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Randau, a 1'opposć de Bertrand, ne passe pas sous si lence la prć-sence des autochtones; les femmes indigćnes, mais aussi les femmes defa-vorisćes italiennes, sont montrćes dans toute leur misćre d'autant plus violente parce que confrontće k 1'aisance des femmes franęaises en Algerie :
Dans les quartiers ouvriers, les femmes assises au seuil des portes, bras ballants, en caraco, roulent des yeux eteints et n'ont plus le gout de jacasser. [...] ATeules a tignasse blanche, [elles] s'accroupissent en rond sur le trottoir. Elles contemplent, hagardes, le jet lumineux d'une tache de soleil qui fretille au grć d'une ramure, caresse leurs faces moisies, et chante, rossignolet de flamme, sa joie d'etre. Les mfcres ne 1'ćcoutent pas. Lęs^reux momes, elles se sentent a 1'unisson du ruisseau fetide [...], et ont envie d'imiter leurs mar-mots, de s'etendre k piat ventre et de touiller 1'ordure.323
Figees dans leur immobilite, «silencieuses, muettes, impenćtrables, ces caracteristiques sont interpretees comme des signes d'inferiorite, d'ani-malite. Le vocabulaire qui leur est applique les dćshumanise. On ne peut pas les aimer comme des etres humains.»324
Dans un champ herisse d'aretes de schiste, [...], des femmes en guenilles piochćtent le sol. Elles levent la tete au passage des chevaux, montrent, sous leurs turbans maigres semblables a des langes d'enfant dysentćrique, des faces ravagees, des yeux eteints, des mufles pitoyables. - Elles s'achament, ma jolie niece, dit Jos, a recolter, pour leur nourriture et le repas de leurs hommes, les tubercules du begouga, en franęais pied-de-veau, manger atroce... Ce terrain, pour moi, ne vaut pas dix sous. II a ćte laboure au debut de l'hiver, a la charrue arabe, simple clou avec lequel on ćgratigne la terre; les pluies ne tomberent pas; il ne poussa que des cailloux. II en fut aussi dans tout le doua. Les deux mille pouilleux aui 1'habitent ne possedent suremęnt pas mille francs a eux tous en ce jour.
Dans cette description du destin pćnible des femmes du bied, 1'auteur met le propos de Jos, colon algćrien sans scrupules, mais aussi bien con-scient de toutes sortes de manipulations de la part des institutions coloniales franęaises qui font tout pour separer le fellah du colon. Jos Lavieux represente ici 1'opinion de ces colons algeriens qui optent pour «la misę en valeur de la coIonie».326
Avec 1'indigene est associće, dans l'univers de Randau evidemment, la possibilite de valoriser la colonie. Le choix d'un chemin de paix est
Ibid., pp. 53-54.
324 Y. Knibiehler, R. Goutalier, La femme au temps des Colonies, op. cit., p. 38.
325 R. Randau, Les Colons. op. cit., pp. 116-117.
326 Ibid., p. 118.