532 SCIENCE CRIMINELLE ET DROIT PfiNAL COMPARE
« avec obligation d’accompIir un travail d’interet generał » (cf. supra), et nous attei-gnons sans doute ici l’une des plus delicieuses productions de nos techniciens du droit ąuand ils sont livres a eux-memes, et pour qui jouer avec le temps procure, il faut croire, de doux instants !
Or, la justice coutumiere a precede a sa faęon la reflexion de ces techniciens puisąue cette peine, connue sous le vocable de « peine de travail d’utilite publique » (ou d’utilite collective), est pratiquee de longue datę en tribu. A ceci pres qu’il s’agit d’une peine conęue sur un modę tout diflerent, consistant non pas a imposer au condamne tant d’heures de travail sur telle periode de temps, mais a lui assigner la realisation d’une tache precise : reparer la case du petit chef, la maison commune, tondre la pelouse de la tribu...
Peu importe alors le temps : le delai de realisation est simplement soumis a la sur-veillance vigilante des anciens... et son resultat a leur appreciation souveraine. Ainsi et disons-le, non sans bonheur, la justice coutumiere prend-elle tres exactement le contrepied de la nótre. A se demander si la demarche n’est pas — socialement en tout cas — bien plus efficace et... « pertinente » !
On mesure 1’immense fosse qui separe ici les deux mondes culturels. II y aurait en-core beaucoup a mettre dans ce fosse, ne serait-ce qu’en considerant notre systeme d’incrimination lie au resultat purement objectif de 1’infraction, comme en matiere de violences volontaires ou blessures involontaires ou la duree de Fincapacite totale de travail subie par la victime determine la gravite theorique de la sanction applicable a 1’auteur, quand Fexistence d’une incapacite permanente residuelle, autre donnee « objective », mais liee cette fois au sujet et non au temps, — combien plus significa-tive de la gravite des consequences d’une infraction de cette naturę — n’est prise en compte qu’au stade aggravant de 1’infirmite (art. 310 c. pen.). Consideration evidem-ment non exhaustive...
II y a en tout cas fort a parier que pour un Melanesien les termes du sursis, peine probatoire, recidive (stricto sensu), incapacite de travail, sont, dans le meilleur (?) des cas, compris comme la subtile expression de 1’arbitraire du «juge blanc » et, plus generalement, totalement « incompris » (nous entendons par la, non integres au temps qui en constitue le support).
Ce temps-la est sans doute 1’occasion de bien d’autres incomprehensions. La voie royale du rachat qu’est la rehabilitation — legale ou judiciaire — reste vraisemblable-ment inaccessible a la comprehension du monde coutumier en ce que le condamne qui a purge sa peine n’y accede (lui !) qu’apres un certain laps de temps, soigneuse-ment defini par la loi et variant a la fois en fonction de la naturę de la condamnation et de sa duree.
La lecture des textes applicables a la matiere (art. 782 a 799 c. pr. pen.) est propre, du point de vue du temps en jeu, a donner le vertige...
Notre regime de liberation conditionnelle, oii la faculte d’appreciation du juge s’exerce toujours a Tinterieur de limites temporelles liees a la fois a la naturę et a la duree de la peine initiale (art. 729 et s. c. pr. pen.), foumit un autre exemple signifi-catif de cette distance qu’on peręoit (plus qu’il n’est possible de la definir) entre droit etatique et cc-utume.
Ainsi, le temps passe peut-il, en droit etatique, permettre au condamne de retrou-ver pour Pavenir sa pleine capacite de citoyen. Etrange monde venu d’ailleurs ! Non pas que la coutume soit ignorante de toute idee de rachat, mais cette idee s’appuie bien plus sur la notion de pardon, ou le seul temps « mathematique » ne possede aucun pouvoir.
Rev. sciencecrim. (3), juill.-scpt. 1990