Pour Jacąues Bouveresse, le pouvoir prophetiąue donnę sa puissance a la satire. La critiąue vaut d'autant plus que son pessimisme se trouve verifie. Cest la capacite predictive de la satire qui justifie la perennite de la critique, sa necessite toujours renouvelee. Cest parce que la satire, en tant que formę la plus elevee de la critique sociale, a ete visionnaire, qu'elle continue d'etre pratiquee.
La revelation prophetique de la satire tient ainsi dans la demystification. Le site biffures.org ecrit, a propos du Karl Kraus decrit par Bouveresse: « Toujours chercher a reveler les faux-semblants dont se parent les discours politiques et joumalistiques. La denonciation de ces mensonges ethiques conduit Kraus a identifier, apres Hannah Arendt, les risques de la banalisation du mai.121 »
11 s’agit bien de demystification, lorsque Thierry Ehrmann, par ses propheties, nous explique comment 1’actualite du monde se construit, par petites touches d'une ligne. Ces propheties, comme on l’a vu, ouvrent bien le rideau sur la scene du monde. Mais elles en devoilent aussi les coulisses. Qu'importe qufelles participent a une autre entreprise mystificatrice, celle, obscure, de la DDC. La representation est toujours une mystification. Lorsque I'on visite les coulisses de la scene, on ne s'en trouve pas moins dans Tespace theatral, comme, lorsque Ton demystifie le monde, on ne s'en trouve pas moins au monde. La demystification ne s'accumule pas au trop de realite denonce par Annie Lebrun. Si elle critique la faęon dont 1'etude des grands poetes finit par se substituer a leur poesie, la demystification prophetique de la satire est une tout autre demarche. Elle supprime du reel, plutót qu'elle n'en ajoute. Elle supprime le reel nocif des mots creux, des facilites langagieres, des glissements de sens ou de formule, qui aseptisent la langue. Elle nous reapprend a considerer le langage non comme un outil social de communication, mais bien comme une demarche de decouverte du monde. Elle deconnecte la langue de sa fonction de lien aux autres, dans la mesure ou ce lien a tendance a devenir, via les routines et les moeurs, un simple rapport descriptif, qui rappelle constamment ce que les hommes qui partagent une langue ont de commun. La satire eleve un individu au rang de prophete, car il s’empare du langage pour exprimer sa propre vision, et cette vision ne correspond pas au devenir du monde. Cet individualisme de la satire n’est cependant pas exempt de fratemite: c'est bien pour ameliorer la condition humaine que le satiriste prend la parole. C'est la toute la dualite de 1’insociable sociabilite theorisee en physique par Newton et reprise par Kant dans Idee d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique: lłiomme ne peut rien faire tout seul, il desire etre en communaute122. II cherche cependant a se distinguer de cette communaute,
12lSimon Daireaux, De Tenseignement de la satire. Www.biffures.org, 122In Opuscules sur l'histoire, Flammarion, 2001