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A
annee apres son mariage, son mari est condamnć k dix ans de travaux publics, elle ne veut pas retoumer dans sa tribu ni etre remariee, mais elle desire rester librę pour attendre Jacąues. Aprós avoir ćpuise ses demiers sous, sans moyens pour vivre, elle est contrainte k la prostitution. Elle rencontre son Mabrouk cinq ans plus tard; ii revient k Batna avec «sa jeune femme, delicate et jolie Parisienne»153 et comme il passe devant le cafe ou se trouve Yasmina, elle bondit de joie, mais son bonheur est court car elle apprend 1'atroce veritć sur Jacąues. Malade, toussant, elle jette son mouchoir ensanglante a la figurę de Jacąues ąui lui tend une bourse d’argent:
elle le saisit au poignet, le tordant et dispersant dans la poussiere les pieces jaunes. - Chien lachę! Keferl [...] Samra, la nćgresse, etait accourue [...] -Smina, ma soeur, mon ame, ne pleure pas... lis sont tous comme ęa, les roumis, les chiens fils de chien.154
Cette fois-ci les memes mots offensants reviennent, mais dans un contexte tout a fait tragiąue ąui justifie, dans une certaine mesure, l’em-ploi des injures. La mort de chagrin de Yasmina la Bedouine temoigne encore plus fortement que la rencontre des deux races semble ici impossible.
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L’amour tragiąue d’une femme indig&ne pour un jeune medecin franęais est aussi le theme principal de la nouvelle Le Major : on pourrait essayer de comparer ces deux textes et de voir reffort d’Eberhardt d’ćvi-ter toute simplification dans la presentation de ce qui est autre. Comme pour complćter 1’histoire de Yasmina, l’auteur y introduit son hćros Jacąues ąui est selon le capitaine Malet
imbu d’idees humanitaires, sociales et autres... du meme genre. Heureuse-ment qu’il n’est que medecin et qu’il n’a pas k se meler de 1’administration... [...] Aussi pourąuoi nous envoie-t-on des gosses! Si au moins c’ćtaient des Algeriens... Et le capitaine s’attacha des lors a montrer franchement, froidement au docteur sa desapprobation absolue. Cela attrista Jacąues. S’il ne se soumettait plus au juąement des hommes, il souffrait encore de leur haine, sinon de leur mepris.
Ibid., p. 114.
154 I. Eberhardt, Ecrits sur le sable, op. cit., p. 116.
1551. Eberhardt, Le Major, in Ecrits sur le sable, op. cit., p. 160.