Cette patience inepuisable envers un homme qui etait au fond depourvu de 1’esprit sincere de soumission reąuis dans les ąuestions de la foi, rend encore plus etonnante son irritation en face de Grotius. II etait bien tragiąue que Jurieu, Ellies du Pin et Richard Simon se fussent glisses definitivement entre eux deux.
HORA RUIT.
Releve de ses fonctions d’ambassadeur en France, Grotius, en route pour Stockholm, sejouma quelques semaines a Amsterdam. II y rencontra Vondel, a qui il confia sans doute ses pensees les plus intimes. C’est un fait dont il ne faut pas negliger 1’importance. Grotius y mit sous presse son dernier ouvrage, dont il confia 1’edition aux soins d’un pretre catholique, parce qu’il craignait que les protestants n’en tronquassent le texte109). De concert avec 1’auteur, Vondel en avait traduit des extraits, avant meme que 1’edition latine ne fut achevee. Le savant mourut avant la publication de cette anthologie, qu’on a nommee alors son testament. On le represente dans la preface comme le bon Samaritain qui, eleve hors de Jerusalem, apprit dans la ville sainte a guerir les blessures spirituelles en y versant l’huile et le vin des Peres de l’Eglise 17°). Dans l’oeuvre elle-meme Grotius conseille aux reformes de se soumettre au Saint-Siege, ou Dieu a bien permis que les moeurs se soient corrompues, mais jamais la doctrine. II y defend tous les dogmes essentiels du catholicisme. Apres un tel temoignage on n’a pas besoin de vouloir a tout prix penetrer dans le secret de Rostock, ou Grotius, qui avait pris comme devise pour sa vie „hora ruit”, a ete surpris par le temps coulant trop vite. II a acheve son oeuvre. II n’a pas pu achever sa vie. II a eu une hate extreme de quitter la Suede, et a precipite son voyage vers un but inconnu171). Etait-ce pour atteindre Paris et s’y convertir ouvertement au catholicisme?172). Toujours est-il qu’il n’a pas atteint son but terrestre. Hora ruit. Le temps lui a echappe. Heureuse-ment ce temps n’avait aux yeux de Grotius qu’une valeur tres relative devant 1’eternite a laquelle il n’avait jamais cesse de penser, au point qu’il avait toujours celebre son anniversaire au jour de Paques, puisque la naissance naturelle n’a de sens que dans la Resurrection 17S).
169) Lettres a Guillaume Grotius du 26 janvier 1641 et du 7 juin 1642, Epistulae, p. 911, 937.
17°) Vondel, CEuvres completes, t. IV, p. 626.
171) P. Winkelman, o.c., p. 283.
172) Ainsi que 1’affirme l’avocat gśneral Jeróme Bignon, a qui il 1’aurait assure avant son depart pour la Suede (cf. (Euvres de Messire Antoine Arnauld, t. III, p. 259).
173) A. Haentjens, o.c., p. 154.
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