salut”. II avait rendu en effet ces sentiers d’une etroitesse etouffante. II semble vouloir reduire a un cercie infiniment restreint d’elus le nombre de ceux qui gouteront les effets salutaires de la Redemption. Pour la justification par le sacrement de penitence il exige des pecheurs au moins un commencement d’amour de Dieu pour Lui-meme. Cest une these que le Concile de Trente semble avoir preferee, et que Bossuet a soutenue lui-aussi 230). Elle ne peut prendre un sens condamnable que par la conception sur la grace de celui qui la manie. Bień que Neercassel n’ait jamais fait sienne la doctrine de la „massa damnata” pour laquelle la mort expiatoire du Christ n’aurait porte aucun fruit, son livre effleure de tres pres cette doctrine desesperante231). En a-t-til ete effraye lui-meme? En tout cas, dans la seconde edition il a corrige les termes les plus offusquants 232). Que Neercassel ait ete fascine par les revendications des jansenistes en faveur de la charite divine, on ne peut pas lui en faire un crime. Ce n’est pas pour avoir ete les propagandistes enthousiastes de cet „amor Dei” que les jansenistes encourent condamnation. Leur faute consiste a ne pas avoir compris que Thomme, au lieu d’etre detruit par cet amour ou d’etre reduit par lui en un cruel esclavage, est au contraire libere par son incorporation dans la vie divine. Leur erreur fatale est de ne pas avoir reconnu en 1’homme 1’image de Dieu, d’avoir meconnu que meme apres la chute cette image est restee en lui, bien que defiguree. Le tragique de leur destinee est qu'ils ont du se perdre ainsi dans la contemplation sterile de la „massa damnata”. Neercassel — nous l’avons deja dit — a refuse expressement de les suivre dans cette voie.
Les deux eveques ont fini par desirer se connaitre personnellement. Bossuet en a parle le premier 233). Neercassel aurait donnę tout au monde pour ce moment heureux. Mais il est trop realistę pour n’en pas voir Tim-possibilite. Reprenant une image de TEvangile, il soupire: „Vraiment, entre vous et moi il y a un grand abime 234), de sorte que j’ose a peine esperer cette felicite” 235). Sur cette reminiscence biblique leur correspon-dance se termine. Depuis ce moment nous n’avons plus d’eux que trois lettres insignifiantes. II y a lieu de croire qu’il doit y en avoir eu d’autres qui se sont perdues. Perte d'autant plus regrettable qu’elles nous auraient peut-etre donnę des renseignements sur les troubles qui ont eu lieu en Hollande a la fin de la vie de Neercassel, et auxquels le nom de Bossuet a ete lie.
230) j Truchet, dans la Revue d'Histoire de la Philosophie et d’Histoire Generale de la Civilisation, Nouv. Serie, Fasc. 35 (juillet-sept. 1943), p. 193 sq.
231) L. J. Rogier, o.c., t. II, p. 225.
232) 1685. Chose etonnante, cela n’a pas sauve le texte original d’une condamnation „donec corrigatur”, en 1690, sous Alexandre VII. (Cf. Ib., t. II, p. 253).
233) La Lettre du 23 juin 1683, Correspondance, t. II, p. 381.
234) „Verum inter nos et vos magnum chaos interpositum est”, Luc., XVI, 26.
236) Lettre du 22 juillet 1683, Correspondancej t. II, p. 384-385.
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