564 SCIENCE CRIMINELLE ET DROIT PfiNAL COMPARE
I. _ Premiere raison : les textes mis en avant pour justifier cette jurisprudence sont lourds d’ambiguite et sont donc depourvus de cette ąualite fondamentale que doit avoir la loi penale : la precision.
La preuve en est dans les innombrables querelles nees de la reflexion sur le sens et la portee de ces dispositions : aux querelles juridiąues s’ajoutentdesquerellesscientifiques.
Querelles juridiąues ? Les unes divisent les autorites administratives : le ministere de la Sante retient une notion extensive de medicament que rejette la Direction generale de la concurrence, de la consommation et de la repression des fraudes qui releve du ministere de 1’Economie et des Finances (cf. comm. J. Azema, prec. n° 63).
Les autres opposent les juridictions nationales entre elles : pour s’en tenir aux af-faires commentees on notera qu’un meme produit (par exemple la vitamine C), tenu pour un medicament par la cour d’Angers (aff. Jaud), ne Test pas par la cour de Douai (aff. Dubois et autres). « Chaque juridiction franęaise a sa jurisprudence » — constate a ce sujet la cour de Limoges (aff. Patraud) — reflexion qui nous renvoie in-vinciblement a celle que faisait Voltaire lorsqu’il stigmatisait 1’arbitraire judiciaire de son temps : « il y a autant de jurisprudence que de villes... » (cf. sur ces divergences de jurisprudence d’une juridiction a 1’autre quant a la qualification de medicament : J. Azema, comm. prec. n° 64).
D’autres desaccords surgissent entre juridictions nationales et juridictions commu-nautaires : pour ces demieres, par exemple, la vitamine C n’est pas un medicament en principe (cf. la jurisprudence analysee par la cour de Douai dans 1’affaire Dubois et autres : Cour de justice europeenne, arret Van Bennekom, 30 nov. 1983), mais elle Test pour notre Chambre criminelle (aff. Jaud, aff. Dubois et autres commentees).
A ces querelles juridiques s’ajoutent des querelles scientifiąues : celles qui opposent les experts en pharmacologie, bien sur consultes en la matiere par les juristes. Une commission officielle (la Commission Cortesse) a meme ete misę en place en 1988 pour essayer de clarifier la situation et fixer les limites du monopole pharmaceutique (cf. les obs. de la cour de Douai, aff. Dubois et autres). Mais ses conclusions ne sem-blent guere suivies : pour elle, la vitamine C pas plus que les tests de grossesse ne doivent relever de ce monopole, ce qui ne gene en aucune faęon la Chambre crimi-nelle pour dire le contraire (aff. Patraud, aff. Dubois et autres, commentees)...
En presence de ces querelles manifestes tant juridiques que scientifiques quant au sens des textes, on ne peut parler de loi, de loi penale, et la sagesse invite alors les juridictions repressives saisies de poursuites fondees sur des dispositions aussi serieu-sement controversees a refuser d’entrer en condamnation (en ce sens, par exemple, Pau, 18 nov. 1953, D. 1954. 229). Relaxes que les avant-projets de reformę du codę penal de 1978 (art. 42) et 1983 (art. 33) voulaient legaliser en erigeant en cause de non-culpabilite 1’erreur de droit non fautive du prevenu.
II. — Deuxieme raison : consequence de 1’imprecision des textes, la notion de medicament que defend la Chambre criminelle est, non pas legale, mais avant tout doctri-nale et jurisprudentielle. La distinction qu’elle fait entre trois sortes de medicaments (medicaments par presentation, medicaments par composition, medicaments par fonc-tion) est une construction nee des reflexions des auteurs et des juges (cf. a cet egard les obs. tres explicites de la cour de Limoges, aff. Patraud). Seduisante au plan intel-lectuel, elle se revele artificielle ainsi qu’on peut le verifier en s’en tenant aux trois affaires analysees.
Des boules de gomme qui ne sont des medicaments ni par composition, ni par fonc-tion, le deviennent cependant par presentation des lors qu’il est porte sur la pochette qui les renferme qu’elles sont bonnes pour le nez ou la gorge (aff. Jaud). II en va de meme pour la vitamine C si une mention portee sur son emballage a 1’imprudence d’affirmer « qu’elle apporte a 1’organisme certains principes indispensables a son bon fonctionnement » (aff. Dubois et autres).
Rev. sciencecrim. (3), juill.-sept. 1990