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elle se cache dans les tombeaux. [...] L'Occidental a accepte l'abandon et il a appris a vivre dans une sorte de vide affectif ou se developpent des aspira-tions vers la perfection, 1'absolu et 1'infini. Ces aspirations ont longtemps constitue l'essentiel d'un ideał que les civilisations d'Occident ont formę pour leur grandeur et pour leur tourment.450
Devenir colon ou explorateur correspond selon Mannoni a la realisa-tion des desirs d'enfance; cet acte s'inscrit en partie dans le mythe de Robinson qui n'est pas la seule tentative d'une vie primitive comprise comme contre-modele de la vie modeme qui a apporte 1'anonymat humain et la fragmentation extreme de la vie, privee de son statut communautaire. Peut-etre que la vie «primitive» accomplit les deux visees de 1'homme modeme : son desir de vivre seul pour pouvoir se recueillir et sa volonte d'appartenir a un groupe ou a une communaute.
Isabelle Eberhardt part dans le Sud algerien et marocain portee non seulement a ecrire des notes de joumal, mais elle y va aussi a la recherche de 1'autre diametralement oppose a 1'europeen; ce qui la pousse a l'aven-ture, c'est la volonte de decrire et d’exprimer 1'Orient confronte a 1'Occi-dent, et particulierement 1’Islam. Le desir de saisir Palterite extreme se montrera entre autres dans son inclination pour le travestissement qu'on pourrait comprendre comme un refus de sa propre identite qui va jusqu'a s'aneantir soi-meme dans le but d’annuler la distance qui la separe de l'autre; sa posturę n'aura rien d'exotique a cause de cette absence signi-fiante de la distance qui est le fondement meme de l'exotisme.
L'Autre, cela veut dire aussi le non-civilise, dont 1'instinct n'a pas ete maitrise par des canons moraux, et en cela est innocent. Devenir autre correspond aussi chez Eberhardt a abandonner des contraintes morales, selon elle oppressives, qui nuisent a la reconnaissance de sa propre naturę; le travestissement se revele donc non seulement un penchant a la decouverte de 1'autre radical, mais aussi, paradoxalement, un desir profond de se connaitre elle-meme; a ce moment, 1'attitude d'Eberhardt coincide avec celle de Gide.
Nous avons deja mentionne 1'attrait du mythe du bon sauvage qui correspond au «mirage des libres amours exotiques lequel a persiste jus-qu'a nos jours, etendu a tous les pays coloniaux.»451 Ce mirage tente aussi bien Eberhardt que Gide, meme Colette exprime ce desir souterrain en filigrane du personnage de Bernard.
450 O. Mannoni, Psychologie de la colonisalion, op. cit., pp. 222-224.
451 Y. Knibichler, R. Goulalier, La femme au temps des Colonies, op. cit., p. 29.