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Les mots sont dans le texte en italique, et le sćrieux du ton du lieute-nant conceme la situation dans laquelle un quelconque essai de dialogue avec 1’autochtone parait suspect pour les supćrieurs militaires. Yahia recevra le titre Si, qu’on donnę la-bas aux lettrćs et aux sages, mais il le meritera en tant qu’entremetteur, car c’est lui qui arrangera les rencontres d’Auligny avec Rahma, bćdouine, cueilleuse de branches, que le jeune lieutenant appelle Ram. Ce changement du nom de la jeune filie est du aux souvenirs de 1’enfance de sa soeur, l’ćpoque des comptines des petites filles : «Am stram dram Pic et pic et comegram»197; par Pinterme-diaire du langage, Auligny espćre apprivoiser la jeune filie arabe. Cette innocente comptine semble etre une anticipation de Papologie de Pen-fance presente dans la deuxieme partie du roman a la fin du chapitre XVI; Auligny decouvre
ce qui faisait la singularitć de son sentiment pour Ram. C’etait qu’il se sentait devant elle ensemble un amant et un pćre. [...] II croyait comprendre, maintenant, que les Orientaux, plutót qu’ils aiment la femme, aiment Penfance. L’enfance est pour eux un troisićme sexe [...].,9®
Avant la premierę rencontre avec Ram, le lieutenant se pose la que-stion fondamentale qui est, selon Levinas, une condition du dialogue :
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«QueI etait le visage, a cette petite?» ; dans cette question posće au de-but de la liaison qui s’epanouira en l'amour d’Auligny pour Ram, se cache 1'importance du visage de PAutre, le visage toujours innocent compris comme un defi pour celui qui le regarde et qui parle a PAutre. Le dialogue entre Ram et Auligny ne correspond pas a Pepanouissement du sentiment du Franęais. Ram qui parle franęais est toujours polie et obćit a Auligny, mais leur faęon de parler fait penser plutót au dialogue entre un maitre et son esclave malgre tous les efTorts d’Auligny de sortir de cette impasse :
- Tu reviendras? lui demande Auligny. - Si vous voulez. - Veux-tu demain, a la meme heure? - Si vous voulez. Si vous voulez, toujours! II avait envie de lui donner ce nom : “Si vous voulez.” II lui ouvrit la main, mit dedans, plies en quatre, deux billets de dix francs, qu’elle ne regarda pas, [...], et ouvrit la porte. Dehors, elle dit : “Bonsoir”, de sa voix basse, sans se retourner.200
1,7 Ibid., p. 116.
,,ł Ibid., p. 344.
,w Ibid., p. 120.
200 Ibid., p. 130-131.