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Le mot «bicot» n’est pas le seul a etre utilisć par les colons pour nommer 1’indigene, une autre expression insultante et grossiere est: «des troncs-de-figuien> qui dans le.roman est mis dans un contexte qui adoucit son caractere raciste. Des jeunes gens «corrects» expliquent a Jacquiet, un nouveau> employć franęais debarque recemment k Rutćne, pourquoi Jos Lavieux est sumommć Kaddour:
Parce qu’il est arabophile a outrance; jamais tu ne lui verras d’autre societe que celle des tronc-de-fieuier: il parle bicot micux que nous le franęais ou qu’un patcho de Bab-el-Oued le salaouetche. Un jour, les marabouts pre-cherent la revolte dans le Sahel et proclamerent sułtan un pouilleux; celui-ci s’empressa de toper avec Jos, de baiser son index et de prendre le vieux pour khalifa; et le paillard endossa le burnous, coiffa la chechia et abjura sans trouble ce qui pouvait bien lui rester de catechisme dans la cervelle; les insurges le baptiserent kaddour; depuis on ne 1’appclle plus qu’ainsi. - Est-il m’toumi (“converti” en sabir)? - II s’en fout, qu’il dit; mais chaque fois qu’i! y a un taam (nourriture) dans unc zaouia (etablisscmcnt religieux), il est de frairie; il donnę du flouss aux derouYchcs (membre de confreries musulma-nes), [...], aux queteurs secrets des confreries [...]. Plusieurs croient qu’il renseigne les bureaux speciaux d’Alger sur ce qui se passe dans les tribus.
1 fili
Calomnie! II ne travaille que pour lui! -Le roi du bied, il est alors!
L'expression defavorable concemant les indigenes perd sa connota-tion pćjorative dans le contexte cite car la confrontation n’entre pas ici en jeu, au contraire, on souligne, et avec admiration, 1’estime pour Kaddour manifestee par les indigenes et ses demarches assimilationnistes (ce qui nous fait penser a un autre ecrivain colonial, Isabelle Eberhardt, amie de Robert Randau dont 1’indigenophilie etait genante pour l’Administration franęaise; on la soupęonnait d’avoir espionne des tribus africaines pour le marechal Lyautey). Citons encore un autre fragment dans lequel le meme Jos Lavieux encourage 1’ancien administrateur Gaviat (actuellement direc-teur de la banque creee par lui sur le conseil de Jos) a imposer a ses debi-teurs des clauses de plus en plus en dures; tout cela pour ruiner Gaviat et pour se venger sur lui: «Menez-moi ferme ces Troncs-de-figuier: c’est de la clique!»109 Connaissant deja le contexte, nous sentons de 1’ironie dans ce propos de Lavieux qui n’est qu’une partie importante de son plan de vengeance et 1’emploi de l’expression outrageante entre dans le cadre de son projet machiavelique.
10,1 R. Randau, Les Colons, op. cit., pp. 70-71. ,w Ibid., p. 275.