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couchee a terre et pćtrissant le sable pur de ses petites mains inhabiles, elle construisait des dunes, avec des brindilles, elle plantait des jardins.296
L'auteur utilise avec prćdilection la binarite spatio-temporelle; l'en-fance s'avere donc une ćpoąue de bonheur parce que liće intćgralćment a la naturę qui assure surtout la sćcurite, par contrę la ville apporte, dans les nouvelles d'Eberhardt surtout a la femme, 1'humiliation et la chute morale; 1'ecriture d'Eberhardt semble annoncer la prose de Le Clezio, surtout son Desert.
Les nouvelles d'Isabelle Eberhardt revćlent avec force 1'attirance de 1'espace du Sud algerien qui s'accapare l'homme lentement. Cette fascina-tion commence parfois par rindififćrence due a 1'alterite extreme du pay-sage, comme pour Jacques, le medecin :
enfant des Alpes boisees et verdoyantes, des horizons bomes et nets qui etait entre dans la grandę plaine, vague et indefiniment semblable, sans premiers plans, presque sans rien qui retint le regard. Ce lui fut d'abord un malaise, une gene. 11 sentait tout Tinfini, tout 1'imprćcis de cet horizon entrer en lui, le penetrer, alanguir son ame et comme 1'embrumer, elle aussi, de vague et d'indicible. Puis, il sentit tout a coup combien son reve s'elargissait, s'eten-dait, s'adoucissait en un calme immense, comme le silence environnant. Et il vit la splendeur de ce pays, la lumiere seule, triomphante vivifiant la plaine, le sol lepreux, en detruisant a chaque instant la monotonie... La lumiere, ame de cette terre apre, etait ensorcelante. II fut pres de 1'adorer, car en la variete prodigieuse de ses jeux, elle lui sembla consciente. [...] La tristesse inde-finissable, douce comme le renoncement definitif, des soirs d'or et de car-min, preparant au mystere menaęant des nuits obscures et pleines d'inconnu, ou claires comme une aube imprecise, noyant les choses de brume bleue. Et il aima la plaine.297
Cette longue citation permet d'observer comment l'espace est capable, tout seul, d'une maniere independante par rapport k 1'engagement affectif du heros (la liaison avec Tessaadith), de changer les gouts de Jacques, et tout cela a cause de 1'immensite de la naturę : son silence, la lumiere et surtout de son caractere mystique. Meme l'amour brise du heros ne 1'empeche pas d'admirer le coucher du soleil dans le pays de son amante car il emportera ce paysage avec lui, conscient de la beautć et du mystere de cet espace africain. On est loin ici des projections des etats emotionnels des personnages romanesques de Bertrand, Randau ou Montherlant. L'espace est dote chez Eberhardt d'un statut special, independant des sentiments des personnages, il est un element stable et pour cela attrayant.
296 I. Eberhardt, Sous leJoug, op. cit., p. 177. 2911. Eberhardt, Le Major, op. cit., p. 158.