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Problimes de Vhistoriographie africaine
et philosophie de l9 « Histoire gćnćrale de l'Afrique »
faits ćtaient li, les temoignages etaient li; ce qui manąuait i l’Afrique, c’ćtaient les historiens.
Aujourd’hui, l’Afrique a produit ses propres historiens modernes, capables de reunir des donnćes pertinentes, d’en tirer une signification histo-rique et de vćrifier la validitó de ces efforts. L’histoire de l’Afrique attendait une historiographie africaine. Les perceptions et les techniques des historiens africains peuvent dósormais la lui procurer.
« Heureux le peuple sans histoire, dit Christopher Dawson, et trois fois heureux le peuple sans sociologie, car, aussi longtemps que nous possćdons une culture vivante, nous n’en sommes pas conscients; c’est seulement lorsque nous nous sentons sur le point de la perdre ou lorsqu’eIIe est dćji morte que nous commenęons i en prendre conscience et i 1’ćtudier scientifiquement*. »
Nous retrouvons ici un echo du concept hćgelien de la chouette de Minerve, qui dćploie ses ailes i la tombee de la nuit. Nous ne commenęons i comprendre nos socićtes qu’i partir du moment oh les caracteristiques que nous avons apprćhendćes sont sur le point de disparaitre. Hegel et Dawson pdchent par exageration, mais leur message n’est pas sans intóret pour les historiens africains d’aujourd’hui. Les Africains qui ćtudient leur passe, tels que Dike et Ogot, et la genćration plus jeune de chercheurs africains reprć-sentent probablement la chouette de Minerve ćmergeant du crepuscule du passć africain.
Christopher Dawson souligne que nous ne prenons conscience de la signification intellectuelle d’une culture que lorsque nous sommes sur le point de la perdre. De vastes regions africaines sont en effet en train de perdre une grandę partie de leur propre culture. En dćpit du caractóre hyperbolique de ses declarations, Hugh Trevor-Roper n’avait pas tort d’aflfirmer qu’une part considerable de 1’histoire du monde au cours des cinq derniers siecles etait, en fait, 1’ « histoire de 1’Europe » : sur ce point du moins, il ne se trompait pas. Cette situation s’explique partiellement par la preponderance de 1’Europe dans la revolution industrielle, par le succćs qu’elle a remportć dans l’explo-ration de diffćrentes parties du globe et par les resultats plus ambigus qu’elle a obtenus en colonisant et en dominant d’autres peuples. Cet aspect de l’histoire mondiale implique aussi une europeanisation considćrable de l’Afrique au cours des cent dernićres annees. C’est ainsi que sont trós europćanisćs les Africains appeles i sićger au Comite scientifique intemational de 1’Unesco
5. Citó par Herbert J. Muller, The uses of the past, New York, Oxford University Press,
1957, p. 27.