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Le bicentenaire de l 'Ecole normale supćńeure
C’est un sombre tableau que dresse M. Andler de la situation des mathćmatiąues en France au lendemain de la Premidre Guerre mon-diale : mathćmaticiens agćs, carrteres bloqućes pour les plus jeunes, domaines de recherche dćpassćs et isolement intemational, & quelques brillantes exceptions prds. Le redśmarrage se produit dans les annees trente. C’est l’oeuvre de quelques normaliens des annćes vingt emmenes par Andrć Weil, de la promotion 1922, qui se sont ini-ties aux mathćmatiąues hilbertiennes et qui commencent & occuper des positions universitaires. La plupart participent a 1’entreprise Bourbaki, lancee en 1935. L’esprit des mathćmatiques modernes penetre a l’ENS avec Henri Cartan, qui y est nomme professeur en 1940 (il y enseigne jusqu’en 1965, avec quelques interruptions, et y anime aussi un seminaire & partir de 1947). H. Cartan y formę la fine fleur des mathematiques franęaises d’apr£s-guerre, de Roger Gode-ment a Rene Thom et Jean-Pierre Serre. A partir du milieu des annćes cinquante, avec rarrivće d’une nouvelle gćnćration d’enseignants, le plus souvent normaliens (Gustave Choquet, Jacques Dixmier, etc.), la renovation bourbakiste gagne 1’enseignement supćrieur. Enfin, dans les annees soixante, la reforme touche 1’enseignement secondaire, et d’anciens normaliens (Andrć Lichnerowitz, Andrć Revuz, etc.) y jouent encore les premiers roles. La decennie soixante-dix marque une rupture, avec la diminution brutale des dćbouchćs dans 1’ensei-gnement superieur, la crise du paradigme bourbakiste et le dćvelop-pement des mathćmatiques appliqućes, longtemps negligees par 1’elite normalienne (i l’exception de Jacques-Louis Lions et de quel-ques autres).
L’article de M. Andler est l’une des premidres synthćses solide-ment documentees sur 1’histoire contemporaine de la discipline mathematique en France (considerće comme un champ scientifique). Le propos de Dominique Pestre est plus limitć : il s’agit pour lui d’illustrer, a partir du cas d’Yves Rocard, qui dirige le laboratoire de physique de 1’ENS depuis 1945, les transformations des pratiques physiciennes apparues aux Etats-Unis dans les annees quarante et importees en Europę apres la guerre, et d’analyser les formes speci-fiques qu’elles ont prises en France dans les annees cinquante et soixante.
On pourra reprocher a certaines contributions leur manque de dis-tance critique. II est difficile de commemorer sans, parfois, agiter 1’encensoir. Bień qu’inegal, comme tout ouvrage collectif, le livre du Bicentenaire formę cependant un ensemble honnete et rigoureux, qui rendra de grands services ^ 1’historien. Pour celui que rebuterait 1’austórite d’un travail de facture acadćmique, il existe des histoires illustrćes de l’ENS s’adressant h un plus large public. Le sympathique