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Un homme rćvolte, haissant la mćdiocrite, devient autre parmi ses compatriotes car ses idees trop humanitaires ne sont pas a 1’ordre du jour des militaires qui administrent El Oued. L’adjectif «humanitaires» a ete mis dans le texte en italique ce qui exprime le dedain du capitaine vis-a-vis de celui qui voudrait reduire la distance entre les Franęais et les indigenes. II est intćressant de trouver dans un texte portant sur la colonie «un colo-nisateun) confrontć aux «siens», et non pas a ceux qui d’habitude sont «les autres» : les indigenes. Evidemment, Eberhardt ne met pas en question la colonisation de PAfrique, mais elle accuse les militaires et leur incompe-tence, en les opposant au «sang frais» de la metropole, donc aux gens qui comme le heros de cette nouvelle sont fortement valorises. Eberhardt re-lćve la solitude de son protagoniste qui est due non seulement a la naturę melancolique de Phomme du Nord, mais aussi a 1’entourage qui renforce chez lui Pidee d’accablement et d’angoisse; l’univers auquel il a ćtć con-damne 1’effraie par sa tristesse et son caractere isole. Observons comment 1’auteur organise le champ lexical pour rendre evidente 1’idće de solitude et d’emprisonnement:
De petites rues tortueuses, bordćes de maisons de platre caduques, coupees de ruines [...]. Un bordj tout blanc, isolć dans le sable [...]. Alentour, caches dans les dunes, les villages esseules, tristes et caducs, dont les noms avaient pour Jacques une musiąue etrange : El-Bayada, Foum-SahheuYme, Oued-Allenda, Bir-Arai'r... La premidre sensation, poignante jusqu’a 1’angoisse, fut pour Jacques celle de 1’emprisonnement dans tout ce sable [...]. Et il s’etait trouve seul, lamentablement, dans Pangoisse de ce pays qui, maintenant, PefTrayait. Silencieux, obeissant toujours dans ses rapports avec les hommes a la premiere impression instinctive qu’il sentait juste, il se referma en lui meme. On le jugea maussade et insignifiant, ce pale blond aux yeux bleus, dont le regard semblait tourne en dedans. Ce qui acheva de les sćparer, ce fut que tout de suitę il se sentit leur supćrieur grace a son intellectualite developpee, tout en profondeur, avec son ćducation soignće, delicate.156
Ses sentiments humanitaires vis-a-vis des indigenes semblent temoi-gner de son idee fixe, qui est aussi celle d’Eberhardt, que la colonisation est un fait, mais un fait compris comme une mission civilisatrice. Et Jac-ques devient «un missionnaire» qui voudrait prouver sa compassion et son aide pour Pindigene qui est observe par lui, ce qui aboutit a une per-spective narrative «vision avec» ou «focalisation zero». Cette perspective determine notre savoir sur PArabe, en plus elle semble etre une proposi-tion du «regard-modele» qui rappelle les postulats des auteurs comme Bertrand ou Randau:
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I. Eberhardt, Le Major, op. cit., pp. 158, 159.