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18 LE MAROC CATHOLIQUE

En France qu’aurait-on dit de cette musique ct de ces artistes ? Ici, le dćcor fait tout passer, sinon tout gofiter.

Parfois, pour varier les plaisirs, les artistes se met-tent k chanter. Font-ils exprćs de chanter du nez ? le voudraient-ils, qu’il leur serait difficile, je crois, d’arriver a une perfection plus grandę dans le genre. C'est peut-ćtre cela qui, 1& haut, derrićre les tentures qui les ca-chent, excite l’enthousiasme des femmes, car k peine le chant s’est-il ćteint, qu’elles se mettent a lancer les rou-lements de leurs yous yous stridents, cris de joie sans doute, en ce soir de fete, raais qui paraissent sauvages a. nos oreilles d’europćens.

Durant toute cette premierę journće des noces la maison du fiancć ne desemplit pas. Parents et amis se succedent, venant fćliciter l'heureux papa et le non moins heureux fiancć. Celui-ci, avec son pćre, fait les honneurs de la maison. Tous deux conduisent les invitćs dans la salle de rćception, dirigent le service, invitent les uns et les autres k savourer le thć k la menthe qui fume de tous cotćs, k gofiter de toutes les friandises amoncelćes dans les plateaux, relancent les musiciens lassćs d'avoir tant gesticulć et crić, et celć sans se dćpartir jamais de cet aimable mais discret sourire si special aux physionomies marocaines.

Et toute la journće se passe ainsi a festoyer. A la tombće du jour, un peu de rćpit cependant, mais qui ne durera gućre, car au beau milieu de la nuit, nouvel afflux d’invites qui viennent assister ii la cćrćmonie trćs origi-nale du transport de la fiancće au domicile de son futur mari. Dans le patio de la maison, ćtait expose depuis le matin r«Ammaria», 1’instrument — si Ton peut dire — qui servira au transport, sorte de palanquin ou, plus exactement sinon plus ćlćgamment, sorte de grandę cage ornće dc tentures et de soieries, ou l’on enfermera la fiancće, derrićre de gros cadenas, durant le temps de son . transport au logis de son fiancć.

Mais avant que le cortćge et 1’ammaria n’aillent chercher leur prisonnićre, a lieu dans la maison meme du fiancć une autre ceremonie : C’est 1'offrande, faJte par les invitćs, du don qu’ils font au nance ii 1’occasion de ses noces : Ceux-ci l’un aprćs 1’autre passent devant un ami dćsignć pour cet office et lui remettent leur obole. Autre pays, autres mceurs : chez nous on se garderait bien de publier 1’importance du don, la plus ou moins grandę gćnerosite des uns et des autres. Ici, cette pudeur n’existe pas, 1’ami qui a reęu le don, se hfite au contraire d’en publier k toute voix la valeur.

Puis toute 1’assemblće des invitćs part vers le domicile de la fiancće. L’ammaria est amenee devaut la porte, la mere y transporte sa filie, la met en cage, ferme elle-meme les verrous, met les cadenas et remet la clef k un tiers. Celui-ci va la remettre au pćre du fiancć qui sur le seuil de sa maison attend le cortćge. Bruyamment celui-ci traverse les rues calmes de la 7ille endormie, tan-dis que sur les epaules de quatre porteurs oscille et tan-gue Tammaria et sa prisonnićre. Dćlivree de sa prison par son nouveau beau-pćre, celle-ci est introduite chez son fiancć. Minutę ćmotionnante que celle oii le fiancć et la fiancće devenus ćpoux de par la volonte d’Allah et de

leurs parents, se trouvent, sans s’ćtre jamais vus, lies

par le mariage, et font enfin connaissance l*un de l'autre

Passćes les ćmotions de cette premićre journće dc

fćte, la noce va se poursuivre sept jours encore : sept

jours durant lesquels il va falloir subir les chants mono-

tones et les voix aigres des chirates, chanteuses de pro-

fession ; puis tout rentrera dans le calme : Si-Mohamed

va reprendre 5. la kessaria sa vie paisible de commercant;

Ahmed, lui, va reprendre sa place dans la petite boutique,

entre le marchand de beurre et le marchand de menthe.

Pas de changement au fond dans sa vic : La femrae tient

si peu de place dans la vie d'un marocain.

*

**

Et voici qu’a peine, chez mon voisin d’a cotć se sont tus les derniers ćchos de la fćte, que mon voisin d'en face reęoit la visite de la mort. Zora, sa vieille compagne vient de mourir. Bien vite les « laveuses de morts » sont venucs se mettre k l’ouvrage. On n’aime pas, ici, rester en com-pagnie d’un cadavre, chose impure. Et le lendemain meme, la depouille partait vers le cimetićre sur un brancard.

Le soir de la ceremonie la petite maison s’emplit dc monde : cc sont les Tolba qui s’assemblent afin de prier pour la dćfuntc. Ils sont la une quinzaine, tous de la con-frerie des Aissaoua, k laque’lc appartenait Zora, et. divises en dcux chceurs, ils commrnccnt a psalmcdier los versets du coran. La prićre s'interrompt un moment par le repas. donnć en Fhonneur de la dófunte, puis roprend ct, 3ccon-dće par les tambourins, se prolongc longtcmps, trćs long-temps dans la nuit.

Puis tout est retombć dans la calme ; la vie a repris dans la petite rue son train-train habituel. II semble qu’on oublie trćs vite, ici, les ćvenements passes. Je demande Mohammed, le petit fils de la dćfunte ou est partie sa grand-mćre. Sans aucune marque d’ćmotion, avec autant de dćsinvolture quc lorsque par la fenetre entr’ouverte il vient me demander : atini fanida, oula. ssanduq oula fsouira, un bonbon, une boite ou une image, il me repond: On l'a emportee au cimetićre... avec l’air de me dire : on ne la voit plus, n’en parlons plus.

Quelqu’un pourtant n’a pas oublie la dćfunte : c’est son mari, un petit vieux tout ridć a la barbiche toute blanche... la terreur de Mohammed et de ses saeurs. La mort de sa femme semble lui avoir fait perdre toute son ćner-jgie : je le rencontre au soir de 1’enterrement, dans la petite rue de 1’Eglise, accroupi sur le trottoir, le dos appu>ć au mur, les genoux ramenćs k hauteur du menton, restant lć, immobile, des heures durant : rien ne semble plus l’ć-mouvoir : ni les « baleks » des indigćnes qui poussent leurs bourricots, ni les piaillements des gosses qui se dis-putent jusqu’entre ses jambes ; on le dirait pćtrifić. Pen-se-t-il au temps passć, k celle qu’il a perdue Z ou tout simplement estimant sa vie finie, s’abandonne-t-il a son destin, sans plus mćme penser ni reflćchir ! A q.uoi bon, aprćs tout, le lui demander ? il se tairait, ferait peut-etre un effort pour lcver les yeux, mais tout juste pour me signifier : «passe ton chcmin et laisse-moi, tu as ta voie, j’ai la mienne, tu as tes soucis, j’ai les miens, gardę les tiens et laisse<noi porter seul les miens ■».

C.A P., c f.m.



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