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alors, vous etes mai chaussee? Toutes les deux, vous ne pouviez pas venir en Afiique avec d’autres souliers que ces absurdes choses en daim blanc?))239
Cette question portant sur un detail, paraTt embrasser toute une dimension symbolique. Le moment crucial de cette nouvelle se situe un soir lors d’un rendez-vous amoureux entre Rosę et Bernard dans le parć qu’ils ont dój a visitć avec Ahmed, au bord d’une ancienne piece d’eau. Dans les tenebres, Bernard heurte le corps d’Ahmed, blesse et ćvanoui. Bernard, ne voulant pas le laisser sans aide, essaye de panser sa plaie et il demande a Rosę de 1’aider. La jeune femme effrayće refuse : elle ne veut pas approcher pour tenir la lampę electrique, elle veut recupćrer son impermeable que Bernard veut couper pour panser 1’epaule du blessć; k ce moment-la, Rosę proteste: «- ęa par exemple... Mon impermćable... Pour faire un pansement k un bicot... Tu ne peux pas prendre sa chemise, donc, ou la tienne.»240 Le mot «bicot» qui reprend dans ce contexte tout son sens pejoratif, est mis cette fois-ci dans la bouche de Rosę, plus complaisante pour Ahmed qu’Odette. Elle n’aidera pas Bernard k transporter le blesse a la maison du gardę, elle n’ira pas chercher du secours parce qu’elle a peur du scandale; les Bessier ne sont pas au courant de cette rencontre et elle tient trop k eux. Bernard, furieux, la chasse, et Rosę jette avec ragę : «- Et tout cela pour ce bicot, qui a la vie dure!»241 La repćtition du mot «bicot» rend ćvidente la raison de leur rupture, mais^ette situation-limite declenche aussi une dispute au cours de laquelle toutes les rancunes sont mises au jour. Bernard reste avec Ahmed jusqu’a rarrivće du jardinier Aziz; il avoue : «C’est curieux qu’il a fallu que je vienne jusqu’a Tanger pour rencontrer mon semblable, le seul qui puisse me rendre fier de lui, et fier de moi.»242
Le voyage au Maghreb comporte donc la fin d’une relation amou-reuse et le debut d’une vraie amitie avec 1’Autre, d’autant plus importante
qu’on ne retrouve pas facilement un enfant a formę d’homme, assez blesse, assez inconnu et prćcieux pour qu’on lui sacrifie quelques heures de la vie, un complet veston, une nuit d’amour... II etait ecrit, decidement, [...] Mektoub, dirait Ahmed...243
Ibid., p. 189.
Ibid., op. cit., p. 221. u' Ibid., p. 229.
242 Ibid., p. 233.
241 Ibid., pp. 233-234.