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nant avait demandć k venir en Algćrie ce qui fait supposer que «[...] la vie de caseme qu’il avait menee pendant deux ans, au sortir de Saint-Cyr, l’avait profondement dćgoute.»ł47 Le riche champ lexical des mots «ima-gination» et «reve» laisse penser que de nombreux stćróotypes infiltrent sa vision de la vie nomadę. Yasmina devenue «Smina» rev&e a Jacques 1’impos-sibilite d’une telle liaison; cette fois-ci elle est due a la difference religieuse :
C’est impossible. [...]. Toi, tu es un roumi, un kefer (renćgat), et moi, je suis musulmane. Tu sais, c’est haram (interdit religieux) chez nous, qu’une musulmane prenne un chretien ou unjuif [...].148
La seule issue a cette impasse est que Jacques devienne musulman et cette scene de la «conversion» du Franęais met en evidence la sincerite des deux personnages : «le barbare» et «le civilise»; Jacques leve sa main droite et il dit avec Yasmina :
"La illaha Ula Allah, Mohammed raęoul Allah." (“II n’est point d’autre divinite que Dieu, et Mohammed est Penvoyć de Dieu.”) Lentement, par simple jeu, pour lui faire plaisir, il repćta les paroles chantantes et solen-nelles qui, prononcćes sincerement, suffisent a lier irrćvocablement a 1’islam... Mais Yasmina ne savait point que Fon peut dire de telles choses sans y croire, et elle pensait que 1’enonciation seule de la profession de foi musulmane par son roumi en ferait un croyant... Et Jacques, ignorant des idees frustes et primitives que se fait de Pislam le peuple illettre, ne se rendait point compte de la portee de ce qu’il venait de faire.149
LMronie d’Eberhardt est incontestable dans sa revelation d’un abime profond entre deux races et de leurs differences fondamentales. L’accep-tion du monde par la jeune Bćdouine se limite a son microcosme de nomades ou 1’idće de 1’islam est assez vague, la connaissance du Coran parait insignifiante, mais cela ne veut pas dire non-sincere, suggere Eber-hardt. De meme, Yasmina
ne connaissait d’autres Franęais que ceux qui gardaient les ruines et travail-laient aux fouilles, et elle savait bien tout ce que sa tribu avait eu a en souf-frir. De 1A, elle concluait que tous les roumis ćtaient les ennemis irreconci-iiables des Arabes. Jacques avait fait tout son possible pour lui expliquer qu’il y a des Franęais qui ne haYssent point les musulmans... Mais en lui-meme, il savait bien qu’il suffit de quelques fonctionnaires ignorants et bru-taux pour rendre la France haissable aux yeux de pauvres vil!ageois illettres
147 Ibid., p. 97. I4* Ibid., p. 100. 149 Ibid., p. 101.