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traces romaines rappelle le passage des anciens envahisseurs latins dont les Franęais ne sont que les dignes successeurs. Toutes ces composantes du paysage et le choix de certains moments de la joumee, surtout l'aube et le crepuscule, renforcent un climat de mystere et de reve. Mais Eberhardt, si apte a decrire l'Afrique secrete, excelle aussi dans la description des habitats miserables ou aucune dose de mystere n'est de misę, au contraire, elle prćsente ces humbles demeures de faęon presque naturaliste :
Ce soir-la, Yasmina dut paraitre au cafe et chanter. Cetait dans une longue salle basse et enfumee dont le sol, hante par les scorpions, etait en terre battue, et dont les murs blanchis a la chaux etaient couverts d'inscriptions et de dessins, la plupart d'une obscenite brutale, oeuvre des clients. Le long des deux murs paralleles, des tables et des bancs etaient alignes, laissant au milieu un espace assez large. Au fond, une table de bois servait de comptoir. Derriere, il y avait une sorte d'estrade en terre battue, recouverte de vieilles nattes usees.293
Dans la nouvelle Le Major cette pauvrete de la demeure d'une veuve d'El Oued est encore plus frappante car sa chambre est presque vide : «[...] sur la table, une natte et quelques chiffons composaient tout le mobilier.»294
La pauvrete des espaces cios dans lesquels vivent les Arabes est com-pensee par la beautć du paysage que Yasmina la Bedouine, par exemple, sait apprćcier. Cette joie de vivre ne correspond pas au stereotype de l'Arabe defavorise par le destin et soumis a la volonte de Dieu, mektoub, donc passif, immobilise dans sa demeure; le reve de bonheur de Yasmina aupres de Jacques dement une telle perspective car la naturę semble un refuge pour la jeune filie, un espace de la liberte :
Quand ils voudront me donner au borgne, tu me prendras et tu me cacheras quelque part dans la montagne, loin de la ville, pour qu'ils ne me retrouvent plus jamais. Moi, j'aimerais habiter la montagne, ou il y a de grands arbres qui sont plus vieux que les plus anciens des vieillards, et ou il y a de l'eau fraiche et pure qui coule a 1'ombre... Et puis, ii y a des oiseaux qui ont des plumes rouges, vertes et jaunes, et qui chantent... 95
De meme 1'enfance de Tessaadith :
s'etait passee dans le silence des sables, que les quelques bruits du hameau ne parvenaient pas a troubler, immense et eternel. Elle jouait avec les petits chevaux et les petits chiens, autres enfants plus sauvages et velus. Parfois,
293 Ibid., p. 112.
2,41. Eberhardt, Le Major, op. cit., p. 167. 2,51. Eberhardt, Yasmina, op. cit., p. 102.