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cTune memoire empoisonnee. J’aurais donnę tout au monde pour devenir amnesique.

J’ai pense me refugier dans quelque ile perdue de 1’ocean Indien, d’ou mes souvenirs de la vieille Europę m’apparaitraient derisoires. L’oubli vien-drait tres vite. Je serais gueri. Mon choix s’arreta sur un pays plus proche qui n’avait pas connu les tourmentes ni les souffrances du siecle : la Suisse. Je decidai d’y rester, aussi longtemps que mon sursis militaire me le permettrait.

Mes leęons au cours Florimont se prolon-geaient jusqu’a dix-neuf heures quinze et cette sorte d’hebetude dont je gardę encore aujourd’hui la nostalgie m’envahissait avenue de Rumine. Les immeubles et le Theatre municipal devant les-quels je passais, etaient aussi denues de relief qu’un decor en trompe-raeil. Place Saint-Franęois se dressait une vieille eglise du xiii^c siecle, qui n*avait pas plus de realite pour moi que les faęades lisses des banques, un peu plus loin. Tout flottait, a Lausanne, le regard et le cocur glissaient sans pouvoir s’accrocher a une quelconque aspe-rite. Tout 6tait neutre. Ni le temps, ni la souf-france n’avaient pose leur lepre ici. D^illeurs, depuis plusieurs siecies, de ce cóte du Leman, il s’etait arrete, le temps.

Je faisais souvent une halte a la terrasse d’un cafe proche de la tour Bel-Air et j’ecoutais les conversations des clients. Leur maniere meme de parler le franęais aggravait en moi ce sentiment generał d’irrealite. Ils avaient des inflexions

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