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tibles d’appropriation sans titres. Ainsi, le 28 mai 1811, un traitć conclu entre le Venezuela et les Provinces-Unies de Grenade garantit P « intćgrite des ter-ritoires dans leur juridiction respective ». En 1877, un texte identiąue signe par le Chili et 1’Argentine dispose qu’il convient de ne pas perdre de vue la regle suivante du droit public amćricain « que les gouvemements acceptent et soutiennent : les rćpubliąues americaines ont succedć au roi d’Espagne dans les traites de possession et de domaine qu’il avait sur toute l’Amćrique espa-gnole ». Pour donner plus de force k cette rćgle, les Ćtats latino-amćricains nćgocient avec Madrid la reconnaissance de leur indópendance et de leurs frontićres. Ce fut le cas pour le Mexique en 1836, pour l’Ćquateur en 1840, pour le Venezuela, le Chili et 1’Uruguay en 1846, pour 1’Argentine en 1859, pour la Bolivie en 1861...
L’idće d’intćgritć territoriale et d’inviolabilitć des frontićres est donc ancienne en Amćrique. Elle est toujours actuelle. La Charte des droits et des devoirs adoptće i Montevideo en 1943,1’Acte de Chapultepec de 1945, la Charte de Bogotd de 1948 y font expressement rćfćrence. Emancipćs, les Ćtats d’Asie accordent eux-memes droit de citć i ces principes. Le traitć sino-indien sur le Tibet (29 avril 1954) rangę parmi les cinq principes de coexistence pacifique le respect de 1’intćgrite territoriale. L’annće suivante, les participants k la confe-rence afro-asiatique de Bandoung font figurer dans leur dćcalogue du 24 avril 1955 1’ « abstention d’actes ou de menaces d’agression ou de 1’emploi de la force contrę Tintćgritć territoriale ou 1’indćpendance politique d’un pays ».
Independante, l’Afrique parut balancer quelque temps avant de prendre parti. Des opinions divergentes se firent jour quant au role que l’on souhaitait voir devolu k la frontićre : unir des peuples ou enchainer des Ćtats.
Mais on n’hćsita gućre, dans la pratique, lorsqu’il fallut choisir entre le rćvisionnisme frontalier et 1’acceptation du statu quo.
Les frontićres doivent-elles etre des remparts et des chaines, des butoirs ou des traits d’union ? Ont-elles pour mission de rassembler ou de contenir ? Doit-on les mettre au service des peuples ou a celui des Ćtats? Ont-elles une fonction de sauvegarde ou de verrouillage ? Si le peuple ne s’identifie pas k 1’Ćtat, s’il n’y a pas colncidence entre les deux, l’un ou 1’autre pourra avoir la tentation de se rebeller. Le peuple, ecartelć entre plusieurs Ćtats, pourra avoir le dćsir de retrouver son unitć perdue. A l’inverse, 1’Źtat pourra tenter de garder en son sein des peuples captifs. De ces antagonismes surgiront des conflits. Depuis les indćpendances des annćes 1960, la listę — jamais close — en est longue. Certains sont aujourd’hui rćsolus ou gelćs. D’autres se poursuivent. Dans la pratique, les droits des peuples concurrencent les prćrogatives des Ćtats.