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changement pour cause de sante, mais la vraie cause de sa dćmission est son besoin d*Stre librę : «Je veux etre libre»167, dit Jacques ce qui peut etre compris comme le signe d’un changement radical, de son choix. Et ce pays qu’il aimait tellement lui semblait «quelconque», indififćrent, incon-nu, comme a son arrivee, comme si rien ne s’ćtait passć. Meme Embarka a la prison le deęoit car elle 1’accuse de l’avoir laissć emprisonner, la sepa-ration est donc dćfinitive, aussi bien avec cette femme qu’avec le pays que Jacques quitte a son heure preferee, le coucher du soleil. De nouveau le vocable «triste» revient : les petits hameaux sont tristes et Jacques ressent «une grandę resignation triste» , quittant le pays a ce moment de la joumće oii tout baigne dans le rouge, meme les deux spahis rencontres sur la route, cette atmosphere de la fin du jour approchantę est «un paysage d’ame» de Jacques qui a perdu sa bataille au Souf et qui sait que
tous ses reves finiraient ainsi, qu’il s’en irait exile, presque chassć de tous les coins de la terre oii il irait vivre et aimer. En effet, il ne ressemblait pas aux autres, et ne voulait pas courber la tete sous le joug de leur tyrannique mćdiocrite.169
Le mot «autre» de nouveau prćsente dans le texte en italique parait avoir un sens Capital dans cette nouvelle qui pourrait avoir pour titre «comment devenir autre parmi les siens.» Jouant avec ce mot, Eberhardt montre 1’impossibilite du dialogue non seulement entre les Franęais et les indigenes (1’amour impossible de Jacques et d’Embarka), mais aussi un dialogue difficile entre les jeunes ofliciers franęais et la hierarchie coloniale.
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Sous le Joug, la plus «politique» des nouvelles ecrites par Isabelle Eberhardt, selon Delacour et Huleu, est une prouve sa connaissance parfaite du monde du bied. Cette fois-ci on se retrouve de nouveau dans le Sud algćrien, le Souf, parmi les membres d’une tribu berbere, venue du Nord, qui est dćpositaire des moeurs et du langage des Chaouiya. Comme Yasmina, Tessaadith est une bćdouine dont 1’enfance fut pauvre mais heureuse, elle «[...] s’ćtait passće dans le silence des sables, que les quel-ques bruits du hameau ne parvenaient pas a troubler, immense et eter-nel».170 Elle aime aussi les couchers du soleil quand elle monte sur “7 Ibid., p. 174.
'“Ibid., p. 175.
'** Ibid.
I7' 1. Eberhardt, Sous le Joug, in Ecrits sur le sable, op. cit., p. 177.
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