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objet, meme k l’heure du rendez-vous avec une mort certaine. Les mots impć-rissables qu’il ćcrivit k sa femme, dans sa demiere lettre, font maintenant partie de 1’ćpopće de la littćrature politiąue africaine moderne :
« Ni les brutalitćs, ni les sćvices, ni les tortures ne m’ont jamais amenć k demander la grace, car je prćfćre mourir la tete haute, avec une foi inćbranlable et une confiance profonde dans la destinće de mon pays, plutót que vivre dans la sou-mission et le mćpris des principes sacrćs. L’histoire aura un jour son mot k dire, mais ce ne sera pas 1’histoire qu’on enseigne k Bruxelles, Paris, Washington ou auxNations Unieś, maiscelle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colo-nialisme et de ses fantoches. L’Afrique ćcrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de dignitć. Ne me pleure pas, ma compagne.»
Ou, peut-on se demander, s’ćcrit i 1’heure actuelle, en Afrique, 1’histoire d’un Lumumba?
Catherine Hoskyns, auteur d’une importante ćtude politique sur l’indć-pendance du Congo14, rćsume bien ce changement d’attitude k l’ćgard du premier ministre congolais :
« L’importance de Lumumba ne rćside pas tant dans ses idćes politi-ques [...] que dans le fait qu’au moment crucial il a refusć tout compromis, toute coopćration avec ses adversaires. A sa place, la plupart des dirigeants auraient acceptć de jouer, pour un temps, un róle passif, en se disant qu’ils reprendraient leur action radicale dćs que le moment redeviendrait favorable. En refusant cela, Lumumba a rendu beaucoup plus difficile toute općration d’apaisement et il a forcć la naturę rćelle de la situation et les motivations rćelles des protagonistes k apparaitre au grand jour. II a ćgalement, par ses actions, indiquć clairement qu’& son avis le gouvemement pseudo-dćmocratique contrólć de l’extćrieur (c’ćtait, en essence, la nouvelle poIitique des Ćtats-Unis et de l’ONU) serait aussi contraire aux intćrets vćritables de son pays qu’un rćgime ouvertement rćactionnaire et oppressif. C’est parce qu’il a forcć ces rćalitćs k apparaitre au grand jour, au prix de sa vie, que Lumumba est devenu le hćros non de l’Afrique seule, mais de tout le Tiers Monde1*. »
Un certain nombre de travaux intćressants mais incomplets rendent compte de la breve carriere politique de Lumumba. Toutefois, il n’existe k ce jour que deux ouvrages importants qui traitent de ses idćes. Le premier, Lumumba: the last fifty days, de G. Heninz et H. Donnay (New York, Grove, 1977), est passć relativement inaperęu lors de sa premićre parution (en franęais) en 1966. La pensee politiąue de Lumumba (Paris, Prćsence africaine, 1973), de Jean Van Lierde, comprend la correspondance de 1’auteur avec Lumumba, ainsi qu’un certain nombre de textes et documents utiles. C’est dans son intć-
14. Catherine Hoskyns : The Congo sińce independence: January 1960-December 1961,
Londres, Oxford University Press, 1965.
15. New York review of books, 22 avril 1977.