guerriere.
En effet, lorsque ł’on se donnę encore la peine d'etre inąuiet, c'est qu'il y a de l'espoir. N'oublions pas que c'est quand il n'y a plus aucun espoir de guerison que l'on commence a cacher au malade qu'il va mourir. Tant que la mort est envisagee comme une possibilite, voire une probabilite angoissante, elle reste possible a repousser. Tant que l'inquietude peut s'exprimer, elle porte en elle l'ambivalence du sentiment qu'elle produit: l'avenir peut etre bon ou mauvais. L’incertitude n'angoisse que si les denouements potentiels de la situation ne se valent pas. L'inquietude est une emotion personnelle et forte, car elle masque un avenir qui nous importe, elle laisse entrevoir deux ou plusieurs Solutions, dont certaines nous plaisent plus que d'autres. Quand il n'y a plus d'espoir, il n'y a plus d'incertitude.
C'est pour cette raison que fon prefere les mensonges qui consolent aux verites qui assassinent, d'apres Nietzsche. Finalement, inquieter revient a rassurer. L'espoir et l'inquietude vont main dans la main, dans la foret obscure emotionnelle de 1'incertitude. La verite, c'est ce a quoi l'on ne peut echapper. Elle se confond d'ailleurs avec la justice, dans la philosophie du jugement demier, ou Dsieu qui a la fois sait tout et est apte a tout juger, retablit la justice sur le critere de la verite. Quand le double couperet de la justice et de la verite tombera, plus d'espoir de redemption. II sera trop tard. C'est en ce sens que la verite assassine. Le mensonge au contraire fait coexister aux cótes de la verite qui n'a pas encore ete etablie une autre version, qui n’est pas encore infirmee. Elle se fait passer pour la verite, mais ne s'y substitue pas: en effet, invisible, souterraine, la vraie version existe en meme temps que la fausse. Les deux versions coexistent donc, jusqu'a ce qu'elles se rencontrent et que (theoriquement, dans le meilleur des mondes), la verite chasse le mensonge. Le mensonge existe donc dans cet espace d'incertitude que nous avons deja esquisse, entre le maintenant, certain car palpable et le plus tard, qui arrivera mais dont on ne connait pas grand chose. Si le mensonge console, c'est qu'il permet de fantasmer ce « plus tard ». Nous parlons ici bien evidemment des mensonges «positifs», destines a proteger celui qui 1'entend, pas le mensonge venimeux de Danglard qui envoie le comte de Montecristo au cjhateau d'If pour quatorze ans. Mentir a quelqu'un « pour son bien », c'est lui permettre une incertitude consolatrice. On peut douter du bonheur de cette consolation: vaut-il mieux effectivement ne pas savoir que l'on va mourir?
Toujours est-il qu'aujourd'hui le mensonge a vraiment valeur de pansement social. Ce n'est pas un hasard si euphemismes et langue de bois deviennent les langages sociaux « officiels »: on prefere adoucir la realite, car la perennite du monde, en toute objectivite, ne parait pas tres bien assuree. Nous nous abreuvons de mensonges pour eviter de faire face a une verite choquante, qui pourrait nous tuer, comme par exemple les etudes scientifiques pessismistes faisant etat d'une esperance de
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