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sation latine et la France, hćritiere de 1’Empire romain, d'apres Astier Loufti, renoue avec cette tradition : 1’implantation de la civilisation musul-mane apparait pour Bertrand comme un fait passager et triste. II a deja sa conception de la latinite africaine «d’une race neuve, energique, faite de la rencontre des peuples mćditerraneens sur un sol autrefois feconde par la Romę paienne et chretienne.»57 Ces peuples, ou les races comme le veut Bertrand, pourront insufTler un renouveau au Maghreb et surtout a l'Al-gerie car il s’agit non seulement de Franęais (surtout des Alsaciens et des Provenęaux), mais aussi de Maltais, d'Italiens et particulierement d'Espa-gnols. Le roman Le Sang des Races publie pour la premiere fois dans la Revue de Paris (novembre 1896-janvier 1899), ensuite chez Ollendorff en 1899, est justement celui du peuple neuf qui semble rćaliser les espoirs de Bertrand; en effet le protagoniste de ce roman est le roulier Rafael, ne en Algerie de parents espagnols, qui parcourt les routes du Sud en tran-sportant des marchandises. On y trouve aussi des representants d’autres «races» mais on apprend vite apres la lecture de quelques pages que c’est la race espagnole qui dominera les autres dans ce livre, ce qui montre la modification du projet de prćsenter ćquitablement toutes les races pre-sentes dans cette colonie; «c’est le roman de Timmigration espagnole en Algćrio)58 dont 1’action se deroule aux environs de 1890-1900, donc a une ćpoque ou
le roulage etait le moyen par lequel cette colonisation pouvait se propager vers le Sud. Le chemin de fer existait, mais il ne se ramifiait pas encore vers Djelfa. En devenant le romancier des rouliers, Louis Bertrand celebrait un des elements essentiels de notre penetration vers le Sahara,59
constate Maurice Ricord. Le dessein de Bertrand est donc ambitieux et il merite notre reflexion qui porte sur 1’image de l’Autre dans les textes franęais portant sur le Maghreb. Puisque le propos de ce sous-chapitre est d’etudier le lexique de quelques textes coloniaux, rappelons ici 1’obser-vation de Jean-Louis Calvet pour qui:
Tout commence par la nomination. Le mepris de 1’autre [...] se manifeste des les premiers contacts pre-coloniaux dans 1’entreprise taxinomique. II est un phenomćne vieux comme le monde qui consiste a nommer les autres d’un terme pejoratif, ce terme faisant souvent reference aux differences linguisti-ques encore une fois converties en inegalite : les Grecs baptisent “barbares”
57 M. Ricord, Louis Bertrand 1'Africain, Librairie Arthćme, Fayard, 1947, p. 184.
58 Ibid., p. 197.
59 Ibid. p. 201.