Toutes ces propheties, prises individuellement, sont comme des legendes de photos qui n'existent pas encore. Elles completent, en un sens, l'oeuvre de la DDC qui presente au monde des images « delegendees ». L'image, sans son texte, et le texte qui n'a pas encore d’image constituent en ce sens deux facettes du temps: un present et un passe qui ne se peręoivent qu'a travers un prisme pictural: les textes des joumaux nous evoquent des images, qui nous rappellent celles de la television, des sites de partage des videos dans la rubrique actualite, ou encore des photographies de joumaux, de magazines... D'autre part, les propheties nous presentent un futur qui ne s'anticipe que par le texte. Le reel futur ne peut se concevoir en images, et la science fiction ne pretend pas se substituer au reel. Elle reste dans le domaine de 1'imaginaire. Images d'aujourdfhui depourvues de texte et textes de demain non illustres dessinent a eux deux 1'espace du monde, qui est a cheval sur hier, aujourd'hui et demain. Ce tracę du monde n'est ni homogene, ni coherent. Comme les sun-dogs, ces phenomenes de reverberation solaire dans le ciel polaire decrits par Jack London: ils produisent 1'illusion que plusieurs soleils brillent dans le ciel, la reverberation du reel sur les images qui en sont faites et les textes qui Tanticipent donnent une representation du monde eclatee, mosai'que de bris de miroirs, qui correspondent aussi a la multiplicite des points de vue et des verites.
Cette faęon de voir le monde possede un antecedent: les cut-up de William S. Burroughs, souvent decrits comme le passage a 1'abstraction en litterature comme cela s'etait produit pour l'art au debut du Xxe siecle. Le cut-up correspond au decoupage et a la recomposition de differents supports ecrits , joumaux, textes litteraires, catalogues etc. Le desordre du fouillis ainsi obtenu et 1'impression de deja-vu qu'implique la familiarite avec les textes, qui font partie de nos routines, « permettent de se rapprocher, au plan formel, de la logique de perception d'un individu plonge dans un environnement dont il ne maitrise par defmition pas les stimuli87 ».
La Beat generation a laquelle appartient Burroughs, avec les autres « anges de la Beat generation » (comme les a appeles Regina Marler) Kerouac et Ginsberg, avait ainsi, par ces processusd'ecriture, 1’ambition de coller a une certaine realite: celle de l'individu, parfois drogue et hallucine, certes, mais surtout plonge dans une constellation d'ecrits et d'images, dont la logique, predefmie par d'autres (les magnats de la presse ou de la publicite) lui echappe.
Accolee au futur, cette faęon d’envisager le monde depuis 1'angle de l'individu pourrait s'apparenter a une seancc de cartomancie: lc patient voit s'etaler devant lui des cartes dont il ne comprend ni la 87 Www.wikipedia.fr