theme central des romans de Robbe-Grillet soit la disparition de toute action individuelle. Le crime contrę 1’humanite fait partie de 1’ordre existant, de meme que les auto-regulations criminelles. Le voyeurisme dans une »societe du spectacle« est un phenomene normal. Ce n’est pas a 1’egard du meurtre de cette petite filie que les hommes sont de-venus voyeurs mais a 1’egard de la vie elle-meme. La reification -apolitisation, amoralisation, desacralisation, deshumanisation - n’en sont que les consequences immediates. C’est encore cette reification qui constitue le theme du troisieme roman de Robbe-Grillet analyse par Goldmann: La Jalousie. Ici encore, les actes humains perdent leur sens, les sentiments s’effacent, les hommes ne sont plus que des choses: »L’important, cependant, au dela de ces details, c’est la structure d’un monde dans lequel les choses ont gagne une realite autonome, dans lequel les hommes, loin de les maitriser leur sont assimiles et dans lequel les sentiments n’existent sur le monde positif que dans la me-sure ou ils peuvent encore se manifester a travers la reification«.55 En ce sens, la tentative de Robbe-Grillet est infiniment plus radicale que celle de Kafka, Sartre et Camus, qui se reclament encore de va-leurs humanistes. La froideur du monde de Robbe-Grillet c’est celle du nótre. Derriere les fictions litteraires, elle eclate, toujours obsedante.
L’angoisse que suscite la reification se retrouve encore dans Le La-byrinthe ou pour la premiere fois semble apparaitre un jugement hu-main, mais elle est immediatement reintegree au monde des choses. Dans VAnnęe Derniere a Marienbad 1’angoisse semble laisser place a un faible espoir:
»Le chateau baroque de Marienbad est, transpose au cinema. le meme monde vide de la mort ou rien n’arrive jamais, ou on se livre a des jeux que tout joueur peut perdre, mais ou ce sont pourtant toujours les memes qui gagnent et toujours les memes qui perdent (bien que ces derniers ne soient pas presents dans le film), un monde dans lequel deux etres posent encore le proble-me de 1’espoir. Or, 1’espoir et 1’angoisse ne sont que les aspects subjectifs d’une realite dont 1’aspect ontologique est le temps et
cela, non seulement selon la dimension du futur, mais selon tou-tes les dimensions, donc aussi selon celle du passe«.s6
Dans cet univers de Robbe-Grillet — monde d indices, de coinci-dences, de temoignages incomprehensibles, - il est impossible de savoir ce qui s’est reellement passe a Marienbad, si les evenements sont de vrais evenements ou des pseudo-evenements depourvus de signification. Rien ne permet d’etablir la veritć d’une action dćnuee de sens. Comme 1’ecrit Goldmann: »le fait que Thomme et la femme se sont ou ne sont pas rencontres dans le passe depend uniąuement du caractere fonde ou illusoire de 1’espoir qui semble vivre encore dans leurs consciences et dont le statut constitue le probl&me central
du film«.67
65 S. M. p. 196-197. M S. M. p. 199.
" S. M. p. 199-200.
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