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Chez Randau la nostalgie des temps anciens, primitifs, ne trouve pas sa place car 1'ideologie algerianiste, dont l'ecrivain lui-meme est un adherent fervent, est concentree sur la mission civilisatrice d'un pays Occidental dans un pays arriere qui doit etre civilisć, et non pas sur la misę en valeur des peuples retardes selon les Algćrianistes.
Dans La Rosę de Sabie de Montherlant, 1'amour pour une jeune indi-gene est aussi bien la raison du changement radical d'idees politiques d'Auligny que le motif de son interet porte a la societć indigene qui reste impenetrable et opaquc comme Ram. La passion declenche la curiosite pour l'Autre, ici 1'Arabe. Si 1'on trouve qu'Auligny appreciait le monde qu'il croyait infćrieur par rapport au sień, il n'y a pas de doutes que c'etait
1'amour pour Ram qui a provoque un changement radical de ses idees. La
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curiosite pour 1'Autre, ici le non-modeme, ne semble pas ainsi entierement desinteressee, d'ailleurs cette attention pretee a l'autre entre dans toute une grille de complications concemant les proches d'Auligny : sa familie en France, ses compatriotes au Maroc :
un officier amoureux est un soldat pręt a desobeir. Auligny peut-il preferer ses sentiments pour la fillette k 1'opinion de sa caste, de sa familie, de ceux qu'il estime le plus, nieme si leurs principes colonialistes sont faux et arbi-traires? Auligny vit un cas de conscience. Dans cette incertitude qui le rend fragile et inoperant, il est surpris par une emeute. Ił accepte la mort pour en finir avec les contradictions du monde et les siennes propres.466
La problematique concemant la dichotomie barbare/civilise ou bien monde primitif/monde modeme fonctionne dans les ouvrages analyses par nous ou bien comme celle instrumentalisee en fonction des idees confes-sees : le roman de Randau et le roman de Bertrand en sont des exemples incontestables, avec pourtant une legere nostalgie des endroits sauvages chez ce demier, ou comme 1'Arcadie sereine, valorisee dans 1'opposition evidente avec le monde civilise dans Amyntas d'Andre Gide. Nous avons indique la fascination ou «la toquade pour le primitif» dans les nouvelles d'Isabelle Eberhardt qui n'acceptant aucun compromis, va a la rencontre de !'univers «barbare» jusqu'a s'aneantir elle-meme, aussi bien qu'une notę nostalgique dans la nouvelle de Colette ou son protagoniste franęais se retrouve attire par une aura non-occidentale. Henry de Montherlant parait devoiler 1'impossibilite de saisir l'univers autochtone pour celui qui n'y appartient pas et en plus se veut etre son unique maitre en tant que coloni-sateur; 1'impasse finale ne peut donc pas surprendre.
444 P. Sipriot, Montherlant sans masqite, op. cit., pp. 28-29.