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Et, comme souligne Pierre Masson,
Gide se rangę dans la premiere categorie. [...] Entre ceux qui passent en pays etranger, gonfles de la conviction d'etre superieurs, et ceux qui renoncent a leurs origines pour s'identifier totalement aux indigenes, il incarne la volonte de n'etre ni 1'un ni 1'autre, pour pouvoir passer de l'un a 1'autre, garder ce sentiment de distance qui permet de trouver tout interessant, et de ne rien mćpriser.400
On pourrait donc constater, apres Jean Daniel, que Gide est ce trans-gresseur devorć par la curiosite de 1'autre, le gout du different, la sym-pathie pour 1’etrange et 1’etranger.401 Cette sympathie et son ćtemelle quete du bonheur procure au lecteur non seulement ses impressions chan-geantes, subtiles, raffinees portant sur 1'Autre, mais aussi un savoir serieux, parce que fonde sur la reconnaissance de 1'Autre, ce qui donnę a son dis-cours une dimension plus large, plus profonde comparee a l'exotisme de Pierre Loti, charmant mais trop superficiel pour le lecteur de l'epoque gidienne. La perspicacite de Gide vient de sa preoccupation
durant soixante ans et jusqu'a l’extreme pointę de la vieillesse, de chercher, pays par pays, ame par ame, reve par reve, a percer son propre secret. [...] Dans sa curiosite par procuration, on distingue nettement le Gide eternel spectateur qui [...] prefere de beaucoup faire agir.402
La Rosę de Sabie de Montherlant initie le lecteur a
la realite du Sud marocain : le dćsert, les dissidents qui restent sur les hauteurs et qui rendent la rćgion peu surę, les routes en construction, les convois proteges par les mokhaznis de la securite, la vie d'un village saharien, un poste militaire, la palmeraie toute proche, - tout cela constitue une sórte de lieu et, pour ainsi dire, une situation archetypique. Cest le probleme morał et intellectuel de la presence franęaise, de la Pacification du Sud. [...] Nous voyons tout par les yeux du lieutenant Auligny, qui ne porte guere ses regards au dela du poste dont il est responsable. Tout est trans-pose; tout est en filigrane dans les donnees de la fiction; 1’essentiel de la realite peut se deviner a travers le recit romanesque.403
La misę en evidence du climat «moral et intellectuel» dans une colonie franęaise semble primordiale dans le roman de Montherlant; l'ecrivain
400 P. Masson, Andre Gide voyage et ecriture, op. cii., p. 15.
401 Voir J. Daniel, «L'aventure au coin du desir», in Les Colleclions du Nouvel Observaieur, 15(1995), pp. 34-35.
402 J.-J. Thierry, Andre Gide, Hachette, 1986, p. 184.
403 M. Raimond, Les Romans de Montherlant, op. cit., p. 121.