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L’esthetique du hasard

« L'histoire, depuis longtemps, avait perdu de son lustre. Mais jamais elle n'avait ete a ce point gouvemee par des anecdotes. Une guerre pour une pipę. L'impromptu de Belgrade fut un succes stylistiąue, sinon militaire: il atteignit 1'essence meme du kitsch, un melange de licence vaudevillesque et de croisade moralistę.¹⁰¹ » ecrit Christian Salmon. Les constats les plus sombres de Liotard et de Baudrillard semblent se verifier dans cette faęon d'envisager la guerre: le triomphe de 1'anecdote et la disparition des grands recits humains, double de l'effacement de la realite. « Les gens ont perdu la capacite de voir le merveilleux et le sublime dans la tragedie. Cest pour ęa que je dis que nous vivons un siecle somptueux mais tragique.¹⁰²» La guerre qui se resume a de petites etoiles sur un ecran, c’est bien cette perte du sens du tragique et du somptueux auquel se refere Thierry Ehrmann. Cest cette perte qui fait que 1’epopee ne trouve plus grace a nos yeux post-modemes, qui effectuent le cut-up de Burroughs sur tout ce que nous voyons ou vivons. Seulement, nous n'effectuons plus les parcours de lecture qu'impliquent les cut-ups. La realite fragmentee ne nous offre pas de sens, et nous n'en cherchons pas.

Le sens de la realite, c'est celui du recit. Evoluer a travers la realite c’est construire un recit au fur et a mesure, car la realite presente bien des perils qu'il faut traverser, comme nos heros.

II nous faut avant toute chose faire face a l’imprevisible, non pour que tout soit previsible, mais bien pour ne pas etre desarme et nu face a la realite qui nous coupe sans arret 1'herbe sous le pied. Les heros ont des yeux de lynx, des oreilles de chat, et de la ruse, comme Ulysse, pour voir arriver rimprevisible et le contrer. Les contre-heros ont leur fantaisie qui leur permet de rebondir sur l'imprevu. Les heros tragiques ont leur sens du somptueux, pour transcender l'imprevu.

Nous ne sommes pas des heros, nous sommes fragiles. L'imprevu peut nous balayer. Comme on a vu la necessite d'une familiarite avec la violence, il faut souligner celle d’apprivoiser l^łimprevu. La posturę prophetique, fmalement, ce n'est pas tant nous decrire Tavenir que de nous donner conscience de sa naturę impetueuse.

Pour Boudon, le hasard est une question de circonstances: «Certaines de mes actions s’expliquent essentiellement par la structure de ma personnalite, d'autres ne peuvent etre comprises que si on voit que je me suis trouve place dans des circonstances particulieres. II n’y avait aucune necessite que je me trouve dans ces circonstances. Mais un observateur exterieur qui n'en serait pas informe serait incapable de comprendre pourquoi j'ai agi comme je Pai fait.¹⁰^ »

lOlChristian Salmon, Verbie i de, du bon usage des cer\^,eux humains disponibles, Climats, 2005, p. 130 102Thierry Ehrmann, « Propaganda », Op.Cit 103Boudon, La place du desordre, PUF, 1984, p. 190

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