays de Mar(r)i lors d'une phase de faiblesse assyrienne.

S. Maul indique que le royaume de Mar(r)i devait être sous domination assyrienne depuis le

XII

e

siècle, tout en conservant son statut de royaume et sa famille royale

60

. La «Chronique 25∞ éditée

par C.B.F. Walker

61

, permettrait de supposer que c'est Aßßur-dan qui avait conquis Îâbete, s'assurant le

contrôle du pays de Mar(r)i suite à une révolte (ina bârti, DU#Ú.GAR), et y installant une lignée de
«rois∞ locaux aux noms assyriens qui s'y perpétuent jusqu'au moment de la destruction de Dûr-Aßßur-
ketti-lîßir, sans doute par (ou après) Teglat-phalazar I

er

. Aßßur-ketti-lîßir, son dernier roi, est effective-

ment contemporain de Teglath-phalazar I

er

et semble avoir profité d'un moment de faiblesse assyrienne

pour agrandir son domaine, ce qui finalement entraîna par réaction assyrienne la destruction de sa capi-
tale.

Pour ce qui est des limites du territoire du «pays de Mari∞ à la fin de l'époque moyenne, outre

les tells Îâbân et Bderi qui sont bien documentés par les documents trouvés dans leurs ruines, il apparaît
d'après une inscription royale assyrienne comme RIMA A.0.89.2, ii 5'

62

que doit lui être attribué aussi

la ville de Magrisâ, laquelle est clairement documentée, dans les archives d'époque amorrite, comme ap-
partenant à la région de Hasséké, si toutefois il ne faut pas voir dans Magrisâ l'antique nom amorrite de
Dûr-Aßßur-ketti-lîßîr.

Institut d'Assyriologie du Collège de France

52, rue du Cardinal Lemoine 75005 Paris

59.RIMA 2 A.0.89.1, 14'-16', RIMA A.0.89.2: ii 5'-11', RIMA 1.0.89.7 (selon la proposition de lecture de

F. M. Fales, «Mari: an Additionnal Note on “RaΩappu and Hatallu"∞, SAAB 6/2, p. 106).

60.S. Maul, Die Inschriften von Tall Bderi, BBVOT 2, Berlin, 1992, p. 48.
61.C. B. F. Walker, «A Chronicle of the Kassite and Isin II Dynasties∞, G. van Driel, T. J. H. Krijpin, M.

Sol, K. R. Veenhof, Zikir ßumim, Mélanges F. R. Kraus, Leyde, 1982, p. 399.

62.Selon la restitution de F. M. Fales, op. cit. l. 21: kaskal ßá kur a-ri-me ina uru ma-ag-ri-si ßá kur

[ma]-a*-ri im-ta-ha-aΩ.

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