636 SCIENCE CRIMINELLE ET DROIT PfiNAL COMPARE
mage, un representant de commerce, un maęon, un professeur de Penseignement technique, une mere de familie sans emploi et un educateur.
Au quartier du « Plan », qui compte 6 000 habitants, 1’instance comprend quatre conciliateurs, parmi lesquels deux Marocains. Ils ont entre 23 et 54 ans. II y a parmi eux un employe de commerce, un pretre, un ferblantier et un enseignant.
Ils fonctionnent selon la procedurę qui leur a ete indiquee. Des reunions perio-diques avec les magistrats qui les ont choisis permettent de verifier qu’ils ne debor-dent pas de la mission qui leur a ete tracee, et qu’ils ne s’attribuent pas des pouvoirs qui ne sont pas les leurs. Ce contróle s’exerce a partir d’un compte rendu qui leur est demande dans chaque affaire. L’instance de Fontbarlettes regle environ 20 a 25 alTaires par an. Celle du Plan une douzaine.
Avec le recul du temps, il nous est maintenant permis de retracer le cheminement psychologique des gens qui participent a la conciliation.
Le premier entretien avec les conciliateurs, hors la presence de l’adversaire, a un eflet dedramatisant. Les conciliateurs savent ecouter, et cette ecoute est souvent la premiere chose dont les gens ont besoin. C’est le signe qu’on s’occupe d’eux, qu’on prend en consideration leur detresse. Meme si c’est rare, il arrive que la victime veuille aller jusqu’au bout de ses droits et refuse la conciliation. Ce n’est jamais le cas pour 1’auteur qui n’a rien a gagner a 1’instance judiciaire.
La rencontre entre les deux antagonistes est 1’occasion d’un echange souvent violent au debut, mais tempere par la presence des conciliateurs. Les interlocuteurs ne s’adressent pas d’abord directement l’un a 1’autre, mais prennent les conciliateurs a temoin. II vient un moment ou, grace a ce subterfuge, la tension entre les gens s’est tellement relachee qu’ils reussissent a se parler.
Intuitivement d’abord, et grace a leur experience ensuite, les conciliateurs devinent a quel moment ils doivent intervenir. AJors que Pun et Pautre des interlocuteurs s’attendent a une decision imposee d’autorite, ils sont surpris d'entendre les conciliateurs leur dire que la solution leur appartient, qu’ils doivent la trouver ensemble, en parlant et en recherchant entre eux le meilleur moyen d’en terminer avec le conflit.
Souvent Pechange permet d’aller jusqu’au fond du differend et de mettre a jour de vieux griefs, d’anciens malentendus que Pabsence de dialogue avait laisse s’enfouir dans les consciences. Ainsi est extirpee la cause de longues querelles, et d’un coup est vide tout le contentieux qui a pu longtemps empecher toute relation. L’incident qui est a Porigine de la plainte n’est la plupart du temps que Pemergence visible de ce contentieux enfoui. L’evocation soudaine entre les gens de tout ce qui les separait permet un apurement definitif des griefs reciproques. II n’y aura plus de raison desormais au renouvellement chronique d’incidents entre deux personnes, deux familles, deux groupes sociaux qui ont vide pacifiquement leur querelle.
On aperęoit la difference entre le debat judiciaire tel qu’il etait decrit au debut de cet expose, et Pechange devant les conciliateurs ainsi observe.
Les modalites des conciliations, librement debattues entre les parties, sont tres diverses.
Lorsqu’un dommage a ete cause, la convention porte sur Pengagement pris par Pauteur d’indemniser sa victime. On observe couramment que la victime, moins re-vendicative que lors d’un debat judiciaire, modere ses pretentions, queIquefois meme y renonce tant est importante pour elle la certitude de ne pas revivre ce qu’elle a subi. On observe aussi du cóte de Pauteur un engagement spontane plus frappant en-core si on le compare a Pattitude du meme personnage devant la justice, cherchant a fuir ses responsabilites et, apres une condamnation, se derobant au paiement en se refugiant derriere une insoivabilite alleguee, et meme parfois organisee.
Lorsqu’aucun prejudice n’a ete subi, dans les conflits de voisinage notamment, la solution est une reconciliation pure et simple, et Pengagement pris en commun de se comporter desormais en bons voisins, en bons citoyens, en evitant les sujets de des-
Rev. science crim. (3), juill.-sept. 1990