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modifient en completant 1’imaginaire collectif des Franęais d’elements nouveaux, inattendus. L’alterite est misę en ćvidence au moment ou le connu, le familier, l’apprivoise sont confrontćs a 1’autre, au bizane, au nouveau. Cet instant devient crucial pour 1’auteur provenant du pays regardant confronte a un pays regarde, l’ecrivain est invitć a qualifier et a nommer cette realitć parfois radicalement opposće a la sienne, mais pour faire cela il est oblige de comparer Je a 1’Autre. Dans le rćseau de toutes sortes de comparaisons et de traductions, Je se dćfinit lui-meme, il accom-plit, comme 1'ecrit Pageaux, «une autotraduction.»55 Nous avons dit que le monde decrit peut etre radicalement different de ce qu’on connait, mais avouons aussi que Je peut differer peu de 1’Autre et le degre de cette dif-ference n’est pas une donnee stable. En tout etat de cause la dialectique «le meme»-«l’Autre» s’avere inevitable.
A l’epoque qui nous interesse, le monde maghrebin demeure soumis dans la litterature a une instrumentalisation aussi bien politique qu’estheti-que : le phenomene de la litterature coloniale comprise comme 1’accomplis-sement des preceptes donnes par les Algerianistes pourra etre interprete de cette faęon (ce dont nous avons parlć dans le premier chapitre de notre travail). Le lexique qu’on utilise dans les ouvrages etiquetes ainsi semble peu innocent, au contraire, il devra etre un moyen efficace pour transposer une «rćalite» definie comme peu connue et il doit la «rendre» selon le gout des peres de cette ecole litteraire qui restait, rappelons-le, fortement mar-quee par 1’ideologie coloniale.
Louis Bertrand qui est considere comme le pere spirituel de ce mouve-ment littćraire, se prononce pour la latinite de l’Afrique du Nord qui en tant que
pays sans unitę ethnique, pays de passage et de migrations perpetuelles, est destine par sa position geographique a subir 1’influence ou 1'autorite de 1’Occident latin...; elle est vouee soit b 1’anarchie congenitale, ou bien ... a 1’hegemonie latine, qui lui a valu des siecles de prospćrite.56
Ce propos pourrait etre compris comme une Ićgitimation de la colonisation franęaise de l’Afrique du Nord: 1’acte d’occupation des terres africaines s’inscrit d’apres Bertrand dans la longue histoire de la coloni-
55 Ibid., p. 65.
56 L. Bertrand, La Cina, Paris, 1901, chap. 11, p. 30 in Litterature et Colonialisme, op. cit., p. 75.