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Les elements du paysage comme le ciel, les oiseaux, les dunes du desert deviennent immobiles, morts, comme s'ils revelaient l'etat d'ame d'Auligny devenu sterile, figę, stagnant; la deception amoureuse com-mande ici la perspective spatiale, elle va encore plus loin: jusqu'a la con-firmation des stereotypes sur 1'Orient. Uassombrissement du paysage, son caractere obscur montre aussi a quel point 1'indigene reste enigmatique, quoique toujours fascinant derrićre le voile, compris ou bien de maniere litterale, ou comme une impossibilite chronique de comprendre 1'Autre dans toute sa difTerence.
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Isabelle Eberhardt en tant que representante de roman colonial indigenophile (opinion d'Alain Calmes), reste precise dans 1'utilisation de ses indices topiques accompagnes souvent d'une espece d'aura mćlanco-lique, decadente, ou bien d'une ambiance de renouveau, de fraicheur. Cette predilection pour les extremes et particulierement
une interminable succession de levers et de couchers de soleil [...] cor-respond parfaitement aux cyclothymiques flux et reflux de l'ecrivain partage entre le besoin de 1'action et du renouveau et la passivite de la resignation. II n'est cependant pas besoin de se lancer dans un comptage minutieux pour s'apercevoir qu'au total les crepuscules 1'emportent largement sur les aubes. La fascination du declin et de la mort surpasse les promesses des aurores. D'ailleurs dans leur majorite les fictions d'Isabelle nous racontent des e\istences prematurement brisees, des destins tragiques, des vies avortees, des echecs lamentables que seule la mort peut sanctionner.287
Les trois nouvel!es d'Eberhardt que nous analysons ici montrent a quel point l’avis de Buisine est juste : Jacques, le heros de la nouvelle Le Major, aime se promener le soir
dans une ruelle des Acheche, dans le nord d'EI Oued, ou toutes les maisons etaient en ruinę et semblaient inhabitees. [...]. La nuit tombait et Jacques, assis sur une pierre, revait. II quitte El Oued, son pays aime, k 1'heure aimće, au coucher du soleil. Et, pour la derniere fois, il regardait tout ce decor qu'il ne reverrait jamais et son coeur se serrait.288
Tessaadith du Souf algerien, le personnage feminin principal de la nouvelle Sous le Joug, aime
287 A. Buisine, L'Orient voi/e, op. cit., pp. 210-211. 2“ I. Eberhardt, Le Major, op. cit., pp. 165 et 175.