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Evidemment, nous n’oublions pas que Robert Randau
par rapport a d’autres theoriciens (du roman colonial), introduit une dimen-sion humanistę : d’une part, le colonisateur doit apprefidre ia langue, connaitre les coutumes et 1’etat social du peuple qu’il veut faire “monter”, d’autre part, le colonise doit comprendre avec intelligence que son interet est dans le sens de la civilisation nouvelle. Rejet donc de toute exploitation ćgoiste, inhumaine, anonyme, impersonnelle.
Pour Randau, les indigenes sont de vrais collaborateurs, rappelle Jean Dejeux, ce qui naturellement change l’optique d’un sujet «du pays regar-dant» face a un «pays regarde». Cette modification du regard est due aussi aux conditions dans lesquelles cet acte de regarder a lieu, car en tant que vrai colon de race, 1’auteur est ancre dans son sol et familier des indigenes.
Le personnage du caYd Ahmed Cheikh est au premier plan; aussi bien du point de vue de 1’importance de sa fonction dans la tribu, rappelons ici que le caid etait pendant la colonisation un fonctionnaire local represen-tant la France a la tete d’une tribu, qu’& cause de son amitić pour Jos Lavieux. Celui-ci lui rend visite accompagne de sa familie. Le caid est
un long vieillard en bumous rouge [...] il a la figurę chafouine et les yeux troubles; une croix d’honneur brinąueballe sur sa poitrine; elle est la recom-pense de son zćle a accueillir par des exclamations admiratives les raisons du gouvemeur et du prefet. II s'incline, la main sur le coeur, devant les dames et embrasse Jos tendrement. II guide ensuite en ceremonie ses visiteurs vers un amas de gourbis ceinture de juj ubiers.n 1
Cette scene de 1’accueil chaleureux, on dirait «oriental», plutót que d’une confrontation, amene a douter cependant de la loyaute des senti-ments de ,1’Arabe face aux colons. La description du caid reste toujours fidele a ce modele monumental que nous avons dćja relevć chez Bertrand : le bumous oblige, mais sa figurę cache quelque chose de ruse, de sour-nois, fait planer une ombre sur cette cerćmonie et ce qui aura son echo dans la demiere partie du roman. Lui aussi, de meme que Jos Lavieux, appartient a deux cultures: la sienne, autochtone et 1’autre, franęaise. Sa ferveur vis-a-vis de la deuxieme se traduit materiellement par la croix d’honneur pour son acquiescement a la politique coloniale de France. Cet aquiescement est-il franc? meme Randau semble hesiter a donner une reponse nette, neanmoins, il est proche du stereotype de 1’Arabe infidele. Entrant dans le logis du caid, on a 1’impression que Randau illustre sa
110 J. Dejeux, «Robert Randauw, op. cit., pp. 94-95. 1,1 R. Randau, Les Colons, op. cit., p. 123.