Cette misę en gardę de Michel Pintoin n’est pas lancee a la iegere. Elle emane d’t auteur qui, conune plusieurs de ses contemporains, a une conscience aigue du pouvoir du veri sur Ies esprits. Le prince doit donc prendre gardę aux belles paroles, tout en se montram li nieme un habile orateur L’idee n’est pas entierement nouvelle: au IX* siecle deja, dans st Liber de rectoribus christianis, Sedulius Scot rangeait l’eloquence parmi les qualit necessaires au parfait gouyemant44. Cependant, au cours des demiers siecles du Moyen Ag cene exigence prend un relief nouveau, en rai son notamment de Paccroissement du poids di assemblees representatives, particulierement sensible dans les periodes ou Ies Eta monarchiques sont aux prises avec de graves difficultes militaires, politiąues ou financieres4 Entre le prince et Ies delegues des trois "etats", le dialogue est souvent tendu. En France,
capture du roi Jean II le Bon tors de la bataille de Poitiers (1356) oblige le dauphin Charles, di
0
de Normandie et lieutenant du roi, a convoquer des Etats generaux pour faire approuver levee des impots necessaires au paiement de la ranęon de son pere. En mars 1357, en retour < leur accord. les deputes arrachent au dauphin une import antę ordonnance de reformę46. Le pi d’empressement de Charles a la faire appliquer aggrave la crise ou s*afirontent d’un cote Ii partisans du dauphin, qui prend en mars 1358 le titre de regent, et de 1’autre le pai "reformiste" mene par Etienne Marcel, prevót des marchands de Paris, soutenu activement p; le roi de Navarre, qui pretend a la couronne de France. Pour retablir son autorite face au pai navarrais et combattre la propagandę de ses adversaires, le futur Charles V doit plusieurs fo s’adresser "de sa bouche"47 a la foule. Le 11 janvier 1358, aux halles de Paris, il prononc devant "grant foison de peuple" un discours memorable: "et furent ies paroles du dit duc [c Normandie] moult agreables au peuple, et se tenoit la plus grant panie par devers lui'\ peut-c condition a prince, de non croire de legi er*' (Le Uvre des fais et bonnes meurs du sagę rov Charles V\ ed. citó L 1. p. 175).
44 Mignę, Patrologie latine, L 103, col. 304; citć par J. Kiynen, Ideał du pnnce er powoir royaL p. 130.
45 En Aragon, a partir du regne de Jacąues II (1213*1276), la coutume veut que les assemblees parlementair soient inaugurecs par un discours solennel prononce par le roi lui-meme: voir M. D. Johnston. "Parliamenta Orator>' in Medic\al Aragon”, p. 102.
46 La "Grandę Ordonnance” de 1357, qui apparait aux yeux de J. Calmene conune une veritable ”1 oonstitutionnelle”, prevoit notamment 1’ćpuration du Conseil et des senices administratifs, aing que la rćunic pćriodiąue des Etats. charges de controler 1’octroi des subsides et d*assurer la "stabilne du systeme monćtaire du regimc 6conomique” du ro>aume (Joseph Calmctte, Charles l\ Paris, Arthćmc Fa>ard, 1945, pp. 92*94).
41 Chroniąue des regnes de Jean II et de Charles Vy dd. R. DelachenaL Paris, Renouard / Socićte de Hiistoire i France. 1910*1920. L l, p. 96 (discours prononce le 20 jamier 1357, dans la Grand Chambre du Palais de Cite a Paris. de\ant une assemblće de Parisiens dont Etienne Marcel). Malgrć les rć$erves formulees par 1 Delachenal (ibid., L 3, pp. XII*XIX), rattribution dc cette partie des Grandes Chroniąues de France a Pier d'OrgemonL qui ful chancelier de France de 1373 ś 1380, est genćralement acceptće: voir B. Guenće, "L Grandes Chroniąues de France", p. 201.